jeudi 16 mars 2017

Vide parfait pour une pensée légère 2000




 
 
VIDE PARFAIT
POUR UNE PENSÉE LÉGÈRE

 
2000

 






Retour à la simplicité



La langue s’est lassée de ces jeux de palais,
elle migre pour des lieux plus humbles
où les lèvres ne cachent plus leur soif
derrière des effets précieux de style.





La bonne résolution.

Nous ne sommes pas devenus amers,
non,
nous ne convoquons plus la colère
pour nourrir nos extases,
la poussière peut dormir sur nos chaises,
les ruines s’enrouler comme du lierre
autour de nos mémoires,
les masques se creuser
dans le bois le plus tendre,
paisiblement
nous habitons notre fêlure.
                                                                                                      
Précieuse innocence

Alors que le sang des peuples
recouvre les nappes du banquet,
emplit les piscines des riches exilés,
il nous reste l’intime pulsation de l’être,
le ciel,
un arbre solide,
une rivière,
la nudité de l’enfance.



Tous debout


Tous debout
dans l’admirable anonymat des lettres,
tous debout, prêts pour le bûcher sonore,
tous exclus, nourris de paroles,
livré aux rêves des monarques.
Tous, réfugiés derrière nos réseaux
nos verbes,
nos guerres interminables,
en nos tours d’ivoire,
de passe-passe.

Tous, assiégés par l’incertitude,
le doute,
la rumeur guerrière du monde,
sous des potences chargées.
Tous debout,
complices des plus solennels supplices,
cherchons en nos mémoires infectées
le virus responsable de notre ignorance,
de notre manquement au devoir d’humanité.

 


Nudité

L’aube nous confie cette parenthèse,
les morts nous parlent
de ventres caressés,
de scènes d’amour jamais filmées.

Ce souffle double,
intrigue nouée,
quelle sagesse emprisonnée en ces  rides
organise avec tant de minutie
ce cérémonial du divorce,
de l’usure virtuose.




Enfermement

Dans les cellules surpeuplées de notre esprit
ça grogne,
ça hurle,
nous ne pouvons monter sur les toits
pour crier notre indignation,
nous sommes à l’intérieur de l’immense,
nous jouissons et nous peinons à voir notre conscience
guidée à chaque pas.
Toute question est un pas vers l’obscurité,
chaque avancée nous fait découvrir la proximité du vide.





L’île


L’île de nos regards
se souvient de cette aube traversée,
de ces scies obscures tailladant l’écorce,
de cette poussière un peu grasse
recouvrant les planchers des chambres.

Privées de joies simples
nos pensées se sont enfoncées
dans la tourbe du raisonnement,
nous avons voulu nier nos attirances,
en vain,
l’île retrouva nos traces.




Les Muses modernes


Virtuelles,
elles s’éparpillent
en ce langage à mille portes,
dans cette cacophonie des sens
où le fou exulte et prie.

Enfers sous haute surveillance,
des oracles modems
lancent dans la nuit des réseaux
leurs vociférations codées,
dans cette langue précipitée
encombrée de phonèmes
où le sens bouscule la rime,
où au martèlement des mots
répond l’ancienne loi des tambours.



Conseil



Comment pouvons-nous encore sourire
alors que l’herbe est absente,
comment pouvons-nous vivre en attente,
il ne faut nous épuiser
dans la lenteur des choses qui ne viennent.


 



Pesanteur


Ils nous saluent ici-bas,
observateurs impassibles
de la grande absurdité de notre marche,
de nos trébuchements inutiles.

Nos  doigts dispersent la cendre,
nos jambes sont lasses,
nous entrons vivants en cet espace non gardé,
nous, arrimés à nos postes frontières,
peinons à dissimuler
le tremblement de nos mains.


Itinéraire

Rendre à la lumière
sa déchirure,
livrer la brume aux transparences,
le calme des cimes au vide des crimes,
tomber par amour, par négligence,
se tromper sur soi, sur les autres,
sur tout,
privilège de l’erreur.




La redoutée

Des mondes brûlent,
d’autres s’éveillent indigents,
sans auditoire,
sans lieux de représentation,
des visages se penchent
animés d’une soif particulière,
nous ne les reconnaissons pas.

En ce dénuement soudain,
en cette distance,
il est peut-être encore temps
de dresser les tréteaux
sur la grande  place,
d’exhiber nos bouffonnes résistances,
de blanchir nos actes, de cirer nos bottes.



Culpabilité


A trop côtoyer les vivants
les objets se chargent de toutes les légèretés,
de toutes les attentes,
le drame pèse alors justement son poids d'os et de sang.


 
Foule


Vaste panorama des enfers,
glaise malaxée,
torturée,
inséminée,
la nature en son état brut.

Mouvante,
sans sommeil,
offerte
à tous les excès,
en apprentissage
de toutes les descentes,
la foule
n’a pas de tenue,
elle s’évade perpétuellement
de son centre,
tout effort d’écriture
devient impossible
elle organise,
orchestre,
magnifiquement
l’immense sauvagerie.


Icare

Un vide monstrueux l’embrasse,
le dévore,
les ailes ne tiennent plus, se détachent,
il
tombe.
Lui,
ramassé,
n’attend pas la fin,
la formidable rencontre
avec la lame,
le fond.
Le feu a rejoint le froid.



Enigme



D’insaisissables amertumes
en inclassables volcans,
nous eûmes des nuits
creusées au fond d’autres nuits,
des nuits où la longue plainte du monde
guidait nos pas,
forgeait nos cris,
nous apprenait
la douleur de chaque naissance,
la nécessité incompréhensible
de toute disparition.





Exploration



Un souffle a rejeté l’épave,
des peurs glissent,
serpentent,
des visages se figent,
des angles s’abîment.

Plus loin
une pensée sauvage
travaille les corps noirs
de la foule des totems.


Dernier recours


Tout commence
par ce frémissement
au bas de leur dos.

Ils se précipitent
à l’extérieur,
jettent avec fièvre
leurs peaux d’enfance,
transportent leurs peurs
sur des socles,
s’obligent à produire
préceptes,
lois,
sentences,
multiplient
signes,
déclarations,
jugements,
décrets.

Puis un jour ils se lèvent,
avec une peur incompréhensible,
rien ne peut plus les distraire,
le raffinement des choses qui les entourent,
le pouvoir dont ils jouissent,
tout leur apparaît instable,
fragile,
en marche vers une ruine inévitable,

alors

ils livrent
aux scalpels fantaisistes des chirurgiens
leurs anciennes figures.


L’espoir

Sentence immuable de ces jours,
traces dans l’aube verte,
nos crânes sont des civières
et portent nos rêves de dissidences.

Une ombre parfumée nous accueille,
la rive soudain connaît l’embellie
tant annoncée.

Désert

Un souffle, une turbulence,
pour réduire
une collection de mémoires
en une suite incompréhensible
de fragments.



L’indésirable

Pourquoi l’avoir poursuivi,
avec cette fièvre, cette cruauté ?
Dans d’autres yeux
il cherchait une survivance,
une réincarnation de sa terre,
ses paroles étaient lasses,
sa bouche convulsée,
plus loin en face la grâce intacte,
la simplicité du geste qui condamne.
Puis la peur, la peur dans tous les yeux !
Pourquoi l’avoir poursuivi ?
Quelle faim si tenace vous tenaillait ?
Quelle voix commandait vos actes ?
Le mot humanité seul était seul coupable.



Où ?


Où avez-vous donc appris
à trahir ainsi,
à trahir encore,
où avez-vous donc appris
à piller ainsi,
à piller encore,
les restes de ce qui reste ?

Où ?




Aveu

Nous ne pouvons plus nous taire,
avouons malgré la honte
ce besoin de nous tenir éveillé devant un écran,
de nous abrutir assez pour être persuadés
d'appartenir à la machine,
d'être un de ces composants le plus efficace.



Instant I

Ne l'avez-vous pas vécu cet instant
où toute voix s'abandonne
à l'indécence de la rumeur ?

Ne l'avez-vous pas reconstruit
si maladroitement
que l'ombre maintenant vous gagne ?

Vous avez levé le masque
de votre conscience nue,
tous ces instants en fuite
comment les avez-vous perdus ?




Instant II

Un instant d'univers,
une nuque offerte,
au baiser,
au couperet,
un instant d'éternité
pour une vision plus brève,
pour un éclat de vie planté
dans une chair bien ronde,
pour une parole chaste,
pour une parole rare,
chavire l'incomprise.

Une ancre s’accroche sur un récif doué pour les langues.




Temps premiers

Mains chargées d'encres et de poudres,
chants d'écorchés,
souffles rauques nés d'os percés.

La terre autour d'eux comme un cercle,
leurs pensées modelées dans l'argile.

Incisions profondes,
dos noués,
leurs veines,
lianes sous la peau,
leurs muscles,
écorces autour du poignard.


Pullulement
Première manifestation du monde,
ce monde incertain de la plissure
porte en lui toutes les floraisons,
toute la sève.
Mémorial immense,
tant d’innocences perdues,
tant de survivances,
en cet émiettement du silence
retenir son souffle…

L’œil fouille encore
sous les mille insectes du désir,
dans ce foisonnement,
infatigable Afrique des sens.

                                                 


                                                      Vide parfait pour une pensée légère - 2000
                                                                                                                     





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire