samedi 28 janvier 2017

La veine secrète 1977 -1978








LA VEINE SECRÈTE


1977-1978









ESQUISSES


Il n’y avait rien d’autre
que cette nuit
où des absences se cherchent
en d’autres absences,
la mort latente,
noir silence, 
quelques sanglots égorgés
dans la moiteur d’un corps qui se tait.
Les remords à peine étouffés
pour la bonne conscience
d’une âme neuve,
les cris de la mer
que transperce le dernier rêve,
l’amour  
pour ces rives désertes
et la grande paix des guerres sans nom
celles qui meurent et naissent dans l’ombre.

                                                                       Mars 1976




ARÈNES


O douceurs !
puis vaincre en ces mots,
briser une âme,
laisser la terre recouvrir,
débris,
fous,
folles,
les siècles,
coule le temps
ne coule plus le fleuve,
os de verre
figés,
laisser la terre recouvrir,
jeter une pierre sur le singe mort,
cracher dans l’eau,
un coup de vent,
emporté !

O Cœur qui ne désire que ruptures !
Voici qu’une âme aimante méprise !
Dérivent caresses, nuits glissent !

La  main d’une femme
cette main se tend pour un regard,
vies rangées,
vies rongées,
souffle des heures,
gouffre des heures,
où s’enivre l’amour déçu
fausse gaieté
et guetter dans les fosses
les jours,
les nuits,
qui te ressemblent.
Je te dirai être résigné sous la  folie des vents,

multipliés par ma raison,
cent miroirs se faisant face

et les jeux de la nuit sur ton corps blanc.

O éveil de l’âme !
Regards en d’autres lieux !
O vie d’apparences !
O mort simulée !
On étouffe où l’on voudrait crier,
on meurt où l’on prie,
la lumière reçue et la vie reprise,
je n’ai d’âme que pour celle  à venir,
dans nos crânes vides tourne le soleil,
claquer des dents,
claquer tour court,
le temps d’éteindre une cigarette
et le taureau mugit
la corne se brise dans le sable rouge
laisser la terre recouvrir….

                                septembre 1976




                  DIX-HUIT PAS SUR l’AUTRE RIVE


I

La brise doucement sur nos anciens jours
O caresses déliées sous la douceur des palmes !
Les faunes ne sont que de sombres sifflantes
et les chasseurs de perles ne répondent plus.

II

Glissent dans les chambres d’ombre
les voiles sur la bouche des morts,
terres amères et rives sans nom
là où nos cœurs vécurent
je ne dirai ni l’heure ni le jour,
tu n’avais qu’un nom pour te dire vivante,
tu n’avais qu’un corps pour te dire amante.



III

Folles étrangères qui viennent
aux premières heures du jour
se lier à mon corps,
le fleuve de ma mémoire
saigne de vos exigences,
l’aube dénombre parmi les herbes hautes
quelques murmures, souffles du soir,
sur cette terre de feu
là, où les oiseaux de glace
furent un langage d’ailes déployées,
où les sources ont fait Dieu
de pierres et de silences.

IV

Ami, tu fumes là de mauvaises herbes,
sources, nuits, où ne s’éveillent que dards corrompus,
O murs, murailles….Ombres du cœur.
L’éclair d’une nuit
où le silence est poème et le poème forme.


V

Silence l’Amour ! Les choses se taisent
vos mains désargentées, pierres du poème,
voient éclore l’irréelle beauté
des feuillaisons transparentes.
Devant la nuit et devant l’homme l’aube frémit
cœurs acérés !
Qu’une âme seule s’émeuve de l’appel d’un jour !
Sur la terre du poème météores …




VI

A toi qui derrière les  murs écoutes,
la vie des hommes libres,
leurs pas et leurs cris,
leur haine grandissante.
Qui te dirait d’aimer
étoile d’encre du poème qui se brise ?
L’ombre tremblante de ma main délaissée
regarde la glace fondre et s’effacer mes pas.

C’est Midi clos dans l’ombre des murs,
ronde d’enfant que le ciel n’inspire plus
j’ai rêvé de couleurs qui ne s’éveillent que la nuit.




VII

Toi qui t’éveillas aux senteurs d’amour
le voile blanc à tes pieds gisant,
le voile de ton âme qui se froissa en mes mains.
Quel cœur pourrait hanter ta mémoire
de l’aube première au dernier crime ?
Qui te tisserait de songes et de ténèbres mêlées ?
Qui inventerait pour toi ce rire immense
cri de solitaire blessé ?


VIII

Dans les chambres de mon amour vaincu,
il fut de ces chants remplis de tristesse,
souvenirs de terres anciennes
qui n’eurent jamais de nom.


IX

O Vitres, murs du silence !
Comme des lames alignées
la nuit joue au sage sur les pierres froides du désir.
L’ombre se reconnaît dans le chant d’une femme
qui pleure sa mort, se lie à d’autres terres d’effroi.
Les rameuses du fleuve ont des hanches de cuivre
un cri, un corps qui se tend,
le vol des tangaras sur la terre rouge,
mains longues et blanches,
c’est l’appel des amantes,
leurs lèvres enfiévrées parcourent les veines roides
des gisants de marbre.
O plainte des amours confondus !
S’étendre sans  espoir d’éveil
sous la dalle froide et creuse !



X

Nous fûmes de pierres et de sang mêlés
un seul langage sur cette terre
de glace et de silence,
nous fûmes moissons de visages inachevés
et quand vinrent sur nos faces voilées
les grimaces de la mort,
il n’appartenait plus aux hommes de nous juger.







XI

Un signe,
un seul signe,
la grille d’un jardin
où l’ombre sait surprendre
la fin du jour
ou peut-être une main
qui cherche dans mes paroles
comme un oiseau mort, un profil.
Attendre et toujours se bercer
de songes trop lents,
de souffles égarés,
ce soir les visiteuses sont de verre
et elles cassent brusquement sans un mot
en nos mains glacées.






XII



J’avais laissé là, l’heure intime
l’étoile ce soir s’était nommée obscure.
Ce fut l’heure
où les chaises rapprochées luisent
où le rideau
sur la scène
saigne
vertical.






XIII

Naissance d’écume
la grâce que l’on ignore
sème sur ces terrasses
mains blanches et folles herbes,
nomades
se souvenir
d’un regard à l’amant
sur sa croix de buis noir,
l’astre un instant
perçu comme déchirement.



XIV

A ce jour tu es lampe
dans la ville des rumeurs,
le fleuve charrie ses ombres,
des taches noires sur les vieux murs
tirent les rideaux.


XV

Chercheurs d’or et de perles
noués ensemble en ces fonds marins,
première nuit,
dernier miroir,
les sables portent des traces d’étoiles mortes.
Guetteur !
Sur une des deux rives
témoin des grands spectres de la gloire,
toujours le même geste de respect.
Exigence,
la foule sur chaque seuil
te faisait gardienne immuable.






XVI


Il y eut l’écrit et la mort célébrée,
dans la coupe du poète
reflux d’un plus grand monde.

Poussière d’étoiles, cendres,
sur cette terre où la femme seule feint d’attendre.
Les eaux fuient,
les lampes meurent
dans la nuit des sables.


XVII



Cri de l’oiseau aux écluses du rêve,
l’herbe grise, me souvenir,
fièvres sur ta peau nue,
appel  de l’oiseau,
péroraison du souffle
sur les parois de verre,
les pierres roulent avec le silence
à la main tranchée répond la douleur de l’absence.



XVIII

J’avais plus d’un siècle !
L’ombre me guettait,
j’avais plus d’un siècle
mais sur les deux rives
c’était toujours trois grands oiseaux.

                                            

                                                                                         Septembre 1976





MIGRATIONS



J’avais ce soir deux astres éteints sur ma route
et des rocs de bronze sciaient les étoiles,
les mots comme hydres sur ta bouche.

C’était sur les marches de pierre
l’amour obscène et l’ivresse de la nuit.
Les veuves aux lanternes
tournaient dans la deuxième rue,
par instants le miroir prolongeait
la longue table laquée,
les nappes trop blanches,
les jeux des lampes vertes.

Debout,
la femme livide,
l’éclat pourpre de ses lèvres seul semblait sourire,
ses yeux peints ne voyaient plus
le danseur bleu sur la corde,
la statue parlante,
la place où les pendus se font guirlandes.

Dormir ! Qu’une lampe ne s’éteigne
et une main sur son corps
parlerons nous d’espoirs
et de vierges renaissantes ?
L’infortune de ce temps nous avait parlé.

                           




L’ÉTRANGÈRE


Quelle perle au creux du jour
son éclat perdu,
la nuit s’interrompt
l’ombre glisse entre les saules de pierre,
la fontaine a deux têtes de méduses penchées,
dans ces eaux j’ai vu l’étrangère
la nuit en son regard,
les lignes de sa main
offertes pour un soir,
l’onde verte a ses pieds.
Je te dirai O reine !  Sur la flamme de l’offrande
la lente montée du fleuve périssable.

Quelle perle au creux du jour
te parlera d’oiseaux perdus 
sur les  terres de nos rencontres ?

De nos premières rencontres
le furent-elles vraiment ? 

La nuit s’interrompt et l’ombre glisse
entre les saules de pierre.

                                                        

                                                              Février 1977



LA VEINE SECRÈTE DU LANGAGE


I

Comme ces chants qui respirent
dans le plus lointain de nos âmes,
comme ces chants des plus hautes marées
viennent à recueillir
les oiseaux fous, l’île aux cent langages,
la vague meurtrie,
la lampe toujours immobilité bercée,
à ce chant immuable
la terre seule peut répondre.


II


La femme craintive
laissait ses doigts errer
en de longs soupirs
sous les portes closes.

la femme craintive
plus belle encore
d’une nuit d’oubli
songeait aux noirs labyrinthes
qui la retenaient captive.
                                        
III


À votre approche grandeurs !
Se dérobent nos lèvres,
les masques peints sont derrière le jardin,
carnavals de l’oubli, le singe grimace,
l’horloge s’immobilise,
la vielle se suicide,
deux perles sur la table de nuit,
l’une est verte…


IV

Chercherons-nous sur vos lèvres peintes
les traces d’un désir qui se sait désert,
la douceur lassée des pluies sur le fleuve,
une nuit d’espoir, un jour d’oubli
derrière les portes d’acier ?




V

Puis vinrent les hommes,
là où la ville est haute
et riche de mille oublis,
là où nul n’effleure le marbre brûlant
où des vaisseaux de pierre comptent les marées.
Puis vinrent les hommes
de grandes chutes sous les noces du ciel,
des gares et des quais embrumés,
pour voir la machine,
cette machine à cracher les mots
les phrases,
ce poème même, vis arraché.



 VI

Je sais d’une nuit
les chantiers de la mer,
au doux sourire qui fut le tien, encore …
de grandes réponses
dorment sous les eaux.

Je sais
la ville aux mille pylônes,
la ville sirène,
les quais,
les routes qui descendent
à la rencontre du fleuve,
en contrebas
le souffle des chasseurs d’étain.


VII

A votre tempe
les siècles mûrissants
sous les lampes vertes de Midi,
marches murmurantes
entre les hautes figures de pierre,
(Et c’était à elles seules
que revenaient les mérites de l’absence.)







VIII

Il ne fallait peut-être pas
écorcher du bout de l’ongle
la pierre.
Flux de fièvres
au bord de la mer,
apaisement d’un souffle,
c’est tissé de songes
que je vis les chaises,
toutes les chaises,
là,
désertes,
et la scène au lourd rideau de pourpre
il ne fallait peut être pas,
les trois coups de Minuit…



IX

Celui qui se garde
des hauts barrages sonores
des ports foudroyés et messages d’une femme.

Celui qui se garde
des chambres profondes
où jamais souffle ne fut révélé !

(le peigne était là corne fendue)

O poète, je ne dirai pas ton nom, mais les eaux montent !


                                    

X



La  nuit régulière,
les cent pas dans la cour,
un chien en surveille l’entrée,
les armes debout contre le mur de pierres,
les arbres rouges,
le vol invisible,
la terre très sombre,
une pierre roule lointaine
avec un bruit de bête blessée,
souffle des herbes,
mille désirs, pierres gravées
que le silence pulvérise.

Les marches ont perdu leur blancheur
sous les lampes vertes
la main du guetteur
avait suivi leur vol lent et sûr,
le meurtre alors n’était qu’un seul mot,
un silence,
dans le bruissement des armes.


 XI

Je vous reconnais
à vos fleuves,
à vos chants innombrables,
je vous reconnais tous,
à la mante religieuse vos désirs liés.

Vert et Or,
la bague à son doigt
nouvelle mésalliance,
le masque peint des Rio-carnavals,
perles et promesses d’une terre agitée,
livres d’une science d’oublis,
les écrits impérissables
et ce souffle engendré,
la mémoire d’un seul
en préparait le nom !

Mains de mères jamais reniées
l’or loué, pour des lunes rivales,
comme doctrine de tout un peuple !
Chairs liées à la douceur des rives,
entraves profondes,
la main prompte au désir
flexible et douce…
Les longues persiennes
perçoivent la nuit rythmée
et c’est là que mûrissent les perles du jour,
les marées incessantes,
les chants naufrageurs….



XII

Les villes de paille brûlaient sur les sables
l’ombre s’inclinait sur l’herbe humide
songe nuptial, 
moiteurs d’eaux mortes,
l’ongle sous la paupière,
un doigt levé contre le vent
puissance qui s’interroge.
O vol tissé d’impatiences !
Peuples en marche,
les grandes îles aimantées,
palmeraies noires,
où se prolongent vos membres
sous les sources intimes.
C’est dire femmes outrageantes
le destin qui s’égare,
la spirale de vie avortée au grand jour,
mots de paille qui flambent dans la nuit secrète.



XIII

Sur le sentier de mangues au silence renoué,
fuir le chant des conques souterraines,
fleurs noires sur les hautes terrasses,
chambres de marbre
où l’étoile pourpre sur ton ventre
songe à d’âpres liqueurs
offertes dans la coupe des deux mains tendues :
Espace comblé par deux siècles d’appartenance !



XIV


Le fleuve a ses routes lointaines et précieuses,
son escorte de lunes ardentes aux rémiges de pierre.
L’ombre vécut et conta son périple
on  marche sur les eaux entends-tu ?
L’astre qui s’avise du retour comparable
l’air module de nouveaux songes d’albâtre…



XV

Est-ce toi muraille
ouvrage du temps sans périls,
vivante stèle et vivant litige ?

A tes pieds nous parlerons d’écrits futurs,
des richesses courbes du savoir humain.
Je suggère une force plus vive
en tout lieu de nos rencontres,
une valeur impérissable, piège de la véracité.


XVI

Lait noir de midi sur l’échine de pierre,
rampes de verre en des mains soucieuses,
mers grandissantes,
songes des nuits intérieures,
un peuple millénaire se hâte
riche de patiences souterraines.
Le poète lassé du tumulte des eaux montantes,
déchire un recueil d’écrits nouveaux.




XVII

Nulle marée renie la vague première
nulle marée a la douceur secrète
des femmes assises sur le cuivre des siècles.

De l’heure régulière seuls nous avons l’alliance,
sur vos lèvres de fer, fontaines obscures,
le sourd reproche d’une terre immense et vaine.

Poètes des abîmes,
à vous détenteurs de plus hautes parures
mon chant gravé sur des lèvres étrangères
mon chant,
nulle marée en renie la faute première !


XVIII


C’était l’heure de cuivre
où l’oiseau transgresse le ciel,
où la mémoire du poème
porte l’éveil des mots.

La voix s’est fait écriture
sur les hautes chaussées de marbre
où nos servantes aux mains soyeuses
premières douceurs,
cendres de nos plus beaux jours,
restaient à l’écoute des vents.




XIX


La sagesse du soir est un arbre vieillissant.
Délivrance première,
le jour qui se divise délivre un à un ses mots,
et c’est un plus grand vent
qui scelle le silence des pierres,
conques à vos murmures !
L’aube des îles est peuplée de brisants.


XX

L’ombre discourt sur les bancs de pierre,
louange de l’astre
c’est le soir qui descend,
paupières tissées, la mer se retire,
je n’ai dit mot d’une terre étrangère
au moindre de mes désirs,
je n’ai dit mot, songe alors à l’espoir
de rompre enfin la double écorce du plaisir.


XXI

Sur trois terrasses devant la nuit
rose de marbre
nous eûmes des noces de chair
aux lueurs d’incendies.
Parures, règnes de lenteur,
vous me prêtez méduses
vos chroniques de blancheur,
et que possédaient
veuves éphémères
vos îles
où le ciel prophétise de plus grandes écritures ?


XXII

Je vous dirai, fleurs indécentes,
la puissance d’aimer,
c’est là le mensonge d’une reine,
le chant d’une femme sous la mer.


XXIII

La mort d’un pays est sevrée de silences,
ce sont en vos seules mains,
espoirs ruinés, fortunes plus grandes,
je vous hais comme haïssent les condamnés.



XXIV

O Jamais ne vinrent
pour ces années perdues
si loin de toi,
de toutes les choses
qui portent le nom d’amour,
vagues déferlantes
qui parlent de vingt-quatre images,
à chaque geste
que l’air dessine autour de toi,
à chaque mot gravé au plus profond des pierres,
lumières, le jour, la vie,
jamais ne revinrent.


XXV

Les masques de nos princes sont des oiseaux de mer,
O La mer, la mer et ses oiseaux fous !
La mer comme un linceul !
Les traces de l’exil à la fin du jour
où excelle mainte saveur,
le devoir des veuves,
la marche des prophètes,
de l’éveil aux chants périssables
une main aimante, seule, dispose.


XXVI

Veillées des eaux
les temples sur les rives sont autant de mystères,
qui parle à nos princes
de fêtes jaunes sous les dômes de pierre 
où l’œil de bronze, membre ailé du savoir,
est seul vestige des races premières ?



XXVII

Saluez O profonde !
Quand la courbe des eaux
se fait parallèle au chant,
mémoire qui vous lie à de plus hautes marées,
nulle brise, nul souffle,
qui ne renie la veine secrète du langage
terre de l’exil.
                                               
                                                              
                                                                          février 1976




PREMIERES DEMEURES


I


Comme cette feuille de tristesse
sous le prolongement des toits,
la terre blessée et ce parfum de chair,
le temps aux lèvres de marbre closes,
déferlement du songe,
noces de deux roses noires
aux visages creusés par des vents intérieurs.

Sous les pas de l’étrangère,
fleuve de mots confondus,
toute chose jamais visitée,
se lèveront nos mains
qui s’efforcent de vieillir.


II

La vague ne bouge que le sable,
l’amante silencieuse
a des caresses qui lui suffisent,
cœur qui n’ose avouer
jamais les mots n’ont été si lents.



III

Au lieu très calme de leur déracinement
dans ce cercueil de verre
où fleurit chaque soir une fleur de paix,
les ramasseurs de coiffes d’émeraudes
sont comme de longs visages
effeuillés sous tes ongles,
les astres roulent brûlants
creusant au sein des falaises
leurs nids d’oiseaux blessés,
au lieu très calme de leur déracinement.


IV


Les morts n’ont plus de pensées raisonnables,
le vent nous conte les amours
aiguisés à la pierre d’orage
comme les éclats les plus tristes d’une étoile perdue,
les morts n’ont plus de pensées raisonnables
et cette guerre ne nous laissera pas de nom.


V


Ainsi la lampe
s’éteignit au premier battement d’ailes,
les fêtes sauvages au pays des cendres,
cantatrices trop blanches, beautés turquoises,
dans les salons d’été sous la grimace des lustres,
le front qui pèse sur ton épaule
pleure sa mort d’homme.
Pierres sclérosées de soleils bleus,
songeur, ton métier crépusculaire
est dans ce grand fleuve pressenti,
ce fleuve aux écluses de mascarade,
aux nuits éprises de grandes feuilles de silence,
aux nuits des mâcheurs d’arbres,
les dernières cigarettes de métal
fleurissaient sur tes cheveux dénoués,
ainsi la lampe
s’éteignit au premier battement d’ailes…

                                            

VI


Identifiables aux pôles magnétiques de vos voix
aux bruits des portes qui se rabattent sur vos mots,
aux temps innombrables qui vous éclairent la face,
aux océans de principes,
aux vagues de connaissance,
sur vos tempes fragiles
voici ces fruits lourds de poisons,
magiciennes ! Que de grands vents s’installent
et vous ouvrent les portes de la folie,
les portes de l’ancienne croyance !

Reste la comédie de nos membres fatigués,
le mélodrame sur nos neiges grises,
nos yeux de poète qui ne voient plus les ruines,
le singe nu soumis aux lois de l’écrit.



VII

Quel destin sans souillures
me ramènera votre front penché sur le grand fleuve,
puis l’écriture envahissante, sans âme ni amour,
sur la feuille blanche de notre rupture,
ce grand souffle ravageur en travers de nos rides.

Sur les divans de pierre nous serons, folies amères,
les suicidés du nombre,
les premières demeures ressuscitées.

                                
                                                                      Juillet 1977





LES VIEILLES



Elles ont les hauts talons et les têtes basses,
elles viennent dans ces rues
où meurent d’anciennes fêtes
retrouver leurs jeunesses, leurs folies,
au fond des cimetières
leurs maniaques fleuris.

Leurs mains moites qui tremblent
font sur le piano
des accords misérables,
elles pleurent quelquefois
quand les arbres sont blancs
et les toits rouges,
elles ont des araignées savantes
qui tissent dans leurs yeux
des voiles de tristesse,
des voiles de bonnes sœurs gonflés de pierres.


                                                       
                                                         Janvier 1978





LES CHAMBRES NOIRES



Il neige ou il pleut,
le froid dans mes yeux qui regardent,
regardent,
ces années perdues avec leurs lents cortèges
de regrets, de visages,
usés par les orages de l’âme sans nombre.

Sang et ombre,
nuée de têtes éclatées
sous la plume pesante du songe,
nuée qui s’étire d’une fenêtre à l’autre,
l’autre fenêtre, celle de la voisine
jamais vue ou si peu,
s’il pleut sur tes cils mouillés,
le vent plus calme que l’on peut regarder
le froid dans les yeux,
ceux de la glace qui vous dévisagent
et meurent dans votre chambre qui rétrécit.

                                             
                                                           Janvier 1978




















REGRETS ÉTERNELS


Elles ont brûlé ce soir
sans un mot, sans un cri,
et dissimulé dans leurs armoires
leurs douces mais amères folies.
Elles ont brisé ce soir
les dernières feuilles de verre
où l’on pouvait voir les veuves de guerre,
sur les vieux bancs de pierre, s’asseoir.

Elles ont glissé ce soir
sur les eaux grises du lac,
sur leurs épaules glacées, des oiseaux noirs
s’interrogeaient sur ces Dames du parc.

Elles ont rangé ce soir
dans des tiroirs secrets
leurs longs cheveux aux blonds reflets
et leurs peignes d’ivoire.

Rangé aussi leurs yeux très noirs,
leurs bruissantes robes de satin,
leurs corps immenses jardins
aux étangs qui se moirent.


                                                           Janvier 1978





FUNERAILLES

Opiums sur le fleuve gris,
le vent roule sur les jardins de pierre
et la belle au bois pourrissant
jette des fleurs noires sur le lit de marbre.
L’attente fauve des lettres mortes
creuse dans les terres humides
où le souffle de la vie expire
dans tes bras obscurs qui tremblent.
Opiums sur le fleuve gris,
d’anciens rois dorment sous les ronces,
des folles drapées en des herbes mauves
hurlent leur impuissance dans la lumière habitée.
L’ombre rejoint son martyr,
décadence du dernier mot,
sur les ruines de tout siècle finissant
se dressent mains glacées,
mains blanches de refus.

          Janvier 1978






































QUAND DES VAGUES NOIRES
BRULAIENT LA MER




I

User du corps, croix d’exil,
comme un oiseau effleurer la rive
et se perdre les yeux dans l’océan,
les bras dans le sable,
se dire que tu ne peux plus aimer,
se dire que tu ne peux plus vivre.

Comme un oiseau  user du corps,
sur chaque rive du fleuve dédain
se perdre les yeux dans l’océan,
les bras dans le sable,
dans un ciel de vagues
se dire que tu n’es plus.

Le silence déchire  les yeux en mille étoiles sourdes,
au-delà  de ces îles de coutumes
un monde réapprend sur des rives plus calmes
l’amour des vagues et la mémoire du crime.




II


Si fragile,
oiseau de béatitude
toi qui aimais indifféremment
l’arbre coupé
et la fleur très pourpre de la mort.

Par-dessus les barricades,
au-dessus de bien des désirs,
je te redirai si mon âme bien vivante précise
la forme de ton corps
dans les draps froissés de ma détresse,
les plis du rideau
où une  nuit entière peut se noyer,
une nuit faite de feux nouveaux,
d’astres ressuscitant la moindre parcelle de vie.




III

Elle tient cette tasse de café
avec un rien de tristesse
au bout des doigts,
au bout du cœur
et les cendres d’une cigarette
oublient la nappe blanche
et trop silencieuse.



IV

Tenez bon la rampe
le vent s’éprend de fleurs bizarres
de fleurs douces et aimantes
dans la caresse du soir.
Tenez bon la rampe
ces fleurs dormantes sur votre épaule
vous font oublier toute sagesse.

Tenez bon la rampe
le vent a ses folies particulières.

V

Fleurs savantes de l’écrit
glissent sur vos lacs immenses
des sources de lumière.

Rappelez-moi vos doigts mêlés
aux herbes bleues du souvenez-vous,
chaque pétale était rouge de votre sang,
fleurs savantes,
j’ai jeté deux mots de terre dans le fleuve
là où les écluses du rêve
se ferment et se referment sans regret.



VI

Insatisfaites en errance dans nos parcs
Sibylles modernes de nos cités vivantes,
les fêtes de la mort surprennent par leurs couleurs.

Insatisfaites, chairs levées sous les vents,
grandes sont nos passagères
qui n’ont plus de visage
pour se réclamer de la beauté parfaite.

Grandes sont nos mortes
cachées dans un silence très froid,
quand nos trônes couverts de paille
brûlaient dans l’air vif des croisades,
quand nos armées de terre cuite
se brisaient  dans les sables.

Insatisfaites, vos liqueurs se répandent
et les singes hurleurs vous répondent,
leurs cris s’assemblent
dans ces statuettes d’Afrique
qui vous regardent sous les lampes vertes,
là, sur une chaise dans votre nuit,
des flèches d’ivoire tremblantes dans leurs yeux.



VII


Ainsi pliée aux lois qui l’inspirent
quelle pointe noire grandit sur ton cœur menacé ?

Quelle naissance te donne toute parole apprise
la vision d’un mur où une face peinte
s’identifie au portrait du miroir ?

Souffles favorables aux entrailles de la mer,
nos mères étaient tissées d’ivoire
et nos fils nous ressemblent,
sages se disputant  l’aumône
sur vos lits de faillite élevez un grand bûcher !

Et nos veuves, belles pleureuses,
traceront leurs sentiers de larmes,
éclats d’étoiles sur les pierres levées !

Sur nos chairs en désordre
nos femmes se coucheront,
plantes desséchées
dans leurs grand sommeil de saison.

Elles coucheront  sur nous
de sombres caractères à l’encre rouge
et se diront insensibles,
entre leurs cuisses le miroir de la divination.

Elles s’allongeront nues sur les sables
où nul songe ne se voit mourant,
lèvres mortes pour des amants disparus.
Ainsi pliée aux lois qui l’inspirent
quelle pointe de chair
grandit encore sur ton cœur d’élu ?









VIII

Longtemps j’ai vécu en toi
et en dehors de toi,
brumes sauvages
c’est le songe qui rend nos armes devant la mer.
A l’âge où les veines se gonflent,
à l’âge où de grands corps déchirés
tournent avec le soleil,
Brumes sauvages,
leurs voix s’affairent autour des coffres,
aux abreuvoirs de silence les lunes sont seules et ternissent,
les sourires se peignent en noir,
se calquent sur d’autres sourires plus cruels
que le tien.
Je te vois ainsi clouée  sur une page du ciel
de notre ciel un instant éligible !
Des ombres tordues  lavent la terre,
vagues armées des songes
l’arbre a trouvé son pendu
et des rires s’abandonnent aux rives
où les oiseaux ne sont plus.
Brumes sauvages
c’est le songe qui rend nos armes devant la mer,
vieilles lances déchirant nos étendards de soie grège,
se jettent du haut des tours pour pacifier les foules
les monarques à deux têtes.
Les herbes mauvaises s’installent
avec l’éloge de la folie,
chaque soir vous suit en cohortes de singes
marqués au fer pourpre de la honte,
brumes sauvages,
qu’elles sachent où trouver leurs rives de silence,
brumes sauvages, en toi et en dehors de toi
rendent les armes.

                                      







                                                                               IX


Iles d’effets contraires
aux signes du temps qui les retiennent,
fleurs et lèvres closes,
sur le mort seul bien, seule vérité,
nous avons reconduit les étrangères
à  nos portes de verre de fibres silencieuses,
et nos veines s’ouvrirent en signe d’adieu
et nos bouches parlèrent de vieux mondes,
de méduses accrochées à nos splendeurs,
d’un soleil très bleu sur un corps très froid,
de serpents  éclatés sur les vitres
en franges lumineuses, en blanches coupures,
dans un ciel électrique.

Une fenêtre ouverte aspirait les derniers vides musicaux,
gardiennes soufflez dans les entrailles du poisson mort
où une perle attend la main soupçonneuse !

Dans le fracas des rails,
je voyais courir vos jambes lisses
comme détachées d’un corps vain et stupide,
l’oiseau qui a faim sur elles s’attendrit,
quand des vagues noires brûlaient la mer…

                                  
                                                           

                                                                    La Veine secrète -  Février 1978













































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