samedi 28 janvier 2017

Dans les signes du monde - Petites faims de siècle 1999








DANS LES SIGNES DU MONDE

Suivi de
Petites Faims de siècle

1999







1



Quand les signes deviennent trop visibles
le silence du monde, seul est avouable.





2


Placés dans la grande marge
vous ne changez pas,
vous flottez.
Vos bibliothèques pansues
gardent vos idéaux volatils
vous attendez l’heure.


 

3


Là d’où je vous parle    
vous n’écoutez plus,
les arbres blancs,
la terre très noire.
Là d’où je vous parle
vous n’écoutez plus
tant de choses à ne pas vous dire,
arbres
vent,
terre,
nuit.





4



J’ai lu dans votre ciel      
Les signes du monde,
ils me disaient tous d’aller
de ce côté de la lumière,
fragment d’onde     
Arraché à sa source,
du temps de la première faute,
de la première effraction.
J’ai lu dans votre ciel
les signes du monde,
ils me disaient tous d’aller
vers ce chaos gelé
que seuls les météores
comme des fusées traversent.
Là où la terre est moins grise,
là où le bois soutient les masures,
à la frontière imprenable
où les chiens tous de garde,
vénèrent la voix qui sait les commander.
J’ai lu dans votre ciel
les signes du monde,
ils me disaient tous d’aller
vers ce pays
où la pluie seule
lave l’ancienne  tristesse,
infiltre la terre du souvenir,
alimente l’arbre aux vies multipliées.




5


Des outils plus ou moins libres
se frayèrent un passage
dans le ventre de l’intime.
Les moissons furent riches
les cultes  nombreux,
pierre axe, pierre tombeau,
médiatrice entre l’argile et la sable,
entre le monde d’en bas
et le monde d’en haut.
Ventre lourd
de trop de paroles,
chacun de penser seul,
chacun de demeurer seul,
avec ses questions désespérément horizontales,
c’est une dure saison
pour qui abandonne la lenteur
au rêve du tout cristallisable.




 
6

Si peu de lignes, si peu de verbes,
attablés pour la grande famine des âmes
nous étions nus et tentions de cacher
les quelques fruits arrachés à notre enfance.



7

Terre
ici,
fleurissent les rameaux,
se couvrent de mousse les pierres
terre,
ici
loge l’enfance,
et sa beauté vivifiante .



8


Terres
maigres,
grasses,
légères,
lourdes,
toutes ces terres
recueillent les chantiers de nos vies,
toutes ces terres travaillent
pensées,
calculs,
enfouissent nos cultes
sous des stèles,
cailloux,
gravier.
Nous,
restons seuls
sous la matière domptée,
sous un ciel étanche,
sous un soleil non conforme,
seuls,
sous nos chairs,
pour témoigner
de l’impossible paix.
Terres
où l’on s’embourbe
terres des herses brisées,
terres accoutrées comme des messes,
terres où blanchissent les draps,
où s’allongent les vents,
terres,
Bibles endormies
dans le vénérable mouvement du sarcloir.



9

Seul
sous la terre
rouge,
glaise
meuble,
battue,
arable.
Aucune terre ne retiendra nos vies,
aucune terre ne nous ensemencera.
Nos corps, grandes silhouettes
chahutées par les vents
mettront en fuite les merles.
A ces terres nous aurons tout donné.
Avant de fermer les yeux
nous écouterons avec effroi
le grincement mécanique des rideaux du ciel.







10



L’heure n’a plus de mesure,
L’ombre s’étend au-delà des pierres,
comment tout cela est-il arrivé ?
Ne plus rêver ensemble,
ne plus  être assis là
où plus rien ne semble bouger,
ne plus savoir se taire,
ne plus savoir où poser cette main,
ne plus savoir où frapper avec ce poing,
ne plus comprendre
la mer …

 


11

Jour après jour,
deviennent guenilles
nos costumes d’apparat.
Nous nous décomposons lentement
en ce monde où devenus errants,
nous ne parvenons plus à mesurer
la fatigue de nos membres.
Nous ne nous connaissons plus de plaintes,
nous acceptons tout
et tout nous est refusé.


12

Il est trop facile de se taire
quand tout est saturé,
quand des réseaux à heures fixes
organisent le silence,
quand des machines
redressent ce qui est tordu
aplatissent ce qui se dresse,
veillent à la conformité des futures naissances.






13

Pas de dedans plus grand
de dehors plus vaste,
nous avalons la parole
pour qu’elle devienne nôtre.
Nous subissons vos rites,
vos lois,
vos procédures,
nous habitons à la surface du drame :
l’univers qui nous anime
n’est pas d’essence divine,
il est né du travail de nos mains
tout ce corps marqué, martyrisé,
se tient encore droit
debout face à la meute
des verbes incorrectement conjugués.



14




Trop de vérités alimentent nos mensonges,
nous sommes anges estropiés,
les survivants d’un monde qui ont oublié la mer.






15

Enfermé entre ciel et terre,
sachez bien qu’il pleure lui aussi,
sachez bien qu’il les ouvre ses fenêtres,
et le bonheur
d’en bas
chaque
soir
doucement
l’assassine.


16


Comme des coquillages
les vérités s’ouvrent,
la pourpre soudain
du sexe domine,
cri parmi les os
capable d’engendrer
vision de lits défaits,
lieux sans mesure,
où la peau parle à la peau.





17

Sur le ciel rose
d’un ancien carrelage,
rayure,
première trace
depuis dix mille ans…



18


Pas de Dieu
encore moins de rêves,
tout est tombé,
tout s’est brisé.
Vos mains ont tenté l’impossible,
elles ont eu ce dernier tremblement
quand la poussière a fui entre leurs doigts.
Pas de Dieu,
encore moins de rêves,
tout a été plié,
classé,
tout s’est recroquevillé,
en attente d’un mal rapide,
nécessaire,
d’un mal à hauteur d’homme
avec cette violence sans pardon
transformant l’immense
en un rien calculé.



19

Nous avons vitriolé vos silences,
étouffé toute tentative d’acte sonore,
défait vos couches de pierre,
peuplé vos déserts,
démystifié vos langues,
redonné à l’amertume
la noblesse des vignes.

20


En droite ligne de nos rêves de pauvres
ponts,
passerelles.
Au seuil de ce temps
une faille,
secret trop longtemps gardé.
Cri noir dans la nuit des écrans,
en terre des martyrs,
seule la peau tatouée parle.

21

La bouche pleine de galets
nous revenons d’un naufrage impeccable,
d’un lieu de décombres
où la parole se couvre
avec les oripeaux du silence.

22


Il n’est pas prudent
de se promener tout en paroles
dans la nuit des villes.
Des anges nettoyeurs circulent,
ils sont épurateurs d’aubes,
fossoyeurs de signes,
trieurs de mots,
ils vous laisseront nus
avec ce silence terrible
ce silence seul autorisé.


23


De quel temps sommes-nous nés ?
De quelle flétrissure ?
De quelle abdication ?
Par quel temps sommes-nous malmenés ?
De quelle erreur sommes-nous ?
De quel monde ?





24


Vous avez assez pleuré
sur les vestiges de vos vies,
sur les places dévastées
des villes où vous êtes nés.

Cohortes aux pieds sanglants
fuyant depuis l’aube
les ogives de la mémoire,
tout ce que la vie
en un même jour,
peut construire et incendier.

Vous avez assez pleuré
assez plongé au cœur de l’homme
asse aperçu sa noirceur,
assez tremblé
devant ces sacs d’os et de chairs
obéissant aux  lois absurdes
nées de leurs cerveaux en désordre. 
Vous avez assez vu les vôtres
dévorés par cette terre
traversée par les chars de feu
des nouvelles divinités,
assez vu tout cela
pour ne plus croire en cette humanité
hantée par la miséricorde de Dieu.




 
25

À trop crier
espoir,
vie,
semence,
on se tyrannise.
Laissons un peu de nuit dans notre jour,
un peu d’encre en cette couleur,
préférons le geste au symbole,
le simple au généreux,
le souvenir à la résurrection.


26


Les écueils de la vérité
feront éclater sa quille,
le monde cette fois ne sera pas sauvé :
les plans de l’Arche non donnés par Dieu !


 

27

C’est la seule leçon digne d’être transmise,
tant d’obscurités sont prévisibles,
tant de signaux percent la nuit.

Si la beauté est courbe
la cruauté elle, est rectiligne,
néons en fin de vie,
clignotements stériles,
graffitis de fins de siècles,
l’histoire honteuse,
en pleurant, replie ses draps.


28


Nous avions invoqué la présence des signes,
convoqué des voix supérieures
pour qu’elles nous dictent l’histoire.
Les yeux usés à force de voir,
des mains ouvertes sans tendresse,
nous avions des vies d’hommes
épuisés par les songes amers,
convaincus de l’ordre absolu
nous creusions sans relâche
des puits à jamais éloignés des sources.






29


Laissez-nous croire au miracle,
à ce qui ne sera, à ce qui ne peut plus être,
tout en nous transporte les runes.

En ces temps foudroyés,
en ces temps inadmissibles,
notre foi renaît
pour une main,
un regard.
Croire en seul miracle
en cet Eden revisité
où l’ange fécond
retourne la terre ensemencée !





30


Le hasard brise parfois
les cordes
d’un instrument bien accordé.









PETITES FAIMS DE SIECLE



1999







1




Il me vient encore
de je ne sais quelle patrie,
des mots, des verbes,
tous bouillants de liberté,
tous avides d’en découdre.
Là commence le drame :
comment ne pas rétablir la dictature des mots ? 




2


J’erre d’inconforts moraux
en infortunes diverses,
j’erre dans les copeaux du monde
entre songes mal rabotés
et quelques armoires mal fermées,
J’erre, poète assermenté
j’arrête qui bon me semble,
une ligne sans papier,
une plume sans encre,
un recueil sans titre.

3


Il est nécessaire de violenter les formes
de les forcer dans leurs balbutiements,
pour voir, sentir,
ce qui peut rester de tout ce carnaval,
de ce monde où la dernière heure,
la dernière minute,
se vendra à la criée.

Ce monde impossible
où la beauté
se terre dans les musées.

Ce monde
grand collecteur de dégoûts,
de fêtes ratées, d’amours trompés,
de fortunes sales, de silences détournés.

Ce monde où un geste de trop,
une parole de moins,
vous signale comme le grand exilé.



4

Nos chemins furent traversés
d’épuisements irréels,
belle était cette fatigue
qui n’avait besoin de nos souffles,
la terre entière semblait se déverser
en l’abîme d’une seule nuit.


5


Les noces furent si brèves
et le divorce si long,
nous avons veillé pour remettre le ciel en état
puis après un dernier coup de nuage
redonné la clef au gardien encore endormi.


6

Ces images sont fragiles,
elles ne supportent pas les voyages,
posons les dans notre mémoire
elles échapperont ainsi aux vicissitudes de la route.


7

Il est un ciel programmé
cédant à toutes les manipulations,
à toutes les traversées,
un ciel d’expériences
s’en allant chasser le noir des idées.




8


Cherchez-vous par hasard quelque chose
que tout le monde depuis longtemps
aurait trouvé sans oser le dire ?


9

Au large des esprits,
au large des côtes,
je me suis fourvoyé.
Je me croyais prêt à renaître
prêt à fendre le bois et les flots,
je me voulais cognée, étrave,
un jour géant, un jour fourmi,
au hasard des mondes rencontrés.



10


J’avais cru voir en vous
passer l’ombre d’un  pardon,
c’était sur le mur d’en face
le clignotement d’un néon.




11

Sur la terre des merles et des grives,
je vous laisserai le temps
pour tuer votre guerre.



 
12

C’est une douleur trop lente
pour notre Babel moderne,
c’est un fleuve trop grand
pour nos  errances citadines.

Elle n’a cessé de croître,
elle n’a cessé d’agrandir son monde
en clartés froides,
elle n’a cessé de lancer des convois
gros insectes noirs numérotés
sous la laideur des éclairages électriques.



13


Panique sous les combles
la maison brûle,
et les amants dans le jardin
échangent des serments.

14

Vous encore si vivante
aussi belle, aussi grande,
après avoir traversé tant de fleuves,
tant de territoires,
vous encore si vivante
après tant de pillages,
tant d’erreurs d’aiguillage,
de mauvais convois
lancés dans la nuit hideuse,
vous encore si vivante
vous ne renoncerez jamais,
vos bras comme fusils,
vos jambes comme chenilles de char,
votre bouche comme lance-missiles,
avec tout cet océan de sang à vos pieds,
vous encore si vivante,
cratère d’os offrant à des milliers de  lèvres
le breuvage noir de drames futurs,
vous encore si vivante
icône de la mort la plus lente.



15

Je me suis rêvé rocher immobile,
serein, indélogeable,
plus bas l’herbe semblait plus verte,
l’ombre plus fraîche,
hélas !  il me faudra attendre
l’heure du prochain déluge. 



16


C’est regrettable
et vous m’en voyez désolé !
Votre temps de parole est épuisé
l’essentiel ne sera jamais dit …



17

Au chat Picasso    mars 1999

Ce n’était qu’un chat
et je n’étais qu’un homme,
mais quand il me regardait
j’étais Dieu.

18


Tous les massacres filmés nous rendent indigents,
pas une parole, pas un souffle qui ne s’élève là-bas
sans cette grande souffrance des humbles.

Vous êtes en cette nuit illuminée
des vivants devenus en quelques heures
des sans-abri, des sans-terres.
Que vos ombres martyrisées
deviennent nôtres !
et témoignent de ce jour
au jour dernier du jugement !
Que vos ombres nous condamnent tous
nous les faiseurs d’humanités perdues !


19

Qui tire sur la corde là-haut ?
Qui joue à nous rendre la vie impossible ?
À force de tirer sur cette corde elle  risque de se rompre,
qui alors la remplacera ?






20


Sur une étroite bande de terre
à la merci de tous les vents,
en un pays minuscule sans routes ni ponts,
un conteur seul sur sa natte…
Il a enlevé avec lui
tous les enfants des villages…