dimanche 2 avril 2017

Phénix l'oeuvre au rouge - 2005








PHENIX L’ŒUVRE AU ROUGE

Chant poétique en vingt fragments

2005







A mes amis qui se reconnaîtront en ce festin autour du feu.
Fidèles à ces mots de Hölderlin : « Nous étions un jour quelques amis assis au sommet de notre colline... »
Nous étions trois et la même fièvre nous habitait, entre le ciel qui nous éclairait et cette terre des mouches qui nous attendait, nous étions trois comme les trois éléments : terre, ciel, feu, et le fleuve de nos vies en devenait soudain limpide et lisible.
Comme cet oiseau de feu qui traverse les siècles et les terres, nous avions expérimenté tant d’alliances, de fusions, de combustions parfois douloureuses, de renaissances inattendues.
Sur des chemins étranges, accidentés, nous nous étions faits très jeunes alchimistes du verbe, médiums envoûtés. Plus d’un regard, plus d’une intelligence, avait accueilli avec mépris ou indifférence notre verbe, mais nous n’avions prêté notre flanc au fer empoisonné du doute.
Ce feu nous habitait, et il brûlait pour la paix et non pour la guerre, notre corps fut accablé, notre esprit souvent troublé, mais  jamais la conscience de ce que nous portions véritablement en nous, au plus profond, en fut altérée.

                                                                Septembre 2005







I

Nous avions attendu Cela
et Cela s’est montré
dans la magnificence nouvelle du monde.
L’ombre s’était retirée,
notre flamme avait poursuivi sa course,
notre corps avait épuisé là ses dernières réserves
tiré ses dernières cartouches.
Nous sommes restés là,
assis,
inondés par les  premières lueurs du soleil.


Nous avions attendu Cela
et Cela s’est montré.

Nous étions arrivés là où le centre est multiple,
là où, l’axe du monde s’élève en une colonne de feu.
Nous avions attendu Cela,
nos yeux contemplaient l’âme
telle qu’elle fut
au commencement de tous les mondes.






II



La pierre était
comme un os gigantesque planté
dans le ventre de la terre.
Nous nous étions perdus
en ces visions qui ensemençaient les cercles,
nous étions nus,
peuples de cendres,
immenses sacrifiés.

La pierre était
comme la première marche d’un temple
où l’être prend conscience
de son orgueil d’être.
la pierre avait la solidité du seuil
et l’inflexibilité de l’adieu.

L’offrande n’était plus nécessaire,
la paix ruisselait en flots rouges,
incompressibles,
les gouffres n’en appelaient plus
à l’ivresse de la connaissance,
nous  étions devenus
à force de ressemblance
les fragments d’un chant
qui recommençait ici l’écriture
de la genèse du monde. 



III



Pour cet oiseau qui traversa les siècles
et nous légua la perfection de son feu.
Organe puissant du jeu
où l’ombre d’une mort facile
flotte devant nos yeux
comme l’étendard brûlé
d’une armée défaite.
En ce demain  effroyable
écho de notre futur dévasté,
larmes à la joie mêlées,
drame immense et trop rejoué.

En ce demain où sang et terre
disputeront au fleuve
les restes d’une parole guerrière.
Ce demain,
visage en flammes
au seuil des voix renversées,
ce demain lavé
par des pluies de cendres
devenues légendes.

                      




IV




C’est le même feu qui parcourt
les veines de la terre,
c’est le même feu en nos artères
feu secret,
feu central,
feu intermédiaire.
Trois feux brûlent
au-dessus de ces eaux,
trois feux comme trois visions
nées d’un soleil de mercure.
Ce sont les mêmes feux
qui nous donnent à voir et à entendre,
quand l’oubli réconcilié à la trace
reconstruit le rivage des hommes.





V



Battre l’enclume,
battre l’enclume !
Réveiller les morts
dans l’utérus de la terre !

Battre l’enclume,
battre l’enclume !
et s’arrêter à l’aube des évènements,
au bord de cet abîme
où la raison rejoint
son berceau de néant.

Battre l’enclume,
battre l’enclume !
Dans les quatre directions du vent !
Dans la sueur du corps
entendre sur le fleuve igné,
ce cri de l’oiseau
aux portes rouillées des écluses.
Voir cet être aux ailes coupées,
fils infortuné d’une légende
trop lourde à porter,
fils incapable d’accueillir ce nouveau souffle
et à le rendre universel.                          



 

VI



C’est le feu qui porte nos blessures,
c’est le feu sous la terre,
le feu mystique qui tremble
s’évapore et mue.
C’est le feu dans l’athanor de l’initié,
c’est un feu de lutte et de fraternité,
c’est un feu partagé
dont la leçon est inscrite dans le ciel,
c’est le feu d’un seul livre ouvert
sur la page blanche d’une prière murmurée.
C’est le feu d’un jardin
retourné de fond en comble
par de faux chercheurs d’or
et vrais pilleurs de tombes.
C’est le feu d’un esprit jamais vaincu,
le feu sous l’écorce de l’arbre solide,
le feu vivant d’un savoir persécuté,
le feu de la foudre,
le feu de l’oiseau messager,
le feu de la forge et du volcan,
le feu des dieux révoltés,
le feu sous la cendre,
le feu d’un autre feu jamais éteint.
C’est le feu d’un seul antre
où le visiteur pousse la porte,
prend une chaise
et reste assis dans la perfection du silence
à l’abri du mensonge des hommes.



VII



Le ciel donna toute sa démesure
sa sombre verticale,
sa spirale,
toute lecture en devenait
soudain trop facile.
Nos pieds n’obéissaient plus à nos têtes,
nos mains étaient devenues si légères
et si souples,
toutes nos douleurs
avaient fui d’un coup,
nous baignons en ce ciel
bercés par une musique
née d’un centre inconnu de la terre.
Le ciel ici nous léguait
toute sa démesure.
Un ciel d’un Orient symbolique
détenteur des plus grands arcanes,
ciel des chamanes,
des visionnaires,
ciel des charrues
plongeant leurs socs étincelants
dans la terre généreuse de nos enfers.







VIII



Comment concevoir l’ascension
sans la peur de la chute,
nous avions charge d’âmes
et pesait sur nos épaules
le poids singulier
de nos pensées singulières.

Qu’importe, nous ne pouvions
attendre plus longtemps
la fonte des glaciers !
Notre corps devait pour survivre
s’emplir de visions non terrestres.
Qu’importe, nous devions réapprendre
à voir sous une autre lumière,
à exhumer les armes désoxydées
de notre mère la terre,
à apprivoiser  notre nuit et ses colères,
le feu et l’ombre dansante de sa folie égorgée !

Levons-nous, messagers d’une paix nouvelle
sous le seul emblème d’un feu
trop longtemps enfermé
dans le seul carcan de nos songes réprimés !






IX



Il nous faut vivre, il nous faut vivre,
nous qui croyons si peu à la vie
nous qui avons renié l’esprit de cet oiseau
qui traversa jadis notre horizon
d’est en ouest.

Il nous faut vivre, il nous faut vivre,
la terre a tiré sur elle sa couverture d’eau,
les montagnes les plus hautes
devinrent riches de ces silences
dont seuls sont doués les êtres de pierre.

Il nous faut vivre, il nous faut vivre,
le ciel est si proche, le ciel est si distant,
un oiseau prodige pourrait reconquérir
les cimes dangereuses,
les routes creusées
à même le roc du langage
par la seule manne des pluies et des vents.

Il nous faut vivre
réapprendre à sauver l’oiseau
dans le cratère de nos mains
Il nous faut vivre
entre couleuvres et vipères,
avoir la rapidité du lièvre
et l’œil de  l’épervier.



 
X



A l’image du nid
répond énigmatiquement l’image du bûcher,
celle du phénix sacrifié.
Pour cette mort soudain
trois cent soixante-cinq plumes se sont embrasées.
Un battement d’ailes,
rien de plus,
un battement d’ailes,
il n’y eut rien de plus...

La terre avait ôté ses oripeaux de miel,
gardé au plus intime d’elle
son insulte vivante au soleil.


 
XI



Nous parlons ici d’un feu
qui ne dira jamais son nom,
Un feu d’une intensité qui ne sera jamais nôtre.

Ne nous méprenons pas,
notre langue peut surprendre une vérité
et l’étouffer du même coup,
les songes sont trop précieux
pour être révélés au grand jour,
nous devons les garder
pour le domaine de la nuit.
Ne nous méprenons  pas,
nous parlons ici
d’un oiseau qui veut renaître
et se nourrir de sa propre image,
nous parlons ici d’un oiseau
né dans la langue des pierres froides,
nous parlons ici d’une image oiseau
et cette image est l’ellipse d’un vol
qui vise les sommets.
Nous parlons ici,
nous voulons nécessairement parler
de notre propre drame.
Revenus de notre ancienne chute
d’un de ces sommets,
nous venons lécher aujourd’hui
et nos plaies et les pieds de la terre.
Nous rejoignons ici et le rêve et le rite,
les signes debout nous reçoivent
comme on accueille des héros morts,
nous parlons ici de fragiles alliances,
de noces de fer et de cuivre.


Nous parlons et sur l’horizon de cette parole
l’oiseau finit de rassembler les plantes
qui donneront à  sa renaissance
les parfums d’une douce éternité.
Nous parlons ici d’un autre oiseau,
tout de feu et de miel,
d’un oiseau de soufre
en quête d’autres voies lactées,
traversant en un seul souffle,
du nord au sud, d’est en ouest,
la voûte muette et glacée.


 
XII



Soufre, mercure et sel,
vos visages sont mes mains,
et saigne tout un ciel
de ne vous avoir peint plus tôt.
Soufre, mercure et sel,
le seuil est à deux pas.
à nos veines de se souvenir
de cette vie bouillonnante sous l’écorce,
toute sève montante et chair abandonnée,
pour un cheveu, pour un ongle,
qui peut renier ici la terre ensemencée ?

Soufre, mercure et sel,
nous sommes ici au commencement
enfin dépouillés
du lourd matériel de toutes les apparences...





XIII



Nous qui avons grandi
à l’ombre de la chute,
nous qui avons puisé dans la chute
la justification de tous nos actes,
nous pouvons aujourd’hui
abandonner ce mensonge
et commencer à gravir la montagne
de nos illusions.

Nous devons effacer en nous
toute trace douloureuse,
nous devons nous vêtir
d’habits nouveaux,
laisser planer au-dessus de nos têtes
des oiseaux de légende,
abandonner nos ombres au pied
des premiers rochers.

Même dépouillés
nous ne serons jamais nus,
notre marche nous conduira
hors la matière,
hors ce monde,
le ciel ne sera plus un fardeau
mais une promesse de paix et de grandeur.

Nous rentrerons en ce ciel,
chargés de tous les pigments de la terre,
nous rentrerons en ce ciel
où l’ombre ne peut être admise.


XIV


Qui peut décrire cette aube,
ces premières lueurs
sur la beauté d’un monde qui s’éveille ?

Qui peut décrire avec exactitude
cet arbre au feuillage si majestueux
qu’il peut à lui seul
recouvrir de son ombre fraîche
le grand corps mutilé de la terre ?

Qui peut décrire cette ombre affamée
qui tourne autour de la caverne ?
Qui peut décrire cette source trop abondante,
cette parole perdue ?
Qui peut décrire
et ressusciter ainsi
ce verbe trop hâtivement déclaré absent 
et nous tromper si douloureusement
sur la réalité de ce monde ?



XV



Ce feu est la source,
sa source est le feu,
la montagne son origine,
l’origine est sa montagne.

Ce feu est oiseau,
cet oiseau est le feu,
tout s’éclaire à la source,
tout revient à la source.

Le feu et la montagne ne se reconnaissent,
mais la connaissance est dans le feu
et dans la montagne.

Ce feu n’est pas né du ciel
ni des gouffres,
l’oiseau n’a pas percé les nuées
pour se poser
sur le flanc d’une seule montagne.
La lumière a noyé la terre,
cette histoire a été offerte à nos enfants
pour qu’ils redécouvrent plus tard
le feu sous la montagne.



                                                                           XVI


Vous avez suivi dans le ciel
les triangles parfaits des migrations sauvages,
dénombré dans ce même ciel
les traces pourpres de braises trop sages.
Mais que savez-vous aujourd’hui
et du ciel et de la terre ?
Que savez-vous aujourd’hui de l’absolu,
de cette langue charnellement enfouie
dans la chaleur de la tourbe ?

Que savez-vous de l’arbre et de son fruit,
que savez-vous  des fleuves et de leurs passeurs,
que savez-vous du fer et de la hache,
de la  montagne et du soleil qui s’y cache ?

Que savez-vous du  vol imparfait
des migrations profanes,
de cette main sertie d’étoiles 
invisible pour l’homme mais évidente pour l’âme ?

Que savez-vous de par votre science, vos fouilles aveugles,
Que vous ont révélé vos tentatives de déchiffrages
sur les épaves muettes d’incompréhensibles naufrages ?

Que savez-vous et de notre cri,
et de notre rage,
de nos silences
et de nos résignations,
que savez-vous d’autre
hors ce que nous avons bien voulu
vous abandonner ?



 


XVII



Descendre en nos enfers
retrouver la flamme perdue,
descendre en cette parole
remonter le verbe nu.

La terre fertile a donné tout son sang.
Sous les yeux de ses fils solaires
Elle,
suppliciée,
n’entend plus que sa propre colère.






                         

XVIII



Tant que feu durera
nous aurons soif de cette vie,
tant que feu durera
des forêts de verbes sans écorce
glisseront leurs racines
sous l’épaisse fougère
comme un oiseau plonge dans la mer.

Tant que feu durera
notre vie ne connaîtra ni écluses,
ni barrages.
Tant que feu durera
nous accepterons cette épreuve
avec l’émerveillement des êtres
soumis à des puissances inconnues.




XIX




Il brûle l’ancien golem
et nous brûlons avec lui.

Il brûle l’ancien golem,
se démène, crie et supplie son maître
de mettre fin à sa destinée,
mais nul ne vient,
nul ne veut entendre sa plainte.
Il brûle l’ancien golem
et nous brûlons avec lui,
entre démence haute, murs et pavés,
entre espaces froids et fermés
où tous attendent d’être bercés.

Il brûle l’ancien golem,
son ombre vacille au bord des rochers,
l’eau en furie l’entraîne,
d’un seul doigt
nous avions décidé de sa ruine,
les claviers de nos écrans
en avaient dessiné l’impensable folie.

Il brûle l’ancien golem
par les artères d’une ville
qui ne veut avoir de nom,
Il poursuit sa course de comète
en maudissant celui qui au-delà des signes
avait eu l’imprudence de le créer imparfait.



 



XX



C’est le souffle de l’eau,
c’est le souffle de la terre,
mêlé à la rouge sueur du volcan.

C’est le souffle du ciel
c’est le mercure plongé dans la mer,
c’est le corps flamboyant,
c’est le souffle du souffleur
qui s’épuise dans le chant.
                 
C’est un peuple au bord d’un fleuve
sans ponts ni  barques,
c’est un peuple sans espoir de traversée,
un peuple dressant
sur la plus grande des places
de la plus grande de ses villes
une potence démesurée
pour cette vérité
dont il ne peut sans périr
entendre les accents.




 








                                                                                              

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