dimanche 2 avril 2017

Sueurs Monde - chant 2006








SUEURS MONDE


Chant


2006


 


En mémoire de  Iqbal MASIH
1983-1995

À quatre ans, Iqbal rejoint une de ces fabriques de tapis qui exploitent déjà huit millions de gosses. À dix ans l'enfant esclave a déjà une tête de vieillard et les mains ravagées d'avoir noué douze heures par jour et pendant 6 ans de précieux tapis revendus à prix d'or en Occident. Un jour de 1993, son calvaire prend fin grâce à Eshan Khan, président de la ligue contre le travail des enfants (BLLF). Son libérateur l'arrache de son métier à tisser pour lui redonner le goût de vivre et la rage de se battre. Iqbal devient alors le symbole de cette jeunesse martyrisée. Il parcourt son pays et le reste du monde afin d'alerter l'opinion internationale. En janvier 1995, il participe à une Convention contre l'esclavage des enfants à Lahore. Il se rend en Suède et aux États unis, où il reçoit un prix de la firme américaine Reebok . Son périple prend fin le 16 avril 1995. Il meurt assassiné sur son vélo, le corps criblé de plomb gisant sur la lande de Chapa Kana Mill, près de Lahore (Pakistan). Il avait reçu des menaces de la "mafia de l'industrie du tapis" comme l'affirmait Eshan Kahn. La police pakistanaise écrira dans son rapport : "l'assassinat résulte d'une dispute entre un paysan et Iqbal". Histoire sordide d'un porte-parole qui devenait gênant. Les pistes de ce meurtre sont brouillées alors que la Commission des droits de l'homme du Pakistan a "adopté" la version de la police. Permettra-t-on que le combat d'Iqbal ait été vain ?





 
Chant I


Ici les corps se questionnent,
roulent et croulent,
ici en un aveu,
là en une parole non dite,
un frisson,
un vœu.
Ici les corps
en une même sueur
se prennent,
s’abandonnent,
quelquefois semblables à des blocs de pierre
taillés à même la montagne,
taillés à même la muette douleur.
Ici les corps se questionnent
sous leurs peaux dégrafées
s’étonnent d’être,
sous des soleils cibles,
aussi fragiles,
aussi pitoyables.
Les corps écoutent
leurs pulsations terribles,
leurs souffles bruyants
s’échappant de la prison de leur poitrine,
et ils lancent leurs poings,
et ils lancent leurs bras,
comme pour étreindre ce monde
dont ils n’auront rien.

Ici les corps se questionnent,
ajoutent au vide de la nuit
leurs sueurs presque coupables,
leurs peurs impalpables du jour.

Ici les corps se questionnent
et de ces questionnements
naissent des dieux sans pardon,
des légions de feux,
des nuées de fer.
Ici les corps sans relâche se questionnent…


Chant II




Quel est cet oiseau
qui emplit notre bouche d’amertume
et notre cervelle de brume,
qui ouvre des saignées
dans l’incohérence de nos paroles ?

Qui en ce fleuve de sang en crue
livre ce savoir éparpillé
aux ronces folles
qui déchirèrent notre peau ?

Peau qui dissimulait si bien jusqu’alors
ce miracle de vivre.
Suées
sur fragments
de peaux sensibles,
sur fragments
de disques rayés,
sur fragments
de peaux acides.

Nos draps resteront linges de famille,
rien n’aura plus de poids,
rien n’aura plus de plis,
nos bagages ne s’envoleront pas,
nos mains resteront clouées aux portes.

Nos mains ne reconnaîtront plus les cercles,
nos pieds seront insensibles aux angles saillants
des cailloux de la route,
nos têtes continueront à larguer leurs bombes pensantes
sur les paysages désolés d’une raison
où tous sans outils creusent sans relâche l’abîme.
Et nos têtes,
nos chères têtes,
 recommenceront à suer,
à suinter !
à perdre cette intelligence durement acquise !
Intelligence faite de briques et de socs,
intelligence de sable et de terre,
nos têtes si ignorantes de l’heure et de l’erreur
se féliciteront de leurs savoirs,
de leurs découvertes,
se féliciteront de leurs mondes morts
sous la clarté d’une lampe unique,
alors que nos corps lentement
furieusement occupés
à dénombrer les nuées d’anges morts
désespérément, 
lamentablement,
s’accrocheront à de pâles figures
hâtivement  ressuscitées.



Chant III




Des fleuves soudain
jaillirent,
d’étranges fleurs calices
en attente de pluies
s’ouvrirent,
une soif inexplicable
assaillit nos lèvres.

Une nuée de corps
exécuta une danse rapide.

De lointains tambours martelèrent le ciel.

Les pieds foulèrent
la terre  humide.

Le jardin s’éveilla lentement
sous la sueur du ciel.






Chant IV




Nous ne sommes pas des anges
encore moins des hommes,
notre sueur avons portée,
cette sueur  porte si loin
même le lointain nous porte
plus sûrement encore
qu’une simple porte
battante à nos lèvres trempées.
Nous ne sommes pas des anges
encore moins des hommes.
Dans le cercle têtu de nos peaux
nos sueurs  apprenties,
nos sueurs en apprentissage,
nos voix de faux sages, de faux serfs,
en ces villes, toutes sueurs dehors,
où tous serviles, soumis à cette grande circulation,
voix de gare, de garage, rage rentrée,
ville méthane, ville étale,
étalée sur toutes les sueurs possibles,
toutes gardiennes sur les rails de nos soupirs
ces soupirs qui déraillent.
Sueur de nerfs et d’os, sueurs pillées,
grimées, empilées, sueurs triées sur volets clos,
derrière ligne de poteaux,
pans entiers de murs où panneaux publicitaires
vantent les marques sur la chair,
la cruelle efficacité  du fouet sifflant.
Sueur en ces ateliers d’enfants,
Nuit des ateliers, où frères et sœurs martyrisés,
sueurs de caniveau, sueur  de tribu,
sueur, trop lourd tribut,
sous le fil du mensonge
naufrage à quelques encablures d’une côte,
sans trop de tendons ni d’os,
côte splendide arrachée
du côté de cet œil fou de maître boucher,
là où la chair est encore la plus tendre
là où se fendent, où craquent les jointures,
Sueur nuit, sueur suie, sciures,
sueur d’un rêve en manque de dents,
sueur d’un corps fouetté,
le corps sue, le corps seul sait,
le corps sali, ici toujours perdant
son sang
corps immuablement au dernier rang
ce grand corps en suée
corps marchandise, corps valise, corps d’exil.
Nous avons depuis, de villes en estuaires,
rallié tous les continents et redécouvert nos crimes,
nous, nouveaux négriers !
revenus des villes ossuaires
avec nos feux clignotants,
nos grandes conduites d’acier,
nos décharges à ciel ouvert,
nos bonnes œuvres spéculatives,
nos usines sacralisées
nous, et nos poisons bradés
sous un ciel si bas
qu’il semble à la tombée du jour
pleuvoir en rideaux de sang
sur un peuple de dos
couleur d’ébène ou de coton. 



 

Chant V


Entre notre  chair et notre chair
sueur de vivant
reliée à la mousse des pierres.
Ainsi flotte
devant nos yeux
cette armée de doutes,
nuages noirs
d’une splendide déroute.

                                                                          Chant VI



Cette foule
s’est pressée à toutes les frontières,
à toutes les portes,
devant tous les murs cette foule
a arraché le voile de ces yeux
et piétiné les figures
qui célébraient la beauté au travail,
la beauté d’un corps tout en sueur.

Cette foule a enfoui
en d’innombrables tranchées
ses peaux durcies
par la poussière et le vent.

Cette foule
a crié sa juste révolte
jusqu’aux pieds des maîtres de pierre
et ceux-ci ont commencé à sentir
des tressaillements dans les premières fissures.








Chant VII




Sang
et sue
sue tout ce sang
de ce corps
ce corps sue
toute cette sueur
au col
colporte
toute cette sueur
pour en arriver à ce sang
centralisé
ce centre
où toute suée
toute sueur
par tous les pores
se rue.

Sueur en transe
transe
par les portes
portée
en toute transparence
toute sueur du désordre
de l’ordre qui décide
de la sueur d’esclave
de qui porte sur le dos
les stigmates de tous les crimes !
Sang
et sueur
tous unis
dans le même berceau
sang et sueur
tous liés
reliés
à la vie
par ce fil
seul filtre possible.
Tous enduits
inondés de cette sueur
cette sueur monde
où se mêlent sexes et peaux.
Se donner à cette sueur
en un mot comme en sang
suer
ensemble
subtile sudation
et sur tout
surtout
pas de brume !
pas d’écume !
pas de soulèvement
en ce tourment du monde !
en ce tour du monde
d’une sueur si  pâle
si froide
sueur-ciment
dévorant le front
cette sueur pose
dépose
un socle fait main
un socle d’os
et autour de ce socle
une ronde.
Danse pour la sueur
et autour de ce creux
immense
insondable fosse
d’une Afrique
croulante
sous l’éternité pesante du carcan.

Sueur monde
où reins et dos brisés
de tout temps ont porté
le fardeau des dominés.
Sueur d’une main libérée,
mais qui garde sous les ongles
des fragments noirs d’humanité.

Sueur d’une main à l’œuvre
main basse sur l’œuvre
l’œuvre n’est plus !
seule une main d’œuvre bon marché
sur la marché de la sueur rentable !
seule cette main
peut se souvenir des entraves de fer.

Course
sur la terre
de cette sueur vivante
là où il faut creuser longtemps
pour découvrir les restes
d’un ancêtre libre !

Course sur la terre
de cette sueur vivante
bonne à combler
les plaies verticales
de plus d’un milliard de bouches ouvertes !

Il est plus que temps alors
de réécrire le mythe,
pour ajouter dans l’enfer de l’architecte
un autre minotaure
issu lui aussi d’amours jugés contre nature
misérablement couché dans son sang et sa sueur.





 
Chant VIII




Sueur
ce jour n’est plus

ou n’est pas encore

Ce jour comme perle
à ton front

Sueur
ce jour n’est plus

toute cette résignation feinte,
ce combat obscur,
anonyme,

nous avons trop chanté,
nous avons trop dansé,
en compagnie de nos seules ombres.







Chant IX



C’est une sueur  malade,
une présence  impalpable.  
C’est une sueur malade
toute en tâtonnements,
en glissements.

C’est une sueur malade
comme une promesse de pluie
sur un corps aux lendemains refusés.
C’est une sueur malade
qui ne s’encombre pas de la langue,
qui ne s’encombre pas de tête,
qui ne s’encombre pas de sexe.

C’est une sueur qui ne s’encombre pas d’autres sueurs.

C’est une sueur en mal d’être
et en quête de devenir.

C’est une sueur qui passe,
traverse les fils de ce vêtement usé
qui n’a plus volonté de retenir l’ombre.







Chant X



La sueur ici devient encre
et cette encre témoigne
d’une terre toute en odeurs de livres.

Cette encre s’infiltre,
choisit  une peau blême
pour y planter quelques signes.

La sueur ici est devenue encre
pour traduire, mesurer les écarts
entre les figures éphémères du ciel
et les pierres solides des sommets.

Elle dévale les pentes
dévie l’itinéraire prévu
d’une écriture surprise par l’orage du doute.
Tout un peuple de mains fiévreuses
tente d’en saisir la fluide présence
mais la terre boit,
mais le barrage de la pensée
cède parfois sous la poussée des os.

Sueur encore nourrie par les déluges
sueur d’une vie
assise au seuil du fardeau du corps.

Sueur d’une distance jamais mesurée,
d’une solitude non nommée,
sueur d’une rivalité insoupçonnée et insoupçonnable.

Sueur avec laquelle se monte
une des  plus grandes mises en scène du corps,
une des plus grandes tentatives d’évasion  de la peau,
cette peau soumise à l’usure,
à l’inévitable mensonge.

Sueur condamnée à la précipitation des mots,
à la rectitude des lignes,
à l’imperfection permanente,
sueur de ces êtres
incapables de froisser,
de déchirer,
les ombres de leurs nuits si nombreuses,
sueur de ces êtres
incapables de se souvenir de ce jour
où il sont devenus esclaves de leurs propres sueurs. 




                                                                      Chant XI


Sueur !
C’est l’heure où le corps malheureux
s’abreuve de chaudes vérités,
s’accouple à d’autres rêves
à d’autres désenchantements subtils.

Sueur !
C’est l’aube malmenée
par la fureur des hommes,
c’est l’aube au-dessus des ombres des corbeaux,
c’est l’aube immense sans calculs
sur la terre brûlée,
où l’enfant pieds nus
découvre la démence du monde qui l’accueille.







Chant XII



Vous avez forcé le passage
et aujourd’hui vous n’êtes plus en mesure
de voir au-delà
de votre cercle d’apparences.

Vous avez forcé le passage
arraché le lien sacré
qui vous tenait encore à la rive,
vous vous êtes volontairement mutilés.

En cet aveuglement,
cette surdité,
vous avez perdu tout ce qui vous avait été donné.

Vous avez fait taire tous les  sages
en dépeçant leurs corps,
en enfermant leurs paroles
dans la mémoire poussiéreuse,
pourrissante de vos livres.
Vous avez forcé le passage
et aujourd’hui vous n’êtes plus que des ombres
croisant d’autres ombres
dans vos enfers complexes
où mille solitudes mettent régulièrement au monde
un millier d’autres solitudes.

Vous avez craché sur la terre
et chacun de ces crachats
est devenu le messager de votre mort.

Vous avez peuplé le ciel de vautours d’acier
semé le doute, scindé l’atome, greffé la terreur
sur l’organe puissant de la vie,
vous avez voulu disséquer la conscience
comme si elle n’était qu’un champ d’investigations
pour votre science
qui crucifie l’animal sur son autel immaculé et stérile.

Vous avez voulu sonder l’âme humaine
comme on sonde le cœur d’un vieux volcan,
ce jour est proche où dans votre orgueilleuse cécité
vous construirez ceux qui démunis de sang et de sueur,
ne reconnaîtront plus en vous leurs maîtres
mais comme les seuls ennemis de la terre.



Chant XIII


 
Quelle foi sacrilège ici nous anime
et fait reconnaître en cette sueur source
la langue des peuples affaiblis
qui sans honte ont failli ?

De quelle peau s’évade un tel nectar,
quels doux effluves montent
de cette chair soudain apaisée ?

Nous veillons sur l’heureux épuisement des choses,
nous avons la connaissance intuitive
d’une soif tout imprégnée d’autres soifs.

Sur les terres de nos ancêtres,
nous sommes nés d’accouplements sauvages
et par les nuits de lune brillante
nous dansons avec nos morts !



  
Chant XIV



Le corps est dur au labeur
il ploie, il marche,
se presse, se fatigue,
tous ces corps sont semblables à des arbres :
l’un est déjà conçu pour être foudroyé,
l’autre fier de sa force
tend ses bras pour affronter le ciel.
C’est sous le même soleil
la fonte des glaciers,
l’hommage à la vie
dans la profusion des fleurs du cerisier,
dans ce recul des ombres
sur les damiers des champs cultivés.

C’est sous ce même soleil
tant d’enlacements fiévreux,
tant de chairs communiantes,
tant de sexes qui se reconnaissent,
tant d’autres si vides d’amour
bourreaux implacables,
esclaves de leurs bréviaires.

C’est sous le même soleil
tant de chantiers,
tant d’usines,
où l’esprit assassiné
dans l’indifférence universelle
n’est plus qu’un récipient
où des êtres de misérable pouvoir
versent leurs poisons,
et ruinent à jamais tout effort de pensée.
C’est sous le même soleil
tant de crimes jamais nommés,
tant de machines,
tant d’armées,
tant de victimes,
tant de morts anonymes,
tant de sciences néfastes,
tant de fastes si impudiquement exhibés,
tant de famines,
tant de merveilleuses naissances,
tant de millions d’enfants dans les mines de sel
de cuivre et de plomb,
tant de sel dans les yeux de la terre,
tant de larmes
dans les yeux de ces à peine nés
nés pour la peine,
tant de sang sur leurs mains sans rides
mais affreusement blessées,
tant de rires sur d’anciens visages,
tant de nobles rides
sur des visages survivants de tous les génocides,
et tant d’yeux vides,
tant d’yeux creusés
par les dents  du temps,
de corps recroquevillés dans les lits cages
de nos mouroirs d’occident !

C’est sous le même soleil
tant de puits sans source,
tant de villes aux poumons rouillés,
aux reins saturés d’acide,
tant de corps étendus
rendus à la poussière,
tant de corps rongés
mêlés à la terre,
emmêlés en un coït éternel,
tant de corps en sueur,
tant de corps capricieux,
uniques,
précieux,
disgracieux,
tant de corps tendus,
tant de visages dans la lutte,
déformés,
méconnaissables,
tant de corps,
au cœur du sommeil,
comblés,
tant de corps  parfaits,
parfaitement libres,
parfaitement brisés,
tant de corps réunis,
tant de corps unis
en des noces d’argile,
tant de soifs,
de faims impossibles à satisfaire,
tant de sueurs partagées,
mélangées,
tant de sang en un même corps,
tant de rouge sous des mains blanches,
tant de noir sur des mains rouges !
Tant d’enfers sans chaleur,
tant de feux sans lumière,
tant de cuisses sans sueur,
tant de chevilles sans pied,
tant d’êtres sans esprit,
tant de noms sans têtes,
tant d’histoires sans êtres,
tant d’êtres,
tant d’êtres !
en ces temps d’êtres innombrables !
tant d’êtres sans âme,
tant d’âmes
tant d ’âmes
tant d’âmes
temps des âmes heureuses à venir !






Chant XV




Travailler dans la matière
creusée par la sueur du monde,

travailler comme une éponge,
comme un silex,
un outil de chair et de sang,

extraire l’os de la terre
et le réduire en poudre.

C’était dans la clarté d’un jour donné par Dieu
lancé comme un défi,
comme un crachat
dans la grande cour des hommes.

Travailler dans la matière
creusée par la sueur du monde,
veiller au pied du volcan,
veiller sur l’ignorance
puis glisser notre désir
sous cette peau aride.

Travailler
puis apprendre
la langue illusoire des signes,
faire reculer nos fantômes,
tenter de nettoyer nos veines
envahies par le poison de la colère.

Travailler
à reconnaître en notre ennemi
la chair vivante de notre double.



Démonter
pièce après pièce,
rouage après rouage,
le mécanisme du mensonge originel,
de l’idéale naissance.

Travailler dans la matière
creusée par la sueur du monde,
et à l’océan de cette même sueur
confier ce corps
où logent désormais
toutes nos défuntes peurs.





Chant XVI




Sueur
plus un cri,
plus un crissement,
dans les plis
tout plie,
et tout ce qui reste
est tout entier
dans le dit.
Sueur
plus un espace,
plus une fente,
où la lame ne parvient plus
à se glisser,
engloutie par ce temps
où la grâce est tuée.

Sueur
c’est misère de n’avoir su
que toute cette sueur dépensée
était dépense d’un corps
à la vie limitée.

Tant de sueur ainsi dispersée,
tant de calculs et d’incendies
en ces jardins d’artifice
où la sueur seule était applaudie.

Sueur
un lourd sommeil est là
pour éponger la terre
et pour toute réponse
déjà de futurs orages s’annoncent…





 

Chant XVII




Ici tout est sueur
corps et matière
tout est mis en paquets
ficelés,
classés,
puis
consommés.

Ici tout est normes
et frontières
sommeils dépassés
paroles de maître
en des plantations lointaines.
Paroles à naître
en de neuves
trajectoires
pour de nouveaux cercles.

Ici
tout est sueur
lueur
et espoir,
ici
un simple acteur suffit
à coudre ensemble tous
les rideaux d’une scène,
pour soustraire le drame
aux regards qui ne peuvent plus
se dérober,
fuir.

Alors
le corps
trahi,
floué,
commence sa dérive,
il est dans l’arène,
il est dans la fosse,
il ne sait plus
si sa sueur révèle sa peur
ou si le siècle
lui refuse un abri.

Alors le corps
preuve indéniable
d’un monde
d’anges morts
rejoint
l’abîme,
la faille
de sa langue.


Un néant l’accueille
lui offre ses fruits redoutables,
ici tout est sueur,
sueur d’Ame malmenée,
mal née,
sueur d’Ame
en ce nouveau banquet
où la lumière
jaillit des cendres.

Sueur
tout au fond de ce ventre
où l’aube ne peut rencontrer la mer,
où sur ce corps tout entier contenu
en ces lignes
pleut sans discontinuer
des signes.

Ici tout est sueur,
triste effort,
le corps se tord,
les muscles se tendent,
là où l’esprit s’évertue à peindre
un décor d’ombres puissantes.

Ici tout est effort et sueur,
l’être sacrifié regarde son art,
cloué à son arbre,
ne voit pas,
ne voit plus,
l’ombre distendue et muette,
l’ombre nue,
sa conscience mutilée
ne peut s’en emparer,
il vacille
devient flou,
tombe,
effacé,
dans l’affreuse plaie du temps.






Chant XVIII




Tout est pris
en cette tourmente,
en cet oracle,
la sueur intacte
revient,
image triomphante,
grimaçante.
Sueur
qui de terre en terre,
de ciel en ciel,
conduit
sans fatigue,
sous un soleil qui meurt,
ses meutes ardentes.





Chant XIX




La sueur n’en doutons plus est un langage,
la sueur nous parle
de ce corps rompu
au supplice du travail,
de ce corps frémissant,
nu,
arraché à la langue des arbres.

La sueur n’en doutons plus est un langage,
en ces temps de vives rivières
et de fortes racines
nous avions eu la naïveté
de croire en notre solide éternité.

La sueur n’en doutons plus est un langage,
laissons-la couler en ce corps étui
où parfois se glisse la conscience d’être
un rivage,
une terre,
un pays sans drapeau ni deuil.

La sueur n’en doutons plus est un langage
un écoulement secret
où la langue ne choisit plus
devant un corps qui se tait
mais plante en bonne terre
l’arbre qui saura porter
un autre horizon incapable de se fermer. 



 




Chant XX




Enfants des ateliers,
des cuisines,
des trottoirs,
des mines
et des champs,
enfants tisseurs de tapis,
laveurs de voitures,
cireurs de chaussures,
casseurs de pierres,
enfants du mali,
du Burkina Fasso,
du Burandi,
du Niger,
enfants de Haïti,
du Guatemala,
du Brésil,
de Bolivie,
du Népal,
du Bangladesh,
de Turquie,
de Polynésie,
enfants de ……
enfants du…….

C’est un vaste linceul qui passe
et étend sur le monde
son ombre tissée de sueur et de sang.

C’est une grande sueur qui passe
sur un rire d’enfant qui se casse
dans une fabrique de verre.

Enfants aux poumons brûlés,
aux membres déformés  par de trop lourdes charges,
enfants des décharges
à ciel ouvert,
enfants à la peau noircie
par le charbon
qui ne connaît la caresse de la lumière.

Enfants aux mains blessées,
tisseurs de ballons
destinés au ciel  bienheureux
des enfants de colons.

Enfants sous le joug
des grandes marques
qui vantent l’image
d’un corps toujours souple,  mince,
victorieux
transpirant par tous les pores,
de cette bonne santé d’espèce protégée,
de cette gloire fabriquée
éphémère, artificielle, 
des stades et des écrans.

Enfants des ports de Karachi
récurant dès  l’âge de cinq ans
les cuves de pétroliers,
la peau et les bronches rongées
par les résidus de plomb.

Enfant des plages et des chambres
parfaits petits domestiques
de nos Edens touristiques,
innombrables petits corps perdus,
vendus en des hôtels de passe
enfants à la peau huilée
sous le feu des sunlights. 

C’est une sueur qui passe
une sale sueur
de carte postale en carte postale,
du Costa Rica au Népal,
d’une peau à l’autre,
d’un monde à l’autre,
sans laisser de traces.





                                                                                              Sueurs monde - le 25 mai 2006

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