CORPS DÉSACCORDÉS
1999-2000
1
Trop vite,
nous allions trop vite,
le
fonctionnement du monde devenait si obscur,
ses
mécanismes si incompréhensibles,
les
véhicules fous de nos corps
prenaient
les autoroutes de la pensée à contresens.
2
Arrivé à cette sécheresse
où chaque geste tente
de reconquérir la sève,
arrivé à l’instant où
le corps peine à se reconnaître.
où chaque geste tente
de reconquérir la sève,
arrivé à l’instant où
le corps peine à se reconnaître.
Vous vous surprenez alors
en vos déliquescentes anatomies
à vouloir élargir portes et fenêtres.
Vous avez tant à faire en vos intérieurs,
attendre des nuits sans pénombre,
compter avec tous les plis de ce corps
de moins en moins docile.
en vos déliquescentes anatomies
à vouloir élargir portes et fenêtres.
Vous avez tant à faire en vos intérieurs,
attendre des nuits sans pénombre,
compter avec tous les plis de ce corps
de moins en moins docile.
3
Se
soustraire à la morale,
à la
décence,
se faire
ouvrier de l’imparfait,
ne renier
aucun déséquilibre,
se
reconnaître dans toutes les chutes.
4
Cet
essoufflement
là tout
proche,
répété,
cette ligne
retrouvée intacte
certitude
d’avoir laissé le sens
traduire la
parole,
d’avoir
échappé
à la lente
alphabétisation des fantômes.
5
Un corps que
l’on ne peut décrire
hante toutes
les mémoires,
face nord,
face sud,
que l’on ne
cesse de gravir.
Un corps en
invention d’êtres
prodigue en
saluts éternels,
présent en
la même peau sollicitée,
une seule
peau pour toutes les félicités.
Un corps
ne connaissant pas sa surface,
retenu par la honte,
où un rien se prolonge,
avec un accent de vérité,
acharné à poursuivre des principes,
paysage dévasté par d’oniriques chantiers,
Un
corps aux courbes naissantes,
pour de nouvelles flambées d’étoiles.
pour de nouvelles flambées d’étoiles.
6
Ce corps
rétréci
tente de
dénoncer la dictature
des sirènes
d’usine.
Mais quel
fut son crime
pour vivre
pareille condamnation ?
Se suicider
est certes déplorable,
mais se
survivre ainsi est inadmissible.
7
Toute
disparition est inacceptable,
nous n’avons
plus de questions
pour tous
ceux qui souffrent au présent,
pour tous
ceux qui si absurdement disparaissent,
plus
de crachats, plus de fiel,
le fruit est
l’une des demeures du ver.
8
Il n’existe
de nature heureuse,
tout est
lutte, transformation,
il nous faut
vivre, avancer.
La discrète
beauté des sources
creuse la
pierre.
9
Autre
équation du corps :
Au centre de
ce centre
nous
surprenons et interrogeons sans relâche
la mémoire de
ce corps érotique
gravé dans
l’œil du disque.
10
Après avoir
tant distribué,
après avoir
tant vécu
au sein
d’étrangetés
ce corps a
failli.
Authenticité
d’une chute,
démesure du
détail,
l’apprentissage
de la douleur
ne lui aura
rien appris.
Usé par les
réalités,
derrière la
discrétion des paravents,
tant
d’années passées sur la même scène
à hanter ses
propres plaies.
Le corps a
failli,
devant ce
désastre nous perdons notre bel équilibre,
nous ne
tenons plus le gouvernail,
le corps a
failli et vaillamment, nous l’avons mené à sa perte.
11
Ainsi mutilé
est-il encore
dans ce
monde des vivants,
la douleur
n’a de cesse
de traquer
l’espérance.
12
Fixé sur
cette pellicule
en attente
d’être révélé,
brasse le
puissant bromure,
compte les
marées,
guette les
signaux des pulsars.
13
Un rien l’a
signalé,
un rien l’a
perdu,
oublié en ce
fatras,
dans la zone
insupportable
où se font
et se défont
les grandes
alliances avec la terre.
Pas d’os ni
de fleurs,
pas de
couche plus dure,
pour
recevoir sa démence,
il est
l’opaque, l’énigmatique.
14
En recherche
perpétuelle de désirs,
de traces
dans l’éphémère,
de
bouleversements imperceptibles,
il dérive
sans conscience.
15
De cet
entêtement du langage et du corps
naît quelque
chose de pervers, de miraculeux,
ne pas
s’alarmer du flux de ces menstrues verbales,
ne pas
dénoncer ce défaut d’éternité,
sous l’arbre
pollué déraisonnablement prendre racine.
Sous les
bombardements des premiers soleils,
sous des
montagnes de fumures
prédire des
temps excrémentiels.
16
Corps à la
lisière des sens,
corps des
macérations inavouables,
des
hémisphères en lutte.
Corps-poème
jeté au
chien
sous la
table des excès.
17
Ce corps
tout à la
joie de se découvrir corps,
tout occupé
à la joie d’être
ignore
encore tout de la vie.
18
Prendre
l’ombre pour le corps,
sur les
parterres étroits de la raison
verser
quelques arrosoirs de pensées,
laisser
pleurer les anges dans sa tasse de thé.
19
La vérité
d’un corps ne peut se réduire à ses bruits,
il nous faut
chercher plus loin,
à chaque
faux pas
surprendre
l’équilibre feint.
Il nous faut
chercher plus loin,
en des
chambres aux paysages renversés,
dans les
bréviaires des civilisations défuntes,
en des
chants rocailleux,
les
stigmates d’une vie, d’une folie essentielle.
Il faut nous
arracher au sommeil des morts,
être tout
entier vivant et engorgé de soleil,
devenir le
révolté vertical !
20
Sans
fatigue, il arpente ses artères,
contemple
les mouvements de ses membres,
dénombre les
moissons de sa pensée,
reste voué
jusqu'à la fin à la tentative insensée
de donner un
sens au vide.
21
Quelle
corruption choisir,
tous ces
mondes dévorent leurs faiblesses,
nous ne
sommes que simulacres,
attachés à
nos peurs de privations,
désespérés
anonymes
avec notre
compulsif besoin de voir,
d’explorer,
de justifier
chacune de nos erreurs,
de se donner
l’extrême onction de la culpabilité.
En quête de
perpétuels déséquilibres,
nous
collectionnons, avec fierté, nos fuites.
22
Il nous
reste de nos fantômes
des
fragments lamentables,
savoirs
gangrenés, ornements, ossuaires,
ferrailles
tordues, moisissures tenaces.
Avant l’aube
ils se lèvent
pris en
flagrant délit d’innocence
pour
applaudir à la décollation des martyrs,
ces
indécents encombrent les trottoirs,
des parvis
aux seuils les plus humbles,
puis s’en
retournent chargés de leurs misères,
de leurs
vertus malingres,
en leurs sanctuaires où brûle la fange.
en leurs sanctuaires où brûle la fange.
23
Exprimer le
trouble désir
d’une autre
jouissance,
se délecter
de la blessure,
partir
victime,
revenir
exécutant.
24
Le refus
seul
rend le
verbe scandaleux,
maintient le
corps
dans la
posture de l’éveil.
Nous ne
bougerons pas d’ici,
les
empreintes sont trop fortes.
La terre,
grande muette,
se fait
indécente,
il pleut
l’insupportable.
Nous ne
bougerons pas d’ici,
aux
extrémités du vide
un fleuve
puissant
mime la
danse des damnés.
25
Rêver de ces
grands corps traversés
par un
perpétuel labeur.
Sauver ainsi
ce qui reste de la chair
prise dans
la glaise du verbe.
Lentement,
tournent sur
eux-mêmes des espaces troués,
de grands
corps criblés,
corps en fusion,
en ultime devenir.
corps en fusion,
en ultime devenir.
Tout vient
et son contraire,
dans le grand piège classique,
mensonge illuminé des hommes.
dans le grand piège classique,
mensonge illuminé des hommes.
26
L’espace
d’un instant
nous nous
crûmes connectés à la beauté du monde,
cet instant
où tout semble se jouer sans console.
27
Quel songe
plie cette image en tout sens,
la convertit
à un monde
soumis à la
torture de l’irraisonné.
Par les
modems brûlés de nos vies impossibles
passe toute
la pauvreté de notre ciel.
28
Pas d’autres
aveux,
pas d’autres
sciences,
que cette
corde sensible
en attente
de la sonorité impossible,
la note
originelle
perdue au
centre
d’une
galaxie de partitions.
29
Glissement,
tout se fige,
par ses
froides enluminures
le livre
révèle sa part d’obscurité.
La syllabe
noire fend le glacier,
le portrait
est toujours celui de l’absent,
le paysage
peint celui dont nous sommes privés.
30
La mort
mentale est proche,
la pensée ne
peut naître.
En cette
mémoire incertaine
des voix se
répondent,
s’interpellent,
martyrisent
le vide.
Des milliers
de vies
pour des
milliers de signes,
l’écriture
n’a jamais été aussi assistée.
des voix
s’organisent, rampent, feignent, s’élancent,
toutes
promises à une mort rapide et singulière.
31
Le corps s’y
attarde afin de trouver son fruit,
en ce jardin
de la chair
un arbre
résiste à l’assaut des pelleteuses,
jusqu’au
cœur du monde courent ses racines.
C’est ainsi
qu’en ces chantiers l’innocence périt,
l’être
s’arrachant lui-même les viscères.
32
Nuit et jour
des machines
efficaces veillent
à notre
malnutrition psychique,
à la bonne
implantation de normes mentales,
surveillent
les limites de nos goûts,
de nos
attirances,
de nos
appréhensions,
de nos
rejets.
Au paradis
des corps parfaits
sourires
peints,
lèvres et poitrines artificielles,
ces jardins fabriqués
fleurissent dans les yeux de nos enfants,
déforment le monde, démembrent la beauté.
lèvres et poitrines artificielles,
ces jardins fabriqués
fleurissent dans les yeux de nos enfants,
déforment le monde, démembrent la beauté.
33
Surface
Mémoire,
d’où
certains corps remontent,
insensibles
au chant du monde.
Tous ont été
trahis
aujourd’hui,
seules, résistent leurs ombres
magnifiques
et difformes.
34
Des corps
scarifiés
promènent
leurs croyances
en des
forêts primitives
où des
buissons de cordes
vibrent sous
les doigts du vent.
35
Nous nous
sommes consommé
en une
lecture verticale,
pitié pour
nos os,
nos pensées
fleurent bon la terre.
Nous nous
sommes consommé
en une
lecture verticale,
en une
conscience assez ronde
pour garder
en mémoire la courbe.
36
Fuite,
épreuve,
un corps de
plus noyé dans l’océan des corps,
un visage
perdu dans la transhumance des âmes,
une vague
plus grande, plus forte,
pour un
continent oublié.
37
Nous
emportons en nos valises
des
photographies de terres inondées,
des visions
de forêts dévastées,
d’êtres
suppliciés.
Doute de
l’homme
ancré dans
les viscères
de l’unique
et friable matière.
38
Danse,
se meut,
s’anime.
Il est le
geste,
le
mouvement,
la vie.
Danse,
se plie,
se déplie,
se libère,
livre ses
germinations,
ses extases,
il est
l’engendré,
seul
détenteur des archives du monde.
39
Corps plongé
en ces terres arides
d’où rien ne
sort
pas même une
plainte.
Corps plongé
en cette nuit sans orages,
sans vertus,
nuit
parsemée d’éclats,
nuit sans
pardon,
pour cette
autre nuit totale des hommes.
Notre vanité
est si féconde,
notre raison
seule ne peut admettre ce passage.
40
Trop de
césures,
trop
d’abandons,
trop de
failles,
nous nous
dépouillerons de ce corps
à la marée
montante.
41
Il est
l’éternel oublié
celui dont
on ne veut se rappeler
la cohésion,
le souffle,
les mille
autres vies qui l’animent
et luttent
pour maintenir son intégrité.
Nous le
tolérons machine,
nous le
haïssons quand,
par
l’insupportable douleur,
il reprend
sa place en notre centre.
Otages ou
locataires
nous nous
pourvoyons au noir
en souvenirs
falsifiés,
en fausses
rides
pour
échapper aux miroirs.
42
Entre
certificats et autres pièces administratives
nous sommes
tous soumis
à la valse
des tampons,
des
signatures illisibles,
notre corps
entre deux actes de papier
s’enregistre,
paie
et sort.
On déclare
sa naissance,
son amour,
son décès,
on se plonge
très tôt
dans la
communauté commune des hommes.
Entre
épreuves et manuscrits,
le corps,
péniblement,
suit
et meurt
seul,
aux
archives.
43
L’errance
pour nous, dessinait le monde.
Il suffisait
d’une attente, d’un songe, d’une peur.
Il suffisait
de se voir en marge,
de prendre
part à ce grand travail sur la parole,
à
l’élaboration de la clameur,
il suffisait
d’être pour ne pas se briser.
44
Si les mots
hésitent,
si les
pensées dérivent,
que reste-t-il
à l’orée de ce corps ?
Que
reste-t-il de cette syllabe isolée ?
Quelle
faculté peut la rendre à son langage,
monument
élevé à la mémoire d’un être
incapable de
concevoir
l’ubac et l’adret
du monde.
45
Etre vivant
cela seul
devrait nous suffire,
être
conscient d’habiter ce vivre
à tous les
étages de ce corps.
46
Hantés par
l’impossible écriture
nous avons
occulté sa fragilité,
son
irrémédiable disparition.
Nous avons
gommé sa trace en ces territoires,
ombres
extraites du ventre de la terre,
histoires
gravées sur des fragments d’os.
Nous avons
enseveli cette idylle froide
de
l’inutilité et de la faiblesse,
en nos
villes où se plantent parfois
les mats
fatigués de nos cirques.
47
Si tortueuse
notre vie,
si
inconfortable, si indéchiffrable.
Ce corps en
miettes réclame à voix haute
la
reconnaissance de son propre désastre.
De la mort
de l’arbre la racine seule témoigne,
l’ordre
apparent des choses ne nous suffit plus.
L’exigence
est devenue
source de
toutes nos déviances.
48
Le corps a
oublié l’œil de la lettre,
mensonge
typographique
entre
l’encre et le plomb la main s’active,
dans le
composteur tombent des signes,
seul
l’initié en cet instant
peut avoir
accès au sens,
plus tard la
forme
en appellera
à l’espace de la page,
plus tard,
bien plus tard
chaque
partie de votre corps
se risquera
peut-être à traduire
le moindre
frémissement de cet univers.
Corps désaccordés - 2000
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