L’OS
QUI TREMBLE
QUI TREMBLE
2010
c’est un os
un os creux
qui vibre
d’un souffle
continu
ce souffle
se veut
sans apaisement
aucun
comme
un
écoulement
de
sang
Os qui tremble
en ces demeures
où je n’ai pu naître
Égorgez-moi un
matin
où le couteau se présente
avec une telle force
une telle évidence
qu’il ne soit plus possible
de faire autre chose
que d’en tester le fil
où le couteau se présente
avec une telle force
une telle évidence
qu’il ne soit plus possible
de faire autre chose
que d’en tester le fil
prison
citadelle
plus près encore
plus facile d’accès
la réserve à poisons
seule issue
ce cri
dans lequel déjà
je ne suis plus
citadelle
plus près encore
plus facile d’accès
la réserve à poisons
seule issue
ce cri
dans lequel déjà
je ne suis plus
c’est le bois fendu de la grande horloge
la plaie n’est pas encore assez grande
pour que s’y glisse
tout entier
le siècle
enchaînés au temps
pire que forçats
nous misons sur des abîmes
nos gains
ne sont que ténèbres
l’os
est au seuil
il attend une vision
la roue tourne
la nuit n’a pas son pareil
pour écraser le jour
le puits est à sec
la corde miaule
le seau vide cogne sur les pierres
laissez venir en mes os
le vacarme profond des dissonances
les fleurs noires
les portes de bronze
les lions de pierre
aux rugissements de sable
les chapelets d’ivoire
colliers d’osselets
que l’on égrène sur les tombes
puis
l’infortune des vents trompeurs
des ventres affamés
l’immense
l’interminable
chevelure du sang versé
révolte
un grand soleil
virevolte
dans une tête sans vie
rien n'est plus atroce que de se sentir os
avec cette tête du mort
vissée entre les épaules
avec les phalanges du mort
sur les genoux
cohue des os
indifférente
à tout ce bleu
qui la traverse
sang tout autour
flèches
vibrantes
dans les yeux
cris plaintifs
dans les conques
la terre se brise
brûle
la fosse
s'ouvre
hurlante
elle vomit des rivières d’os
il est minuit
à l’horloge des voyants
les ombres se pulvérisent
en nos mains
comme navires sur brisants
nos corps restent de marbre
sous les cyprès torturés par les vents
la falaise crayeuse
est un pont
où passent des farandoles d’os
la fatigue
l'immense fatigue du corps
cache celle qui travaille en-dessous
celle qui attise l'esprit
lui adjure ne pas renoncer
de ne rien lâcher
la fatigue
juste un frémissement
averse
tremblement vertical
à la lisière d'un foisonnement
d'une lumière serpent
déchirure
langue suspendue
pendue
aux traces
fossilisées
pour écrire encore
la force de cet os
résolument
en mouvement
nerfs
nervures
chairs
sillons
entailles
fissures
le ciel comme une tombe
du sang sur les mains
de l'encre au front
la blessure est profonde
et en ces abîmes gronde
un fleuve
tout en épousailles funèbres
un autre corps lui fait face
en cet autre s’engouffre
sang du gouffre
épouvante
sans failles
l’hôte
griffe
une mémoire
d’os
toute en plaintes dispersées
toute en verbes momifiés
des fantômes de granit
ont remplacé les routes
un peuple d’os dressés
repousse le ciel
avec des mugissements de gorgone blessée
je suis pardonné
le souffle est là
le corps respire
les grands arbres
offrent généreusement
leurs ombres fraîches
les saules baignent leurs chevelures
dans les casques dorés des buissons
des fusils rouillent sous la terre
je suis pardonné
l'enfant que j'étais
lance dans la rivière des galets
lance dans la rivière
lance
comme une torche
dans l'ombre des roches
le sang dans la mémoire des mains
lance
comme une torche
dans l'ombre des roches
le sang dans la mémoire des mains
cavernes
où gisent
peaux
os
carcasses
où rampent
glissent,
silencieux
insaisissables
les visiteurs
en quête d’os vivants
elle pousse l'épouvante
elle se tord
part inlassablement à l'assaut
elle nous poursuit l'épouvante
nos chairs en sentent déjà l'odeur
nos os en détectent l'indéfectible présence
une pestilence la précède
on ne sait l'expliquer c'est ainsi
l'épouvante sème l'ordure
il y a urgence
entre neige et soleil
entre os et sang
urgence
de
poings serrés
de corps insoumis
d’esprits résistants
pour preuves
les flots de nos cris
les sursauts de nos langues
nos soifs
de ventres brasiers
nos poings douloureux
qui frappent la terre
jamais vaincue
urgence d’os brisé
qui perce sous l’acier
par défaut de nuit
par carence de poudre d’os
écrire
on parle mieux avec le ventre
qu’avec la bouche
ne pas entendre ce corps
avec toutes ses faims
sa douleur d'être
en finir avec cet infini
qui nous dévore
en finir avec cette peur qui nous creuse
qui nous fore
troquer toutes nos nuits
contre d'aveuglantes clartés
sortir
hors de cet os du corps
hors de cette pierre
traverser cette montagne
qui nous paraît si solide
sortir
se laisser emporter
malmener
par cette fièvre
par ce flux de désirs
par cette soif jamais calmée
de libres étreintes
d'incontrôlables soupirs
malmener
par cette fièvre
par ce flux de désirs
par cette soif jamais calmée
de libres étreintes
d'incontrôlables soupirs
un vent se lève
il ne vient ni de l’ouest ni de l’est
il prend naissance ici
à la jointure de l’os
à la périphérie des nerfs
la langue serpente
se déchire aux barbelés
s’enroule autour des miradors
maladroitement contourne la mort
toutes lumières éteintes
nous forgeons encore
dans le secret de nos ventres
des énigmes de feu
des mystères de sang
la bouche aimante
confond le membre
avec l’os raide de la nuit
cette ombre souffre
de n’avoir toute sa tête
de ne posséder ses propres os
le verbe est un fleuve
image insipide
banale
mais
dans le lit de ce fleuve
tant d’êtres
se sont endormis
de ce lit noir
retirer le sable
grain par grain
lentement
trier
carcasses
os
ossements
séparer
le sang de l’ivresse
Il s’agit d’écrire
pour pousser l’os
hors de ses tranchées
hors de ses frontières
l’acculer en son désert
le libérer de sa gangue de chair
il s’agit d’écrire
pour ne plus écrire
pour ne plus entendre
cet épouvantable vacarme
à l’intérieur de l’os
c’est
un déchirement sonore
qui fait s’écrouler la nuit
sous les attaques
des heures
tendre
vers ça
vers ce quoi
l’os se tend
faire imploser
corps
cervelles
ouvrir à
coups
de trépan
cette cage d’os
mutilée
rejoindra son tombeau
derrière
cette foule
un mur
derrière ce mur
une verticale de plâtre
muette
indéchiffrable
derrière encore
le désir
d’une main
muette
moins expérimentée
plus humaine
pour échapper à l’appel
de l’os
enfouir sa tête
dans un suaire
os toujours
os pilier
os soudain
au bord du muscle
où
s’agitent d’étonnantes figures
trognes peintes par Ensor
se disputant
l’os dernier
la tête
s’agitent d’étonnantes figures
trognes peintes par Ensor
se disputant
l’os dernier
la tête
invente
des conquêtes plus raffinées
des paysages
tout en cheminées
alignement d’os
tout en cheminées
alignement d’os
un alignement d’os
rien de plus
préparer notre retour
choisir le silence qui conviendra le mieux
s’échapper
de votre bouche
s’affranchir de vos lèvres
de vos mondes
qui peu à peu insidieusement
dangereusement
devenaient nos mondes
l’os immobile
règne
sur
la nuit qui saigne
nous sommes tous là
étrangement fendus
cherchant encore dans la tourbe et le sang
nos impossibles racines
tout alentour
est devenu
venin
liquide lourd
qui s’invite sous terre
lentement
tout alentour est devenu
promesse d’un chaos
d’une seconde arrêtée
promesse d’un os
qui ne se pense fragment
mais corps entier
la lenteur reprend le dessous des choses
la terre baignée d’ombres
à nos visages monte
des doigts de cendre
redessinent nos arcades
remodèlent un à un nos os
il est gravé sur une pierre
plus blanche qu’un suaire :
ci -gît l’os qui a enterré l’os
massacre de la semeuse
des champs noirs à perte de vue
grand corps
tronc tordu
grand corps
jeté
nu
plus bas
plus bas encore
des crânes en apnée
comptent leurs dents de noyés
là
il nous faut placer
l’indicible
silence
l’os aussi
se nourrit de cadavres oubliés
os planté
en
ce
cratère
d’où jaillit le crotale
froissements
de tôles
échos d’orages
os planté
en pleine décharge
terre noire retournée
sillonnée de couteaux
de crachats
de peaux mortes
os planté
mâchoire brisée
mêlée criarde de souvenirs d’os
ce doigt seul
occupé à sonder l’espace
à explorer ce crâne fendu
par l’incompréhensible parole
os planté
en pleine décharge
terre noire retournée
sillonnée de couteaux
de crachats
de peaux mortes
os planté
mâchoire brisée
mêlée criarde de souvenirs d’os
ce doigt seul
occupé à sonder l’espace
à explorer ce crâne fendu
par l’incompréhensible parole
jugement de l’os
des forcenés creusent sous nos murs
on entend les bruits réguliers de leurs pioches
de leurs pelles
une éternité qu’ils travaillent ainsi
sans fatigue
bientôt la terre s’affaissera
il y aura un trou
nous serons dedans
os et herbes mêlées
livrés à nous-mêmes
face à l’os
la ville dort
mais ce n’est pas d’un bon sommeil
des corps nombreux
peaux mêlées
tentent d’oublier leurs existences d'os
ils attendent fiévreux
cette aube
qui délivrera leurs chairs
de la tyrannie des os
n’être plus que cette pâle énigme
une vigie sans tour
un être en attente de miracle
n’être plus
que cet os qui tremble
n’être plus que cette lumière éteinte
cette chambre sans fenêtre
récit sans trame
drame
sans mise en scène
n’être plus
que ce souvenir
d’un monde qui saigne
ce lambeau de ville
où circulent des peaux
n’être plus que cette faille
cette brisure
ce geste un peu las qui salue un départ
dent arrachée
à la frontière de l’os
trou dans la gencive du ciel
ce rêve d’os
en sursis
os
poignard
en quête de victime
danse des doigts
fragments d’os
qui agrippent la lumière
ne saisissent que la poussière
l’abîme
l’abîme avance
un cri appelle d’autres cris
ailes brisées
au fond des eaux glacées
l’océan
cet immense piège à os
là où la nuit fait plier et gémir l'os
il faut tailler l'os
jusqu'à la moelle
tailler l'os
pour le faire outil
ou arme
lente apparition
derrière la barrière des dents
victoire de cette terre
gardienne des crânes
le récit prend figure
os après os
un visage se déplie
cet immense piège à os
là où la nuit fait plier et gémir l'os
il faut tailler l'os
jusqu'à la moelle
tailler l'os
pour le faire outil
ou arme
lente apparition
derrière la barrière des dents
victoire de cette terre
gardienne des crânes
le récit prend figure
os après os
un visage se déplie
se fait livre
voilà le poison
voilà notre sursis
voilà le poison
voilà notre sursis
l'os
finit ainsi
en
poudre
en
farine
dispersée
il faut oser l'os
oser cette mise en scène
de la décomposition ultime
oser l’os
pour ressusciter l’histoire
pour ressusciter l’histoire
dessin maladroit
d'un os qui tremble
sur la face rongée
d'un mur
obstacle tragique au soleil
récit de l'os nu
né de la joyeuse cohue des morts
choisir cet os
comme seul emblème
preuve solide du vivant
os à mots
en tirer toute la moelle
en dépit
des morts qui jouent
aux morts
os
ce mot qui tombe
longtemps mastiqué
sous les dents du mort
qui lui seul sait
ce que os veut dire
ce que os emporte
au seuil du monde
où le mot tombe
signe sa défaite
d’os
discours morcelé
pris dans la spirale
de cet os
dans cette danse
des gestes
fragmentés
labyrinthe de verre
où tout vivant
crée
son enfer
os nu
qui
pour survivre
se fait être
et
saute
en ce vide
entièrement
nu
la foule
comme une rivière en crue
entre des parois d’os
percées
longtemps mastiqué
sous les dents du mort
qui lui seul sait
ce que os veut dire
ce que os emporte
au seuil du monde
où le mot tombe
signe sa défaite
d’os
discours morcelé
pris dans la spirale
de cet os
dans cette danse
des gestes
fragmentés
labyrinthe de verre
où tout vivant
crée
son enfer
os nu
qui
pour survivre
se fait être
et
saute
en ce vide
entièrement
nu
la foule
comme une rivière en crue
entre des parois d’os
percées
os qui font de nos villes
ces forêts d’os gris
criblées de cavernes
aux lumières blafardes
à leurs bords
des vivants parfois
se penchent
mais les os
qui se pressent tout en bas
ne les voient pas
qui se pressent tout en bas
ne les voient pas
cortège
tout devant
la
mariée d’os
les invités sont tous des spectres
venus des violentes plaines
la noce bat son plein
les moteurs tournent à plein régime
sous les rubans
les yeux des noceurs
leurs yeux toujours
regardent l’horizon
la ligne océane des monts
leurs yeux arrachés trop tôt à la terre
ne peuvent voir grandir sur les toits
la folle sarabande des os
L’Os qui tremble - 18 septembre 2010
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