jeudi 16 mars 2017

Hors de 2003





  
HORS  DE

 
2003



 




"Hors de" entre poème et mélopée, entre vocifération et murmure, la parole trop longtemps contenue, soudain libérée, déferle et se réinvente un continent sonore.




 
Paroles d’ombres
qui se croisent sans véritablement se répondre



- Avez-vous remarqué qu’il suffit d’être hors pour que les choses prennent une coloration singulière ?

-Hors le bruit, le silence se fait plus profond.

-Hors la bouche, les mots sont en quête d’éternité.

-Hors cette femme sur le pont, ombre en attente.

-On la voit qui se penche, vacille.

-Un vertige la prend.

-La terre semble basculer vers le ciel.

-Qui, lui, veut avaler le fleuve.

-Puis tout redevient linéaire.

-Rien ne s’est produit.

-Aucun évènement.

-Hors l’immobile, le mouvement.
-Hors le mobile, le piéton.

-Hors la marche, l’arrêt.



-Hors de Cela nous sommes tyrannisés par le quotidien.

-Etre hors, une solution pour échapper à ce quotidien.

-Être hors n’est pas le résultat d’une fuite, la preuve d’une évasion réussie.

-Hors cette course vers le vide que peut-il subsister ?

-Une pierre, une borne, quelque chose sur la route ?   Un repère ? Un signe gravé dans l’écorce ?

-Il y avait une direction à prendre, vous ne l’avez vue et vous vous êtes maintenant vraiment égaré.

-C’est alors que   le cercle s’est mis en place.

-Mystérieusement vous avez commencé à décrire de larges cercles, votre marche de plus en plus inquiète devenait follement concentrique.

-Toute panique appelle le cercle mais tout cercle n’engendre pas obligatoirement  de panique.

-C’est un cercle qui orchestra notre apparition,   c’est encore un cercle qui présidera à notre fin.

-C’est encore le cercle qui prend la ligne et la plie.

-La mort serait-elle courbe ?

-Le cercle des anciens était un cercle d’initiés, nous avons perdu la magie, nous reste la science. Mais la science ne connaît que l’énergie destructrice du cercle.

-Hors du cercle nous ne sommes que des fragments de droite.

-Voici des millions d’années que nous décrivons des cercles en



 cherchant en notre centre notre vérité.

-La foule des segments augmente, nous sommes au seuil du passage, persuadons-nous que le cercle n’est qu’une construction passagère de notre esprit.

-A la fin rien ne peut se concevoir, or rien n’a été conçu ainsi. Les choses paraissent sortir de l’obscurité alors qu’elles y pénètrent.

-Rien ne doit apparaître hors, or tout veut s’y réfugier.

-Comme si être hors devenait une promesse, un océan, la certitude que ce monde pourrait devenir autre.

-Il suffit d’être hors pour que chaque objet reprenne le cours de sa rêverie.

-Nulle rêverie ne devrait être interrompue quand elle apporte l’apaisement de la mémoire.





La Ruche du monde



Hors la ruche du monde
nous habitons les ossuaires du verbe,
notre métier : tisser en haute lumière
la lice où nos paroles s'affrontent.

Hors la ruche du monde
nos fronts sont brûlants de fièvre,
en nos cœurs
flux précipité
du sang de notre langue,
fleuve noir emportant les arbres,
les racines de ces arbres.
Nous avons soif d'oracles et de signes,
soif d' ombres mêlées de terres et de vents,
soif de marches sur les sommets du monde,
soif de réponses,
de visions magiques,
mais les  cercles anciens
traversés d'ondes et de câbles
ne transmettent plus aujourd'hui
que des peurs nouvelles.
Hors la première ruche du monde
nous avons perdu le goût du miel.







Hors de toi


Hors de toi,
Hors de toi,
recommence la fouille,
la violente extraction.

Hors de toi,
pris
dans les filets tendus du verbe
et libre comme un poisson mort.

Hors de toi
la terre tourne,
creuse autour de toi,
autour de toi
comme un grand trou,
forage
pour atteindre
la source.
Tout ce qui hier
pouvait encore nous atteindre
ne parvient plus à nous joindre.
Nous restons sans appel
injoignables,
nous avons coupé les lignes
qui nous reliaient à la terre.

Notre mémoire issue
du peuple des os sonores
traverse la nuit
sans un froissement.



Nos voix vibrent
sous le dôme.
La voix qui nous crie
de faire silence
à mille lieux
sent la mort.

Or,  nous sommes
à l'intérieur,
à l'intérieur de tout ce qui peut déranger l'ordre.

Nous sommes ici pour fêter
un  grand désordre fraternel.


 

Hors de ceci


Hors de ceci
il ne peut sortir qu'un cri.
Hors du champ de l'expérience
cherchons les indices.

Le champ est vaste,
la terre retournée.

Hors de ceci,
de la source,
dans le ventre d'une galaxie
une pensée
accouche seule
d'un mot,
un mot seul pour lutter
contre la dislocation de l'ensemble.



 
Je vous dis



Je vous dis hors
et vous entendez sortir,
Je vous dis hors et vous sortez,
Je vous dis hors et vous l'entendez
comme un ordre.
Hors se dit
la bouche à peine ouverte,
Hors peut se siffler,
se danser,
Hors se faufile ,
Hors ne s'écrit pas,
Hors se déplace hors la place,
sans espace,
sans éclat,
Hors ne se fie qu'au présent,
fausse trappe déversant son futur
comme d'autres leurs vomissures.
Hors se pose sur une table,
Hors appelle le silence des plantes,
Hors planté en bordure
sur une frontière mal tracée,
Hors sur des lèvres chaudes
en attente d'une langue sexploratrice.
Hors se dépose comme une graine
dans l'entonnoir de la terre,
Hors ne veut se soumettre,
Hors veut rester en dehors,
en dehors de tous,
Hors prône l'élégance,
fait dans la réclame,
Hors pose nu devant l'œil d'une machine
crachant nuit et jour
ses prothèses médiatiques.
Hors peut être un général
avec poitrail médaillé
bon père de famille,
martyr des causes égarées,
collectionnant en son grenier
souvenirs héroïques
d'électrodes emmêlées.

Hors peut se tenir droit
comme un piquet sous le ciel.
Hors de nos mains
il peut glisser un lien,
Hors de nos mains
il peut se nouer une veine.

Hors de nos mains,
vous vous lèverez ,
regarderez vers l'aube
vers l’aube souffrante des hommes,
Hors nos mains,
vous ne serez plus.



                                                                               Feu  



Nous brûlons pour l'essentiel
en dehors de toute école, de tout engagement,
écoutons le vacarme des autres
et avançons dans notre incompréhensible silence.

Nous brûlons pour l'essentiel
hors de toute chose dite indispensable,
hors du cercle bâtisseur de convenances,
de ce cercle où l'esprit de notre temps
loin d'être occupé à élargir sa circonférence
occupe lourdement le centre.






La source


Hors d'ici,
il est un autre lieu
où nous préservons nos forces,
où nous parvenons encore à garder intactes
les cordes vitales du monde.

Dans le nœud ancestral des choses
qui nous lie à nos racines,
dans le vent qui, ailleurs, plisse le sable
et fait naître des tourbillons
dans l'océan des fougères,
en ces fragments de lumière
annonciateurs de noces sonores.



Entre l'eau et le ciel,
l'herbe et la terre,
nous avons retrouvé l'ancienne paix
d'une montagne au sommet arrondi
recouvrant de sa verte solitude
le tumulte souterrain d'une source.

Hors d'ici, il est un autre lieu
loin des routes où le goudron étouffe la terre,
où le ciment clôt le regard de l'âme,
où la multitude invente chaque jour
mille morts isolées.

Hors d'ici, il est un autre lieu
où le ciel est un guide et non un espace à conquérir,
où la pierre est l'axe de vie
et non une stèle parmi d'autres
dans l'immense jardin abandonné des hommes.


 

Combats pour la langue



 
Nombreux sont ceux qui hors de leur langue
ne sont pas à l'écoute d'autres langues.

Nombreux sont ceux qui croient avoir épuisé
toutes les richesses de leur langue.

Nombreux sont ceux qui, trop épuisés,
n'ont pu user de leur langue pour être sauvé.

Nombreux ceux qui, nés avec une langue,
ont oublié leur langue.
Nombreux ceux qui ont appris
puis oublié leur langue.
Nombreux ceux qui ont avalé leur langue,
ceux qui ont appris à retenir leur langue,
ceux qui nés avec une langue
n'ont jamais pu apprendre leur langue.

Nombreux ceux qui se sont crus
capables de maîtriser seuls
le génie de leur langue.

Nombreux ceux qui,
possédés par leur langue,
n'ont pas su explorer d'autres langues.

Nombreux ceux qui piétinent leur langue
et veulent s'en sortir  par la seule magie de la langue.

Nombreux ceux qui éprouvent la soif
dans le désert de la langue
et ne pensent plus à la langue de leur terre.
Nombreux ceux qui, encerclés,
dans le désert de leur langue,
ont pris les armes  pour défendre leur langue.

Nombreux ceux qui ont perdu leur langue en ces déserts.

Nombreux les déserts
qui ont dévoré tant de langues combattantes.

Nombreux ceux qui sont morts
pour défendre leur langue.

Nombreuses sont les langues
gardiennes de l'identité des peuples.

Nombreux sont les peuples
qui ont à défendre la mémoire de leur langue.

Nombreux ceux qui, pour garder leur langue,
doivent maîtriser la langue de l'ennemi.

Nombreux ceux qui périssent avec les leurs
pour sauver leur langue.

Nombreux sont les peuples
et nombreuses leurs traversées du désert.

Dans toutes les langues,
nombreuses sont les traditions
qui préservent la langue.

Nombreux ceux qui, nés avec leur langue,
meurent sans langue.

Nombreux ceux qui,
au nom de la liberté des langues,
au nom de toutes les langues,
mortes ou vivantes,
au nom de toutes  les langues méprisées,
au nom de toutes les langues réprimées,
au nom de la langue qui est l'âme du monde,
de leur langue ont fait un combat.


 
  
Solution



Dans le cercle
nous n'étions rien,
hors du cercle nous ne sommes pas encore.
Pour échapper au cercle
devenir sa circonférence.









Observation




Tout ce qui se fait hors
se vit avec le dedans,
tout ce qui reste dans
pense déjà avec les morts.

Toute pensée
est une forme fabriquée
où verse le dit,
ce dit est un fleuve de paroles
qui entraîne l'acte
comme un arbre arraché
à sa rive natale.

Seul le silence
né dedans
entre deux bruits,
entre deux rives,
permet à l'arbre
de résister et de croître.
Seul parvient à vaincre
le silence
construit sur une seule respiration.



 


Petit conseil pour les morts futurs




Le voyais-tu ici ?
En haut du mur
ce portrait au regard gris
vissé dans un visage flou.

- Je le voyais
à la limite de notre présent,
comme une icône,
parfaite représentation
d'un monde qui n'était plus.

- Ce regard gris  je ne le voyais pas,
le flou du visage je ne le voyais pas,
mais le fil tendu entre son esprit et le nôtre,
était pour moi de l'ordre du visible.
- Seul ce qui se voit est visible

- Ce qui sort de la terre est visible,
ce qui rentre dans la terre commence à disparaître
 du monde visible,
ce qui est sous terre n'est plus visible
mais œuvre pour le visible.
Ce qui se dirige vers le ciel reste encore visible
un temps qui, pour nos yeux,
est encore de l'ordre du visible,
déjà la nuée le soustrait à notre regard
mais pour celui capable de s'élever
ou vivant au-dessus des cimes
tout reste encore visible.

- Ceux qui ont disparu sont hors de notre monde,
 définitivement,
la mémoire que nous avons d'eux
disparaît avec les  êtres et les objets
qui les avaient accompagnés.
Une fois ce temps des êtres et des objets écoulé,
il ne reste rien.

- Rien de visible, mais la trace qu'ils ont laissée
est inscrite dans l'écheveau de nos propres traces.
Nos paroles aujourd'hui s'alimentent au même fleuve,
nos mains brûlent de la même impatience,
notre corps et notre esprit
connaissent les mêmes tourments, les mêmes joies,
nos membres étaient comme les leurs
avide de jouir du vent, de l'air, de l'eau, de la pluie,
de la chair mêlée a la chair, de la peau collée à la peau.
Toutes nos peurs et nos désirs
ne sont que répétitions des leurs.
Nous ne pouvons nier la réalité de l'invisible,
elle nous rend chaque jour un peu plus visibles,
avant de nous effacer à notre tour
pour céder la place à d'autres visibles,
d'autres consciences qui repartiront
un peu plus chargées de la nôtre.







L’aveu de l’amant




Hors de moi
je ne vois que vous,
hors de vous
je ne pense qu'à vous.

Des paysages peuvent se construire
et se défaire,
derrière mon dos,
sous mes pieds,
je suis hors.

Hors de moi
je ne vois que vous,
sans vous je ne pourrai être moi,
sans vous
il me semble être
perpétuellement
en dehors de moi,
sans vous je ne suis plus moi
et si de vous je n'ai de réponse
je ne réponds plus de moi.


Hors de vous je ne veux plus être,
sans le savoir vous êtes devenu moi,
moi qui tout entier
brûle d'un  seul désir : être à vous.







Hors d’elle




Hors d'elle,
être hors d'elle,
me suis retiré,
elle a reculé
d'un pas,
hors de portée
de sa musique,
de son ombre à elle,
ombre sur sa musique,
elle,
soupirs,
sourires,
multipliés
sans effort,
elle,
repliée
dans son ombre
à elle,
main tendue
et sombre,
hors d'elle,
enivrée
d'ombres
de passage,
demeurée
extrêmement fragile,
ne pas plier
en entier,
chose à l'ombre liée,
ombre abandonnée
au seuil,
au fil du sol,
du mot fil,



devant
la porte
fermée
portant numéro,
au sol
comme d'autres
sur des portes
semblables
portant uniforme,
l'ombre  retirée
hors d'elle,
soudain,
hors jeu,
se tenir
toute peau enlevée,
cerveau battant
la mesure,
toute musique
dehors,
le corps en manque
d'appui,
hors
la pluie,
sous les arbres,
reculer
aussi d'un pas,
perdre
toute
mesure,
reculer vers
l'ouverture
de sa bouche
à elle,
se glisser
dedans



tout entier,
plié dans
sa bouche,
dans son ombre
humide,
plié
dans
sa bouche
d'ombre,
au bon
endroit
de l'ombre,
là où
l'arbre
pousse
droit
sur des collines de sel.



                                                                      Tentative théâtrale





- Sortez-moi d'ici au plus vite (murmuré)

- Croire en un autre monde possible
ne pouvoir accepter l'idée
qu'il existe un dehors inaccessible.
- Sortez-moi d'ici au plus vite ! (voix insistante)

- Ne pouvoir vivre ainsi,
mourir dans l'absolue certitude
que personne ne viendra, absolument personne.
Veiller au bon déroulement de la scène,
au bon fonctionnement de la machine,
à la justesse de ses réglages,
à la parfaite circulation en ses circuits.

- Sortez-moi d'ici au plus vite ! ( voix pressante)

- Le lieu peut paraître obscur, le corps déserté,
ce corps-écran où plongent nos mains virtuelles
pour en ramener du désespoir en comprimés,
en sachets recyclables.
Faire vite, toujours faire plus vite,
faire au plus pressé, se presser, se compresser,
au plus près.
Prêter une attention quotidienne à ce corps,
corps comme un sac de noix renversé.

- Sortez-moi d'ici au plus vite ! ( voix étranglée)

- Nous arrivons même à aimer notre indifférence,
nous ne lisons plus,
nous sommes devenus des journaux vivants.
Nous nous félicitons de ne pas entendre,
de ne vouloir entendre la souffrance des autres,
véritable menace pour notre précieux équilibre.
Seule la performance nous maintient en éveil.
Chaque individu est son propre monde,
tout doit suffire à combler nos désirs.
tout devient prétexte à nous épanouir,
Vivez vos passions !
Dépassez-vous !
Offrez-vous les machines
de l'assouvissement absolu !
Multipliez ces  images
qui lénifient le monde,
lavent et tordent les consciences !
Buvez les couleurs les plus criardes !
Nagez dans un flot continuel de sons mixés !
Faites que vos vies ressemblent
à des leurres publicitaires !
Suivez vos régimes à la lettre J comme Jouir !
Surveillez la qualité de vos rapports
de vos apports quotidiens
en lipides, glucides, et acides,
ne négligez pas votre corps
il est tout ce qui vous reste !

- Sortez-moi d'ici au plus vite   (en un seul souffle  précipité)

- Nous arrivons ainsi en bonne santé à la fin du parcours,
é-qui-li-brés , certes perfectibles
mais dans un monde lui-même perfectible.
Hors de cela, hors de ces tourments d'êtres quelconques,
sommes l'enjeu de pouvoirs
que nous ne parvenons à contrôler
malgré notre excellente volonté,
notre excellente santé mentale,
l'excellente gestion de notre corps et de notre temps.
Certains d'entre nous s'affairent au centre,
au centre d'une économie se dévorant elle-même,
et au centre de ce centre tant de bruit !
que nous ne pouvons entendre ce cri
suivi par le bruit sourd d'une chute.
De dépit, éteignons l'écran, rejoignons notre lit
dont les draps chaque jour sont changés.

- Sortez-nous d'ici au plus vite ! (plusieurs voix lointaines  murmurantes puis de plus en plus proches et distinctes)

-Le buste soudain levé droit, yeux hagards, le corps en sueur, comme émergeant d'un mauvais rêve :
"De l'aide ils demandent de l'aide,
mais qui suis-je-moi  pour les faire sortir de là où ils sont entrés ?
Suis-je responsable de leur volonté d'aliénation ?
Je voudrai dormir, dormir et oublier, dormir et oublier… "
(Sa voix plaintive est recouverte par le déchaînement cacophonique de ces voix,  l'homme a enfoui sa tête sous son oreiller, les mains crispées dessus et le corps replié genoux sous le ventre.)






Je vous salue 




Hors de toi
point de salut,
je vous salue donc,
vous tous, en dehors de moi.

Hors de vous
ce salut,
ceux qui sont dehors te saluent.

Ceux qui hors de toi
dictent les règles,
prétendent montrer à tous
la voie du salut.

Ceux qui hors de toi
recherchent leurs yeux
dans la profusion inutile
de leurs écrits.

Ceux qui hors de toi
commettent chaque jour
le crime d'ignorance,
plus attentifs au salut de leur corps
qu'au salut de leur esprit.
Ceux qui hors de toi
prennent l'autoroute
et se gaussent de toi,
toi qui prends le chemin.






Le cri




Hors du cri
la bouche,
dans cette bouche
le cri
conçu comme un cri
trop longtemps enfermé
et libéré en un seul souffle.

Ce cri
sorti de la bouche,
de ce cri nous parlons.
Il  est un peu tard
pour qu'un tel cri
soit aujourd'hui entendu,
compris justement
en tant que cri universel.

D'un tel cri nous parlons,
cri semblable à des millions d'autres cris
sortis de millions d'autres bouches,
honte soudain,
de ne pas avoir entendu,
de ne pas avoir voulu entendre
ce cri répété par des milliers de bouches,
honte de n'avoir pas entendu
ce cri unique, rassembleur.

Cri de méduse
dans l'arrondi de légende,
après l'avoir entendu ce cri
dans toute sa démesure,
sa douleur,
extraction violente
hors la bouche
plaie ouverte
un tel cri
nous nous sommes souvenus
d'un autre cri adulte
qui tordit un instant
les toits et le ciel de la ville,
un cri d'adulte
planté en notre corps d'enfant,
nos os en furent griffés.

C'est aujourd'hui
dans notre tentative
de décrire l'universalité du cri
que ce cri remonte de notre enfance,
nous gifle.
.
Le temps
que ce cri
se
souvienne
se
soustrait
à cette bouche
le
temps
que
la bouche
s'ouvre
et
se plie
contre
avec
la langue
le temps
d'une
nuit
contre
la bouche
le temps
qu'une bouche
fond
de tiroir
se ferme
et ne livre
son
secret
son
tiroir
de dessous
de table
sous
la table
passer à
outre
sous les mots
du passé
à l'ennemi
accrocher
les mots
comme des sabots
à un clou
à quelques pas
cloué
à la bouche d'incendie
au temps des mouches
qui cli gnotent-gnotent-gnotent-gnotent…
et crépissent
miroirs
dernier
cri
pour une bouche
ouverte
trop offerte
fausse
raison
oraison
pour une
caisse
ouverte
passer à
table
passer au
feu
passer
combien la passe ?
bouche vendue
au silence
du client
incendie du sexe
la nuit
l'ennemi
tremble un peu
sur tes mots
la mort clapote
capote
près de la bouche
des égouts
lampe qui cli gnote-gnote-gnote-gnote …
au temps des mouches
qui chient
semence
sur miroir
dernier cri
trop frotté
sur trottoir
trop frotté
sur tant de bouches
cris
en flottaison
vilaines cargaisons
de sexes gonflés
de fausses raisons
bouches bées
béantes
le froid les surprendra
dans cet intervalle de la mort
raide
sur le temps qui s'enfonce
et fonce vers
ta bouche
tous ses doigts
ses doigts
qui te pénètrent
te forcent
te forcent à
vomir le temps
le temps qui rend
les restes
de ce qui reste
du temps
où nous attendions en rang
le tintement
de la cloche
le temps qui nous exhume enfant
nous rend à la source
de ce temps figé de l'enfance
cette enfance idéale
qui nous libère les pieds
nous retire les chaussures
chasse les guêpes
qui paressaient sur nos corps
hors la bouche
qui peut parler ainsi
de ce temps
du vent
celui qui vient
tout droit là-devant
d'un au-delà des toits ?
là où la ville cache
dans les sombres remous de ces deux fleuves
ses douces monstruosités.




Le linge




Hors de combat,
hors de la lutte,
trop de fuites misérables
pour chanter cela,
trop d’abandons
dissimulés sous le linge propre,
ce linge jamais exposé
à la lumière du dehors.

Hors la trouée dans ta chair,
Hors cette trouée,
la fuite par le langage,
seul monde possible,
hors cette excavation
où toute plaie reste
affreusement ouverte.




Les sans lieux




Hors de tout, devenues moins que des choses,
formes sans pensée aucune,
formes prête à épouser d'autres formes.
Hors de tout tirées, poussées,
pour être moins que des absences.
Hors de tout
vous arrivez en ces lieux
vous arrivez, hors les coups qui pleuvent
vous arrivez malgré toute cette violence
à entrer en ces lieux, à vous y ancrer,
hors ces souvenirs des coups qui pleuvent,
pleuvent les larmes
qui elles n'ont jamais pu sortir,
toutes secouées, tellement secouées de coups,
qu'il ne restait rien d'elles
hors ces souvenirs bleuis par les liens,
ces bleus après les coups.
Hors ce présent, vous fuyez
avec le souvenir de toute cette violence,
avec toutes ces vagues de mers encombrées,
hors ce lieu, là, devant vous
se redessine maladroitement un paysage.
Il n'est plus temps de désirer un autre lieu
pour y enfouir vos petites morts passées,
il n'est plus temps de découvrir un autre lieu
hors le lieu, hors de Dieu,
hors de toute velléité de rejoindre Dieu,
hors de tout éveil,
du règne du vide sur le vide,
de toute vie construite
sur la mort de milliers d'autres,
hors toute théorie du vide,
hors le lieu, hors la distance,
vous êtes devenu autant de lieux déserts
incapables de se découvrir ou de se répondre,
hors de tout lieu de mémoire,
hors de toute ressemblance avec tout lieu de mémoire,
portés hors, hors de tout ceci,
à la fin devenus des sans lieux .







Interrogation dernière





Hors de cette parole
comment retenir,
contenir le verbe,
le réduire pour qu'il puisse rentrer
dans l'obscurité de notre bouche.

Obscurité violée à tout instant
par cet effort démesuré,
tentative d'exploration de la langue
de toutes les subtilités de cette langue.
Hors cette parole
comment traduire le texte ?
Apologie du savoir non-faire,
du savoir non-dire,
comment utiliser l'envers
et les travers de ce texte ?
le mettre en notre bouche,
le mettre en bouche,
si nous ignorons comment expulser les obstacles
qui obstruent la caverne de cette bouche ?

Comment recracher l'obstacle ?
Se délivrer de l'angoisse permanente
née de la mauvaise utilisation du verbe,
là où le quotidien est l'obstacle permanent,
en ces circonstances ou l'incongru devient
pierre angulaire de tout l'ensemble.
Comment faire obstacle à cela
si nous ne savons glisser
à la fin de nos phrases
ce silence seul
capable d'éjecter l'intrus ?
Tenir, face au présent du verbe
tenir le temps d'un verbe,
modèle lié à l'opiniâtreté de notre langue,
modèle à la mesure de notre appétence
de notre propension à proscrire l'essentiel.

Comment se protéger dès lors
derrière l'incroyable paravent des mots,
comment bâtir un discours
propre à être scandé
sur la grand-place d'une ville
livrée à ses démons nocturnes ?

Comment goûter au verbe
si nous ne savons plus manger ?
Si tout ce qui se perd en notre bouche
est définitivement perdu
pour l'ensemble du corps
et du monde ?
Si tout ce qui coule en notre bouche
a oublié son état liquide  originel ?
Si ce qui est encore consistant
devient dès que notre esprit veut s'en saisir
bouillie sans saveur ?
Si autour de la  table
se tiennent immobile et muets
des convives sans dents ?







Le chant

 


Hors du chant
habité par la langue,
hors la paroi,
hors ce côté solide du verbe,
ce côté du squelette de la parole,
hors cette naissance
hors du sommet et de la plaine,
hors de l'ivresse,
hors du tourment absolu,
du manque d'eau,
hors de ces interminables couloirs
qui conduisent aux chambres,
hors les rivières,
hors les lits fangeux du fleuve,
hors la bouche bavarde,
hors cette parole
feignant de livrer ses secrets,
hors ces paradis d'argile
et ces grottes très sombres,
hors la première version du texte,
hors du premier versant,
hors de ce peu de bravoure
qui nous fait tenir
côte contre côte,
chair contre chair,
hors ce premier brouillard
qui nous immerge,
hors ce  mur,
cet arbre,
cette table,
où nous voulons en finir
avec toutes nos faims
et nos soifs,
hors ce tronc
dans lequel se creuse la pirogue,
hors ces yeux
qui font mentir la bouche,
hors ces armes qui parlent
le langage du feu,
hors ce feu
qui forge l'arme,
hors ces coups qui pleuvent sur nos têtes,
hors ces mauvais esprits
qui brandissent leurs colères
comme des torches,
hors ces pays traversés
par les vents, les guerres et les famines,
hors toutes ces faiblesses,
ces supplications,
ces offrandes versées
aux pieds des divinités aurifères,
hors ces mots
objets misérables à jamais mutilés,
hors l'innocence
et son existence toujours coupable,
hors cette pierre,
ce couteau planté dans la chair,
hors cette ouverture dans le ciel,
incompréhensible
et belle à la fois,
hors cet ange rouge
chantant la mort
pleurant des missiles
sur des peuples enfants,
hors le béton
et son silence armé,
hors les réseaux
et leurs tintamarres de ferraille,
hors les machines
et leurs sirènes dictatures,
hors tous les murs
et leurs cris tagués,
hors ces fuites incessantes,
hors ces silences plantés
comme des pieux autour
de territoires inadmissibles,
hors ces champs morts
sous des herses semeuses d'effrois,
hors ces chemins
qui ne connaissent pas encore les routes,
ni le sens giratoire,
ni le sens interdit,
ni le sens unique,
ni le double sens,
ni l'obligation de céder le passage,
ni la route absolument prioritaire
sur toutes les autres,
ni le passage protégé,
ni les feux comme des drapeaux
voleurs d'aubes et d'aurores,
ni tout sens imposé par les dictionnaires,
hors la grande circulation du sang dans vos veines,
hors le niveau des mers qui monte,
hors la véhémence du ciel d'avant l'orage,
hors les nuages,
hors les grandes migrations,
hors l'exil
et ses pensées exténuées
sous le drap bleu de la mer,
hors ces chants impénétrables,
hors ces sphères brûlantes qui s'ouvrent,
hors ce travail,
hors ce jeu dans l'espace préservé du sommeil,
hors cette langue
éraflure faite au soleil,
blessure au flanc d'une colline,
jouissance
dans l'arène de sable,
hors cet art de marcher
sans heurter la pierre,
sans jamais toucher le sol.
































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