jeudi 16 mars 2017

La nuit travaillée 2003








LA NUIT 
TRAVAILLÉE



2003



 
1


Enveloppés en nos nuits
en nos désirs,
enveloppés
en des rubans de soie,
érotisme du sommeil,
offrande nous plongeant
en des vallées creusées par la sueur.
Frissonnements à la lisière du défendu,
ventre à la douceur embrasée,
pluie fine du désir
en lentes échappées,
ce corps lové, étiré,
pieds et mains moites,
plis nombreux à l'intérieur,
ce corps,
tout en beauté,
l'amour en creux,
le plaisir en vagues.




2


Des lèvres au masque,
de la bouche au cri,
paupières tenues en laisse,
le désir a forcé la grille
et pillé notre nuit.






3


Noces malignes
la fausse note s'est invitée,
tragédienne,
bas résilles et mantilles,
robe fendue,
éclair blanc de la cuisse,
peau sous la peau,
l'aube s'allume
à l'incendie de ses lèvres,
le moindre vice s'abîme
au dernier étage de ses yeux,
laisser filer la nuit,
comme d'un coup d'ongle,
maladresse coupable,
elle avait filé son bas.




4



Dentellière
penchée sur la danse des fils,
la main agile,
les yeux sur l'ouvrage
à suivre patiemment
les dessous
des dessins complices.

Croire en cette promesse
d'une aube jouissive,
croire en la vie ouvrière,
en l'œuvre,
en son secret motif.

Oublier la crispation des doigts,
la fatigue,
puis la main entière
prise dans le fil,
dans la toile.

De ce long cheminement,
de ce dessin,
fil blanc, fil noir,
se libérer de la trame
de l'infini des cercles brodés,
poser toutes les aiguilles,
prendre le peigne
démêler ses cheveux
trop tôt argentés.


Dans la fleur de cet âge,
l'homme jette sa cognée
tombe
dans la fondrière
au côté du lièvre blessé
et s'émerveille des constellations  traversées.




5


Sous les talons aiguilles
des femmes légères
la trace d'une nuit,
d'une nuit de veille,
d'une nuit de chasse.

Celle prise au collet,
au piège de sa mélancolie,
se réveille soudain
secouée par les pleurs.

Des faims silencieuses remontent
de cette eau si noire,
de cette nuit
d'où définitivement
vous fûtes chassés,
de cette nuit
où amoureusement
nous fûmes surpris.

 



6



Là nous avions placé le ventre
et le centre,

là,

avec toute sa banalité,
sa capricieuse  multitude,
sa difformité parfois.
Là nous avions placé
notre désir de chairs nouvelles
de peaux neuves sans toxines,
d'empoisonneuses sans poisons,
de vies sans tourments,
dans l'attente d'une subtile douleur,
d'une douceur trop vive.

Lente dérive en nos cerveaux malmenés.

Nous briserons nos trop nombreuses faiblesses
et séjournerons en nos rêves
génétiquement modifiés.

En quête de mouroirs aseptisés,
mêlerons aux souffles de nos fidèles amies
notre connaissance de l’abîme
et nos tragédies intimes.



 

7



Nuit où l'encre à tes pieds
ressemble de plus en plus à du sang,
nuit des flots jamais endigués,
nuit des fleuves régulièrement dragués,
nuit qui coule de tes veines,
nuit qui coule de mille plaies à la fois,
de mille endroits du monde,
nuit
à tout jamais
nuisible.




8



Soumis nous sommes
à l'étrange nuit des pierres,
à l'étrange loi des incendies,
qui ruinent parfois nos yeux
sous nos paupières.

Sur une scène mouvante
nous répondrons
à cette imagination des signes,
dans la lumière brutale,
nous répèterons nos rôles,
habillerons nos gestes
de trous noirs et d'étoiles.


 

9



En un lac aux eaux pâles
s'enfoncent lentement nos corps,
rôde la mort
et ses ovaires de métal.

Sade,

cette nuit
te dédie ses nouvelles chairs,
ses nouvelles extases.

Sade,
rôde la mort
sur ce monde devenu simple organe,
ce monde devenu verbe en latex.

Sous un ciel infecté de virus
comme vissée,
la tête horrible de la guerre
couronnée de vermine.

Sade,
ton monde cagoulé est là,
il t'attend,
il se livre,
rôde la mort
et ses supplices,

cherche en ton entrejambe
la source du fleuve noir
qui éloigne les terres,
aveugle les êtres.

Rôde la mort,
c'est elle qui pousse,
Sade tu  n'y peux rien,
sous les fouets armés de plomb
la chair du monde
découpée en lanières.

Rôde la mort,

C'est elle qui pousse,
Sade tu n’y  peux rien,

Rôde la mort,
c’est elle qui pousse
entre nos jambes….
par milliers….
des têtes nucléaires.

Sade, 
C'est la mort qui pousse,
c'est la mort qui rôde,
pousse,
pousse effroyablement !
et chante le divin métal.
Sade tu n’y  peux rien.

C’est la vie qui pousse
mais c’est la mort qui gagne.




10



Eloge de la peau
à la recherche de la peau,
des mains gantées
frôlent le nylon,
se fraient un chemin
saisissent dans la nuit
les totems brûlants du désir.





11


Assis sur nos chaises
nous comptons nos côtes et nos abîmes,
portons avec nous
des chambres sans idylles,
des couloirs sans lumière.

Nous voici passants
entre l'outrage d'un hiver
et le pardon d'un printemps.

Nous voici, passants,
accusant la cruauté de la nature,
nous disputant des lambeaux
d'un pauvre rideau de scène
pour recouvrir nos mensonges nus.

A tant de trahisons nous ne pourrons survivre,
à l'heure des conjugaisons faciles,
nuit de frasques et de dérives,
nuit où la dispute se mêle à la litanie.

Nuit, chantier d'une nouvelle Eve
nuit au fruit vibrant de toutes ses hélices
portant sous son ventre de fer
le calice noir des éternels supplices.



12


Est-ce la raison qui valide le jour
où nous-mêmes qui sans raison portons le jour
comme d'autres porteraient un cadavre ?
Est-ce notre raison qui supplie le jour de rester
ou trop futiles pour cela
nous égarons nous encore
en des pièges grossiers,
mécaniques de paroles et de gestes ?

De ce vide,
de ce vertige,
nous en avons ramené le goût du vide,
l'attirance de l'imperceptible.

Nous poursuivons l'ombre,
nous la voulons la réduire,
tous nos sens tendus
vers le même désir de destruction.

Nous brûlons de tant de mensonges pieux,
nous brûlons n'est-ce pas ?
Tous nos livres témoignent,
notre souffrance n'est pas feinte,
nous brûlons  n'est-ce pas ?
Immergés dans l'acide de  notre quotidien.








13



Dans la nuit du texte
l'aube fabule,
terre de nuit,
asile,
des myriades d'yeux
parcourent le monde,
la nuit
c'est une telle poussée,
une telle langue
calculée.

La nuit des ponts
déverse ses troubles,
le fleuve en dessous
relève sa robe.

Terre de nuit,
asile,
mesure du drame,
en cette lecture maladroite
trébuchements,
murmures,
chaque parole
aussi féroce
que la précédente.




14



Du papier l'Eden,
du papier avec marges,
et versets,
épîtres et pupitres,
Dieu si vous existez
châtiez les nombres et leurs disciples !

Le temps nous a été compté,
le fruit était binaire
l'arbre,
le fruit amer d'un logicien.

Du papier l'Eden !
du papier !
Tout d'un bloc
donné,
lâché
l'instant cacochyme,
l'éternité branlante,
l'unité arrondie
à l'infini supérieur
enfer du chiffre,
du calcul théorique,

L'ange jette son luth dans le ciel
et de dépit loue une calculatrice.





15



La nuit est au plus mal,
au plus malin,
la nuit de la professionnelle
quelques printemps à peine.

A la nuit de se souvenir
d'une course entre les fougères,
des premiers effleurements,
des premiers égarements,
quelques printemps de plus
et là voilà,
nuit cisaille,
nuit pierraille,
errante en cette  nuit
offrant ses charmes
à l'absolu affamé.


16



La chair,
toute la mémoire n'y suffit,
en ce pion silence posé à côté du damier,
suite logique d'une seule prise oblique.

Mensonge pieux,
croiser les genoux,
sous l'obscure renversée
faire peau neuve.



Ongles sales ou vernis,
jambes gainées de nuit.
Derrière les fenêtres,
allumer des bougies
pour les anges.
Monter dans les chambres,
tirer les volets,
trier les songes propres,
parabole d'un envers,
d'une racine,
d'une audace.

Pour rendre justice aux morts,
oublions les blessures des vivants.

Et tous de tracer le cercle
où toute bouche apprend
par la rature ou la virgule,
la violence de la ligne droite,
la trahison du signe.


 
17


Belle nuit singulière
nous repeuplerons ta mémoire
en regarnirons la treille.
Flux entre deux coteaux,
choisirons la pensée
qui chasse sur ces terres,
pour illustrer ton mystère
descendrons
dans les brocantes de tes villes
pour y trouver le mot rare.



18


Nuit, vous ne pouvez être sereine
quand mille bouches vous accueillent
en des réduits sans feu
sur des paillasses sans ivresses.

Nuit, vous ne pouvez être sereine
quand l'océan se retire sous nos pieds,
quand les lueurs du monde
sans plaintes ni prières
une à une s'éteignent.

Nuit, vous ne pouvez être sereine
quand la faim et le froid
descendent dans les plaines,
creusent sous la terre
les fondations d'autres nuits éternelles.

Nuit, vous ne pouvez être sereine
quand aux mains d'un Dieu sans raison
un homme danse sur une barque,
alors que s'impatiente
et se jette sur toute la terre
l'ombre ancienne d'un feu qui palpite.




  

19




Nuit    des charrettes chargées d'étoiles sanglantes,
nuit    des civilisés, des chirurgiens fous,
nuit    des chiens écrasés, des cerveaux défenestrés,
nuit    des sibylles couvertes de crachats,
nuit    des plaintes et des cris,
nuit    des musées toujours froids
nuit    des modèles de cire,
nuit    des machines à aliéner,
nuit    des machines à torturer,
nuit    des mines condamnées,
nuit    des hommes noirs,
nuit    des hommes bleus,
nuit    des hommes rouges,
nuit    des insoumis, des révoltés,
nuit    des mimes, des masques,
nuit    des affamés, des assoiffés,
nuit    des jeunes meurtriers, des justiciers en herbe,
nuit    des nourrices,
nuit    des berceuses,
nuit    des cadavres encore chauds,
nuit    des vêtements lacérés, mal reprisés,
nuit    des corps entaillés,
nuit    des jambes raides,
nuit    des bras perdus,
nuit    des pas incertains
nuit    des regards sans yeux,
nuit    des mains sans finesse,
nuit    des corps sans âme,
nuit    des mères sans enfants,
nuit    de l’homme seul,
nuit    de la femme sans compagnon,
nuit    des errants,
nuit    des sans-fortune,
nuit    plus noire que toutes les autres nuits

Et tous d'aller,
et tous de se perdre en cette  nuit !








20


Pour que guerre perdure
il faut promettre n'est-ce pas ?
Promettre combien de paradis ici ?
Pour que jouissent quelques-uns là-bas ?
Combien de peuples soumis ?
Combien de peuples esclaves ?
Il leur faut bien payer le prix !
Et ils paient, ils paient !
dans la nuit de leurs corps
mutilés,
brûlés,
écrasés,
Ils paient, ils paient !
Sous l’enfer des bombes,
dans les ruines de leurs maisons,
sous les chenilles des chars,
dans la poussière des pelleteuses
ils paient, ils paient !
Dans la nuit des martyrs,
dans la nuit des exilés,
dans la nuit des fosses anonymes,
dans la nuit des assassinés,
ils paient, ils paient,
n'en finiront-ils jamais de payer ?







21




Pas de nuit sans  feu,
pas de nuit sans jeux,
pas de jeux sans harmonie,
pas de feu sans silex,
pas de cercle sans compas,
pas de perpendiculaire sans équerre,
pas de lit sans fleuve,
pas de vent sans cheveux,
pas de sang sans chair,
pas de tête sans bouche,
pas de lèvres sans langue,
pas de verbe sans sujet,
pas de nuit sans toi.







22


C'est une absence d'être
prouvant à sa manière
la nécessité de l'ombre,
du gouffre non encore découvert,
c'est une ombre collée
à d'autres lèvres que les tiennes.

La nuit contient tous les bras
qui n'ont pas pu ou voulu prendre,
la nuit contient toutes les pensées
qui n'ont pas eu accès à la parole,
la nuit contient toutes les bouches
qui n'ont su embrasser,
la nuit contient tout cela
puis
quand la peau a délivré ses parfums,
quand la peau a retiré ses peines,
quand la peau a brisé les entraves de la peau,
elle libère un à un ses reclus
les renvoie là où ils avaient échoué
pour les reprendre avant l'aube
leurs actes manqués un à un réparés.





23




Nuit chaste et glacée,
nos frilosités sont pleines de tes murmures,
nos corps inaptes à respirer,
à humer cette froidure,
aspirent à la paix partagée.

Tes bras nous ont saisis et trahis,
des fleurs mauvaises ont trompé nos sens,
ont effacé nos croyances.

Dans la nuit de nos cris,
en cette nuit de pitié,
pour cette torture sur le papier
devant la cendre vive,
battre cette pensée brûlante.




 

24




Nuit composée de tant de  tourments,
nuit des  alliances secrètes,
des déchirures violentes,
nuit où tout vacille,
où tout  menace de rompre.

Nuit,
                  Digue,

Nuit, vous nous avez montré vos fêlures,
montrez-nous vos signes,
vos arabesques,
vos cahiers dans lesquels s'alignent
vos études, vos épures.

Nuit
Pouvons-nous croire en vos  artifices ?
Pouvons-nous encore nous lever
immenses et forts,
et nous croire fondateurs de l'obscur,
l'espace d'un instant
brûler de cet orgueil matricide ?
Les âmes de verre
la nuit,
choisissent leurs passages,
leurs ponts,
leurs Bibles de cuir.

Des têtes lourdes des scribes
s'échappent une encre parfumée,
la nuit tout entière
s'en trouve changée,
nuit de cire,

nuit
            où le corps

                            par amour

                                                 s'ouvre.


 


25



Alignements,
pourcentages,
graphiques,
avec leurs courbes
ils nous ont enfermés en des droites.
Comptez, comptez vos nuits
vos frontières galopantes,
comptez vos ailes détruites,
vos songes gaspillés,
vos folies militantes,
vos auréoles de ciment,
vos cœurs de boursiers,
vos peurs des faillites
comptez, comptez vos rives,
vos jours et vos dimanches tristes,
comptez, comptez vos rimmels de cuivre,
vos bouches dessinées,
vos sourires simulés,
vos crèmes de jour,
vos recettes de savoir-vivre,
comptez, comptez sur vous-même,
comptez sur vos supérieurs,
pour gravir ou pour descendre les marches,
comptez sur vos véhicules pour véhiculer la mort,
comptez sur le luxe pour accroître vos vices,
comptez vos votes pour laver vos principes,
comptez vos journaux
pour la santé de vos consciences,
comptez vos jours,
les pluies, les vents, les marées, les naufrages,
mais comptez toujours !
Quand avec vos chiffres,
vous serez arrivé à traduire vos cerveaux
en microdonnées,
quand dans vos vies bien réglées
à l’aide de vos processus logiques
vous serez parvenu sans effort
à concevoir d'autres lois
qui feront apparaître celles d'aujourd'hui
comme douces reliques,
quand dans vos yeux dressés
se compteront les oliviers morts
et danseront en des  jardins numérotés
des filles aux peaux trop blanches,
quand sous les drapeaux étoilés,
emblèmes des territoires interdits
et des greffes contre nature,
défileront vos drones et vos clones,
quand votre science
aura modifié toute la flore et la faune,
quand avec vos sexes missiles
vous aurez fécondé tous les enfers,
quand en vos colloques, en vos sommets,
noyés dans le brouillard empoisonné de vos crimes,
vous parlerez encore liberté et progrès,
quand avec vos chiffres
vous aurez aussi rentabilisé l'amour
et classé les méritants,
nettoyé les déficients, les non-conformes,
quand vous aurez imaginé
et crée d'autres enfers aux normes
toujours plus efficaces,
toujours plus compétentes,
retournez, retournez à votre nuit
laisser l'univers reprendre ses droits,
laisser la nuit totale et dernière
recouvrir de son néant
ce qui se prénommait humanité.





26


De la nuit camarade,
de la nuit de l'homme
dans le jardin des Oliviers,
nuit des faiblesses,
nuit des initiés.

De la nuit camarade
nous parlerons de la nuit,
de la nuit de l'homme
de la nuit du verbe singulier.

De la nuit camarade
nous parlerons de la nuit
celle des tables sans lampe,
des fenêtres sans lumière,
des vertiges sans paroles,
des films sans couleurs,
des corps sans pesanteur.

De la nuit camarade
nous parlerons de la nuit,
et nous l'appellerons très froide,
et nous l'appellerons camarde,
nous l'appellerons
elle viendra
fermer tes yeux.




27


Là où dorment les hommes
ne dorment plus les anges,
là où dorment les hommes
appartient aux seules femmes
la douce mesure du temps.




28


Du chemin,
de la distance,
de la main à la bouche,
de la nuit à l'aube,
du chemin à la route.

Chercher dans la nuit des autres
cette autre nuit,
briser la pensée,
mêler le désordre
au corps épuisé,
pensée chahutée
avec laquelle tu n'oses plus te lever
de peur de voir
dans la vitre qui toujours grimace
le reflet d'un visage
qui trop tôt ne sera plus.

Du chemin,
de la distance,
de la main à la bouche,
du lit au ventre,
un seul mot
là où la vie seule
pigmente la peau
et lui donne
cet éclat féminin.

De la nuit à l'aube
quelques secondes de vie en plus,
clarté soudaine
comme un  surplus,
forme prudente et lointaine
d'un sursis à l'évidence,
d'un glissement entre les herbes,
une pierre qu'une main d’enfant jette
en direction du soleil,
folle stridence
dans l'éclair argent
d'un jet
signe d'adieu au continent.




29



La nuit tremble,
vibre soudain
à l'horizon d'une délivrance,
l'infini d'une nuit
drapé dans l'écorce
d'une vive insouciance.
Là tu ne peux percevoir
ni la rive,
ni la barque
qui traverse sans rames ni voiles,
là le mystère,
là ta nature bien différente,
ton corps antiphonaire,
tes bras retenant l'ombre,
nuée fiévreuse,
nuit de questionnements sous la lampe,
nuit chaste et violente,
nuit scie circulaire.
Là tu ne peux vivre,
ni coudre tes veines
avec le fil d'une pensée
si légère,
si vaine,
qu'elle coule
sur la faïence
comme s'éteint une pulsation
au creux d'un nuage stellaire.




30


La nuit
tu peux nettoyer ton fusil,
compter tes cartouches,
la nuit
elle te frappe,
et tu ne peux répondre
ton cri n'est qu'un cri de plus
dans l'océan des cris inutiles.

La nuit
tu peux nettoyer ton fusil,
compter tes cartouches,
la nuit elle te frappe
sans que tu aies jamais pressenti
ni le lieu ni l'instant,


la nuit
tu peux enterrer ton fusil
la terre déjà s'approche
et te lèche les os.



31



N'aviez-vous pas assez veillé jadis
au bord des tombeaux,
n'aviez vous pas assez rêvé
de rives éloignées soudain réunies
en une même nuit sertie de joies ?

N'aviez-vous pas assez rêvé
d'une nuit d'épaules rondes,
de chairs étonnamment complices
de dos dressées en colonnes claires
sous un ciel de drap d'outremer froissé ?

N'aviez-vous pas
voulu rendre le poème nourricier
à la source féconde,
image encore enfouie en votre langue natale,
n'aviez-vous pas voulu prédire ce moment
où l'encre fatale
s'évadant  de l'encrier
vient se perdre
entre les écueils de l'aurore
et les pages d'un recueil
où le poète parle
d'une nature si prompte à effacer l'erreur ?



32



Je ne voudrais vous voir
vaincu et vainqueur,
je ne voudrais vous voir
puissant et esclave,
je ne voudrais vous voir
heureux et égaré,
je ne voudrais vous voir
nuit et jour
dans la même chambre.



 
33



Nuit
nous laisseriez-vous
prendre en vos profondes frondaisons
un fragment de votre mystère ?
Nous laisseriez-vous
le porter à nos lèvres
pour oublier la faute
qui perpétuellement nous oblige à fuir,
à manger des racines
et à nous perdre au sommet des arbres ?