DES VOIX SOUS LA PEAU
2001
1
Ce travail
sur la voix
nous en dit
peu sur la voix,
sur la part
de joie, sur la part de douleur,
contenue en
toute voix.
Voix qui
s'exprime, clame, murmure,
prend
plaisir à ce drame,
s'infiltre,
se glisse,
sous la
langue, sous la peau,
sous une
couleur,
dans un pli.
Ce
travail sur la voix
ne nous dit
rien sur la voix
qui avance,
se retient,
navigue,
se maintient
entre deux
eaux,
disparaît
se répand,
offerte à
toutes les brûlures,
présente à
toutes les batailles,
à toutes les
chutes,
à toutes les
avancées
d'une pensée
qui sans
cesse la travaille.
2
Comment
entendre à présent,
cette voix
calme, posée,
comment
présenter cette voix
de face, de
profil,
ombre
dessinée, exhibée,
comment lui
dire de ne pas s'étouffer,
d'être un
silence retourné,
un cilice,
un cache-texte,
sur son
mystère,
texte cloué,
gavé de signes,
se donnant
du mal là où il passe,
se faisant
mal, se donnant au public,
le prenant
en otage,
avec cette
seule voix qui indispose,
qui ne
procure aucune sensation,
qui ne fait
naître aucun sentiment.
Voix qui se
prend,
s'écoute,
s'écoule,
se déroule
comme parole
délirante,
née d'aucun
souci de productivité,
d'aucune
technique particulière,
voix donnée
en spectacle,
alimentée
par ses propres vocables,
par sa
capacité à se répéter,
à se plaire,
à se donner du plaisir,
à se perdre
en plusieurs modulations,
à se
propager sur une seule fréquence
à se lire à
voix haute, à voix susurrée,
se livrant à
une mise en scène,
à une
mise en verve des mots,
une mise en
verbes,
contre toute
tentative,
contre toute
relecture du texte,
pour en
supprimer les redondances,
les images
faciles,
ne pas s'en
laisser conter
par les
esthètes, les maniaques,
toute
révolte dehors,
la voix du
peuple,
la voix du
peuple,
effacer d'un
revers de la voix,
acte propre, révolutionnaire
acte propre, révolutionnaire
plaquer des
lèvres sur une bouche,
un texte sur
une voix,
art
d'effacer, de provoquer,
art facile,
se détacher du sens,
se contenter
de,
art
d'entendre,
art de
remuer les lèvres,
art de
retrouver le fer sous la voix,
la voix sous
la peau,
acte de
bouger sa langue dans la bouche,
sa langue
dans une autre bouche,
acte de se
lier à l'autre,
de délier
l'autre
de son
langage,
de sa
promesse,
dédier à
l'autre,
acte par la
parole,
acte
d'amour,
chercher
dans l'autre sa propre peau,
abolir la
différence,
la distance,
plonger dans
l'autre,
plonger dans
la voix,
remonter par
l'oreille,
revivre par
l'oreille,
se chercher
un langage,
se trouver
une voix,
aimer,
pousser
cette porte,
parler.
3
De la
manière dont ils pensent,
ils ne
peuvent penser comme ils crient,
comme ils
ravalent leurs colères
ils
trahissent leurs voix,
leur
appartenance à ce vertige du monde.
Coincés
entre les carcasses de leurs voix,
corps
suppliciés rendus visibles
pour une
caméra toujours prête,
pour des
pensées toujours propres.
De la
manière dont ils obéissent,
de la manière
dont ils plient,
nous ne
pouvons que souhaiter
qu'ils aient
arrêté de penser
pour
accepter ce qu'ils vivent.
4
Autopsie du
poème
Dans ce
poème non ponctué
à quels
endroits seriez-vous tenté
de suspendre
la voix ?
Cherchez
l'origine du titre, expliquez,
en quoi le
sens du titre peut-il donner
du sens au
poème cité ?
Cette voix a
t'elle un sens
pour celui
qui lit dans la cité ?
Ce sens a-t-il
besoin de la voix pour être entendu ?
Montrez
qu'on peut lire ce texte
sans trahir
la voix,
repérez
les
assonances,
les
diérèses,
les
catachrèses,
Les césures,
les
antimétathèses,
les
allitérations,
les
connotations,
les mots
valises,
les mots
wagons,
comparez
cette fanfare
avec le
tintamarre des déterminants,
montrez
quels rôles jouent les blancs
dans la
page,
dans le
monde,
interrogez-vous
sur la valeur
du dernier
texte protégé,
regroupez
les groupes,
nommez les
nominaux,
ordonnez les
cardinaux,
excluez les
normaux, sondez les flancs du poème,
relevez des
passages prosaïques
qui vous
semblent mosaïques,
comparez un
poète du Mozambique
avec un
poète de Créteil,
relevez des
couples de mots
sur lesquels
s'exerce
une certaine
cruauté verbale,
pensez-vous
que les contraintes formelles
soient les
plus argumentées, les plus rebelles ?
Pensez-vous
que les énoncés les plus riches
soient les
plus écoutés ?
Activez la
frappe,
frappez plus
fort,
analysez !
Que
reste-t-il ?
Des lieux
communs sans transports
ne les
utilisez pas, fuyez !
Repérez les
expressions incorrectes,
dressez-en
sur plusieurs colonnes la liste,
faites-en un
temple puis brûlez-le !
Le poème
n'est pas ponctué ?
Vous êtes
libre de le transformer,
de le
massacrer, de lui donner vie,
de lui
inventer plusieurs disparitions,
disposez les
vers à chaque jointure,
à chaque
articulation, de telle manière que
les plaies
en deviennent propres,
vérifiez le
bon état de vos syllabes,
relevez le
niveau !
Marchez sur
la tête des morts !
Copiez les
textes des grands disparus,
montrez
comment en des vers libres
les temps
s'enchaînent les uns aux autres !
Démontrez
qu'une simple métaphore
brille comme
du phosphore !
Décrivez les
mouvements des lèvres,
exigez le
bon placement
de ce
morceau de viande dans la bouche,
apprenez à
bien dissimuler, à bien simuler,
classez les
voix dans les bons chapitres,
tenez vos
masques à jour, même la nuit !
Surtout la
nuit !
Faites un
relevé précis de vos gesticulations,
relevez
celles qui vous paraissent
les plus
basses, les plus incontrôlées,
montrez que
dans les champs lexicaux
ne peuvent
pousser que les bonnes racines de l'espéranto,
tentez
d'analyser le trouble du poète,
suivez
chacun de ces gestes,
le poète
saigne-t-il depuis qu'il est en chaire ?
Préparez vos
fiches documentaires !
Donnez des
exemples d'échos sonores,
qui se désintègrent lors de joutes verbales commentées,
repérez les liens,
qui se désintègrent lors de joutes verbales commentées,
repérez les liens,
prédisez
l'arborescence finale,
remarquez
cette musique militaire
dans les
cadences du poème,
montrez
l'importance des accents toniques
dans la
guerre des nerfs,
le rôle des
virgules dans le mouvement idiot des pendules !
Rédigez une
courte notice dans le genre médiéval,
consultez
une encyclopédie cyclopéenne
un
professionnel du collage,
participez à
un colloque sur la rature,
préparez un
exposé d'un quart d'heure
expliquant
aux camarades encore présents
ce que sont
la Kabbale et Lacan,
faites la
liste des anomalies,
le tour
des animaleries,
la douce
expérience des flâneries,
traquez la
faute sémantique,
quel effet
produit en vous
la
non-concordance des temps
quand tous
les chemins sont verts ?
Montrez
comment un peu de soleil suffit au bonheur,
qu'il est
temps d'arrêter
l'épuisant
travail de vos analyses
pour
apprendre à entendre le poème…
5
Expulse
l'anonymat,
se love,
geint,
se gère,
ingère,
s'obstrue,
se casse,
se voile,
cette voix
est une épreuve,
son
vide ne désemplit pas,
menace de
débordement,
il nous faut
consommer
à petit feu,
en ce creuset de la voix
à petit feu,
en ce creuset de la voix
Tout peut se réaliser,
s'idéaliser,
échéance d'un souffle
bien construit,
bien pensé,
syncopé
ange soudé
malgré lui,
mêlé à l'intrigue.
Laisser le
temps guérir de sa plaie,
se tourner
sur le flanc
la
retourner,
la
présenter,
à flanc de
colline,
un souffle
comme un crime
encore non
découvert,
tête nue,
une lettre à
l'envers,
une voix nue
qu'est-ce ?
caisse de
voix,
je vous
envoie
avec des
larmes dans la voix
avec regret,
avec une
arme
descendre
des nus
dans une
fête foraine,
poupées
criblées de plomb
en avoir
dans l'aile,
être fou
d'elle,
être sous le charme de sa voix
être sous le charme de sa voix
le regard
reste,
la voix
non.
6
Qui se joue
de cette voix
la met en
joue ?
Se la joue,
enjouée,
l'air même a
été loué,
à jouer les
jouets modernes,
à jouer sa
grammaire,
à en perdre
son dictionnaire,
sa langue,
la maîtrise
de sa langue,
alors quelle
ligne de conduite tenir ?
Sur une
seule ligne,
pour une
voix,
une seule
fois,
s'en tenir
au texte de la pièce,
la mettre en
pièces,
avec des
voix qui tiennent debout
comme par
miracle,
d'un seul
tenant,
d'un seul
versant,
se sentir
décroché,
récupéré,
sous le feu
du dire renversant
épouser la
trajectoire d'une voix fusée,
d'une voix
bricolée,
adulée,
brûlée vive,
divisée,
expectorée.
S'enfermer
volontairement
puis
prononcer plusieurs fois le mot dehors
hurler ce
mot,
jusqu'à la
perte définitive de son sens.
A la fin
quelle ligne de conduite tenir ?
ne pas
lâcher prise, tenir bon,
pour une
voix,
une seule
fois,
s'en
remettre au texte,
traduire au
second degré,
prendre
l'air au premier,
l'air de s'y
connaître,
l'air de
rien,
de se
reconnaître,
quelque
chose dans l'air
comme
traversé,
contaminé,
un virus
attaquerait maintenant le langage ?
La confusion
des mots entraînant
l'incapacité
des esprits,
sous le feu
du dire brûlerait le nœud du rire ?
Par quel
état ainsi passer
sans
connaître ses limites ?
Épouser la
reine du Carnaval,
lui dévisser
la tête,
poupée
réservoir à blasphèmes,
Barbie
rentre dans sa vitrine
et le temps
d'un éclair rose
émascule
Ken,
chairs ici
retournées,
divisées,
découpées,
chairs
invitées à l'étal,
chairs
exhibées,
tenir sa
colonne droite,
répondre
sans tortiller la langue,
saluer
debout, pieds joints,
manger sans
parler,
marcher sans
chanter,
manger sur
place,
on a tout le
temps
le public
est en place,
sympathique,
pour la
rééducation
la chaise
est électrique !
Ne plus
comprendre qu’elle est sa place,
sa position,
son nom,
ne pas répondre,
être chassé de sa propre parole,
couper les morts en quatre,
les plier
pour qu’ils rentrent dans les cases correspondantes,
être maître de ses plis,
de la grille,
self contrôle,
lutter contre
la voix primaire,
ne pas répondre,
être chassé de sa propre parole,
couper les morts en quatre,
les plier
pour qu’ils rentrent dans les cases correspondantes,
être maître de ses plis,
de la grille,
self contrôle,
lutter contre
la voix primaire,
devenir
impuissant,
filmer cette
victoire
lors d'un
repas en famille,
dresser son
portrait
en pied,
pousser son
dernier coup de gueule,
son dernier
coup de poing,
entre les
lignes,
jeter sa virgule
au vent,
parenthèse
entre les dents,
offrir ce
mouchoir brodé
pour
obstruer
l'orifice,
en empêcher
l'écoulement
verbal,
étouffement,
faire naître
apostrophe de sa bouche,
se bousculer
et se
confondre
entre ses
labiales,
vélaires,
liquides,
alvéolaires,
se faire
une
nasale,
une
latérale,
une médiane,
puis une
ligne,
la couper à
la lame de rasoir,
réaliser
alors qui est l'impure…
toutes
syllabes dehors,
confondues,
robes
fendues,
sexe fruit,
passer la
main,
s'en prendre
une,
diphtongue,
ça tangue
dans les tongs,
renier sa
clique,
prendre une
claque,
prendre sa
voix de tête,
alvéolaire,
primaire.
Se découvrir
pris au piège des airs,
des voix,
en avoir
dans la tête,
avoir mal
se sentir
liquide,
morveux,
se moucher
à plein
menton,
petit
employé,
occupé à
gratter du papier,
se sentir
bien petit,
bien
sale,
se laisser
aller à la confidence sur le clavier,
se sentir
creux,
avoir mal à
tout,
nausée,
et tout le
tremblement,
nausée
jusqu'à la pointe des pieds,
se sentir
rétro
plus que
viseur
vidé devant
la télé,
démantelé,
affalé,
pris dans le
clapier,
se jurer de
ne plus remettre les pieds
ici ou là
quelle erreur,
à heure
dite,
entendre le
vol d'une mouche,
un ange se
rhabiller
passer la
main puis le reste,
cla ……quer.
7
Lecture
La langue
est faite pour être articulée,
il faut que
l'on entende,
les brèves,
les longues,
consonnes,
voyelles.
Nous qui
sommes là pour écouter,
on aimerait
bien entendre,
entendre
bien !
Entendre se
détacher chaque son,
se détacher,
on aimerait
se détacher
de ce
bredouillement sonore,
de cette
voix sans travail.
Nous
aimerions prendre du plaisir
par notre
oreille.
Nous sommes
venus là pour écouter,
avec
l'intention de bien faire,
faire au
mieux ce pour quoi
nous sommes
venus ici,
écouter !
Et pour cela
vous vous devez
de bien nous
parler !
La langue
est faite pour être ar-ti-cu-lée
articulez
donc !
Nous
n'entendons pas !!!!!
Nous sommes
à la fin agacés de ne pas entendre,
de ne pas
pouvoir entendre,
de plus le
sens nous a échappé !
Si encore
nous avions pu entendre
le sens
aurait pu certes encore nous échapper,
mais nous
serions moins malheureux
du fait
d'avoir entendu !
Nous sommes
excédés par cette lecture !
Furieux de
n'avoir pu entendre,
comprendre !
Auditeurs
frustrés
nous serions
en droit d'exiger des excuses,
au lieu de
cela nous avons tous ….applaudi.
8
La parole
cette expulsion,
cette
animalité déguisée,
cette
oralité dans le sexe
le sexe
caverneux de la bouche
accès à la
salive,
excès de
sève,
couper la
parole,
le fruit en
deux parties inégales,
sexe unique
d'une pensée bavarde,
figure
imposée
tendre
l'oreille
pour ne plus
se mordre la langue.
9
La plainte
entourée d'arbres,
cercle
tissé,
demeure
ornée,
tremblement
d'une seule syllabe
dans
l'éloignement de la sève,
pose au bord
du vide un projet de regard,
une promesse
de bouleversement.
Parole
intacte à la jointure de nos os,
soliloque de
l’os,
sur les
chemins de nos livres,
la plainte,
glaive sonore sans mesure,
se lève pour
une autre ablation de la langue.
Chaque
éloignement est nouveau,
toute
rupture nouvelle,
notre parole
devient furtive, évanescente même.
Les
apparences nous détruisent,
le verbe
éclate sous un seul coup de talon,
le ciel
chargé de nuées grises
dessine le
portrait d'un être
qui n'aurait
pas encore osé avouer sa détresse,
qui n'aurait
pas osé élever la voix.
Voix de
sombre étendue,
voix pillée,
voix
ramassée
incapable de
donner l'alarme,
de dénoncer
l'horreur du sacrifice,
le carnaval
de la cité,
le bûcher
pour le fou,
l'exil pour
l'étranger.
Tant de voix
ainsi
arrachées à leur source
clament leur dignité,
miment l'outrage,
pillent les contrées du désir,
se font chirurgies du corps
au mépris de toute embolie verbale,
dissimulent les preuves de leurs virginités,
souillent les transparences,
imposent à nos oreilles leur science du dire,
leur subtile négation de l'acte de traduire.
arrachées à leur source
clament leur dignité,
miment l'outrage,
pillent les contrées du désir,
se font chirurgies du corps
au mépris de toute embolie verbale,
dissimulent les preuves de leurs virginités,
souillent les transparences,
imposent à nos oreilles leur science du dire,
leur subtile négation de l'acte de traduire.
10
La vérité
porte son maquillage de sang,
la torture ici
est moderne,
tout
fonctionne à merveille,
dans tous
les sens,
tous
s'exhibent ,
débattent,
ils parlent,
parlent,
de sexe,
de drogue,
d'amour,
parlent de
tout,
peuvent
parler,
un peuple
d'orateurs
pour des
milliers de peuples qui se taisent.
Micros et
caméras envahissent nos espaces,
nos
consciences,
la seule
réalité est virtuelle
ce qui ne
peut se voir ne peut plus s'entendre.
Des
milliards de bobines de film,
des
milliards de bobines de papier,
la trieuse
crache
bourre !
bourre !
charge !
charge !
Tout se
dévide,
tout
s'imprime plus vite que la pensée,
les vides se
racontent,
les disques
se gravent, se gavent,
la mémoire
des machines augmente,
la nôtre
devient invalide,
nous ne
savons plus lire sans la couleur,
nous ne
savons plus si les voix que nous entendons
proviennent
d'êtres encore vivants,
nous ne
voyons plus les usines
où l’on
fabrique nos enfants.
11
De ces
silences parqués au bord des villes,
la voix
avait suffisamment souffert.
Elle ne
voulait plus survivre à la périphérie,
elle ne
voulait plus être oubliée
dans un lieu
jamais dit ou trop décrit
comme étant
le lieu de tous les oubliés,
le lieu des
corps en quête d’un autre état des lieux,
où mots
dits, paroles jetées,
ne sont que
ramassis, déchets,
pour un
public frileux.
La voix a
suffisamment souffert
de cette
lente assimilation
de l'écrit
non joué,
faussement
enjoué,
pour la mise
en scène d'un désir
lui-même en
jeu,
en attente
du dit,
dangereuse
liaison !
12
La voix qui
pousse
à
contre-voie
pousse sur
la voie
une voix
pousse
voix source
lactée
accident sur
la voie
pousse aux
extrémités
pousse sur
le fil
sur la voix
déroule le
fil
au bout de
la voix
la voix file
monte
redescend
pousse la
fenêtre
cherche aux
limites du verre
l'accident
la coupure
la chair sur
le fil
voix
précipitée,
dans le jour
tatoué
la voix ivre
exténuée
appelle
l'accident
cherche en
sa mémoire
le fil
de ces
évènements
13
La voix se
cherche
en ce tissu
de voix,
voix tissées
de haute
lisse,
à haute
voix,
d'une si
haute lignée,
une voix si
lisse,
trop lissée,
trop
maîtrisée,
trop
élitiste,
une voix qui
ne se risque.
Ici la voix,
de délit
en délit,
de rixe
en rixe,
assume son
débit,
rebondit,
invente
en sa
périphérie,
bouge avec
la rue,
décide
elle-même de ses mues.
14
Laisser la
plainte
s'emplir
seule de ses multiples possibilités,
laisser
l'instant fuir le verbe,
encanailler
l'adjectif,
mettre fin à
la ligne,
investir la
trachée,
accorder les
violents de ce monde,
faire sien
un prélude,
envahir un
lieu consacré,
répondre à
une douleur par un vertige,
par un
accident répartir les creux,
scinder la
vague,
en cet
espace
entre deux
lignes
recréer
l'harmonie du signe,
le plaisir
des yeux.
Retourner la
tourbe,
modeler un
corps
avec des
jambes et des rêves,
réapprendre
le frémissement
oser se
lever sans la peur
d'un
lendemain sans lumière,
d'un jour
sans raison,
ne pas
ignorer
que tout, absolument tout
file entre nos doigts comme du sable.
que tout, absolument tout
file entre nos doigts comme du sable.
15
Le poème est
une voix,
le poème
n'est dit,
ne sera dit,
ne pourra
être dit,
si la voix
lui manque,
si cette
voix manque,
si de voix
il n'y a,
ne pourra
être dit,
ne pourra
être écouté,
si d'autres
bouches ne viennent,
si d'autres
oreilles se bouchent,
si la bouche
ne peut plus proférer,
si le son ne
peut plus passer,
à l'orient
de la voix,
au sud de la
voix,
il manquera
tant d'yeux.
16
Le poème n'a
de cesse
de
rencontrer la voix,
la voix est
de ce côté de la rue,
la voix est
dans la rue,
elle côtoie
de midi à minuit
la faune des
mots,
la
délinquance de son verbe.
Voix
éraillées,
cassées par
tant d'années de trottoirs.
Voix
ensoleillées des fleuves,
des quais
encombrés,
des jardins,
des parcs,
voix
criardes des marchés.
Le poème n'a
de cesse
de
rencontrer les voix,
de les
nourrir,
de les
travailler,
de leur
donner de la hauteur,
du timbre,
de la
gravité,
une aisance,
de la
musicalité.
En chaque
bouche ouverte,
en chaque
corps éveillé,
le visiteur
dresse l'état des lieux,
poète qui
rêve que la ville n'a qu'une fenêtre
et que les
bras qui l'accueillent
ne lui
demandent loyer !
17
La Voix
Ventre
ne désemplit
pas,
elle fait
carrière
en ces
usines
d'équarrissage
du sens,
où des êtres
régulièrement
sortent
foudroyés.
La Voix Ventre
ne désemplit
pas,
éprise de
rentabilité
comme
d'autres
d'éternité,
elle
alimente
nuit et jour
des bouches
plastifiées
collées
à des tubes
froids.
Des
haut-parleurs
dans tous
les angles
crachent
leurs ordres,
des outils
cassés
ont fait
ralentir la cadence,
alors c'est
la voix du contremaître
qui lutte
avec le
vacarme des machines,
exige des
noms,
regrette de
n'être pas assez puissante
pour exiger
la chute des
têtes coupables
là de suite
sur le sol
en ciment
recouvert
d'une mauvaise couche de laque verte.
18
Attraper
cette parole
comme on
attrape une fièvre,
comme on
attrape froid,
la
respecter,
la
retourner,
la vider de
son sens,
la remplir,
cette même
voix missile
hurlante
au-dessus
d'une terre
dévastée,
cette même
voix missile,
dans ton
corps limite, limité,
pénétrer,
porter la
guerre à ton front,
la main à ta
hanche,
parole en
cavale,
se mettre
hors les murs,
se mettre
hors d'atteinte,
là où les
corps s'ouvrent
comme des
portes,
là où la
bouche connaît encore
le goût de
la peau vivante.
19
Elle
Chercher des
plis dans la voix,
chercher des résonances,
des glissements, des effleurements,
se nourrir des sensualités d'une voix,
ne pas montrer son impatience,
se vouloir digue sans voir la mer,
se vouloir chant sur les lèvres du cri,
toute voix est féminine,
pour lui un abîme,
pour lui un creux dans le ventre bleu de la vague,
pour lui une question,
il veut prendre de la hauteur,
se brûle, garde cette brûlure
comme la seule possibilité d'accéder à la beauté.
chercher des résonances,
des glissements, des effleurements,
se nourrir des sensualités d'une voix,
ne pas montrer son impatience,
se vouloir digue sans voir la mer,
se vouloir chant sur les lèvres du cri,
toute voix est féminine,
pour lui un abîme,
pour lui un creux dans le ventre bleu de la vague,
pour lui une question,
il veut prendre de la hauteur,
se brûle, garde cette brûlure
comme la seule possibilité d'accéder à la beauté.
Lui
Je ne veux
croire, me rendre à cette raison,
à cette
parole, à ces élans,
je ne
m'épuiserai à attendre
fêlure,
séparation,
pour taire
ce qui blesse,
quels
chemins nous faut-il prendre,
peuvent-elles
nous conduire ces voix
sans le
labeur des mains ?
Tout
souvenir brûle d'un manque,
de cette
disparition de la voix.
Restent
autour de la bouche
quelques
fragments du visage,
un geste
imprécis, ou trop précis.
Rester
infirme ainsi
devant une
image muette.
Elle
La voix comme un effort violent pour l'atteindre,
pour l'étreindre,
pour le retenir,
organe puissant
pour puiser en ce désir continu,
pour mettre fin à ce souci d'appartenance.
Savoir se livrer sans se rendre,
savoir prendre sans devenir captive,
en cette marée imprévisible
connaître toutes les issues possibles,
ne jamais s'en écarter,
ne jamais douter,
la voix comme un dernier effort violent pour l'atteindre,
pour réconcilier les eaux et la terre,
pour en revenir avec cette maternité du verbe,
ce verbe qui ne cache son désir,
ce verbe qui chasse la honte,
La voix comme un effort violent pour l'atteindre,
pour l'étreindre,
pour le retenir,
organe puissant
pour puiser en ce désir continu,
pour mettre fin à ce souci d'appartenance.
Savoir se livrer sans se rendre,
savoir prendre sans devenir captive,
en cette marée imprévisible
connaître toutes les issues possibles,
ne jamais s'en écarter,
ne jamais douter,
la voix comme un dernier effort violent pour l'atteindre,
pour réconcilier les eaux et la terre,
pour en revenir avec cette maternité du verbe,
ce verbe qui ne cache son désir,
ce verbe qui chasse la honte,
ce verbe de
l'intime,
ce verbe des peaux qui se cherchent
se trouvent et s'éprouvent,
ce verbe manifeste du plaisir infini,
relié à une certaine écriture du vent,
souffle entré en rituel,
pour accéder à l'ovaire du cri.
En quel lieu aujourd'hui jouer nos vies ?
Cette bouche comme brasier,
de quel signe, de quel jeu êtes-vous ?
Me faites-vous signe,
vous jouez vous de tout ?
Est-ce un adieu,
est-ce un signe ?
Nos voix se perdent ainsi
à vouloir trop compter les fenêtres
on oublie les portes.
ce verbe des peaux qui se cherchent
se trouvent et s'éprouvent,
ce verbe manifeste du plaisir infini,
relié à une certaine écriture du vent,
souffle entré en rituel,
pour accéder à l'ovaire du cri.
En quel lieu aujourd'hui jouer nos vies ?
Cette bouche comme brasier,
de quel signe, de quel jeu êtes-vous ?
Me faites-vous signe,
vous jouez vous de tout ?
Est-ce un adieu,
est-ce un signe ?
Nos voix se perdent ainsi
à vouloir trop compter les fenêtres
on oublie les portes.
Lui
C'est de
cette erreur,
du fond de
cette erreur que je me tue à vous parler,
que je peine
à vous décrire ma peur,
la peur de
me perdre, de vous perdre,
de chercher
en la fuite une réponse non sonore,
nul lien ne
peut nous montrer nos limites
et les
limites ne peuvent nous apprendre
l'existence
des liens,
notre voix
peut s'aventurer,
se faire
plus grave, se risquer,
notre voix
de poitrine vibrer,
notre voix
de tête résonner,
la solitude
est un arbre qui ne connaît pas la foudre.
Elle
Hors de cette voix,
tout dehors tremble.
La nuit tout peut brûler plus vite,
et tout brûle plus vite,
les gestes se font plus lents,
les mots plus rares
plus violents,
dehors
c'est un au-delà qui dérive,
qui nous prend,
nous délivre,
pour être libre alors
montrer que l'on peut s'ouvrir dedans,
et rester hors,
la voix seule ne peut penser l'évasion,
en cette polyphonie des sens
ne pas oublier que la voix est un message
et que le messager ignorant tout du dedans
peut se perdre en notre féminité, là dehors.
Hors de cette voix,
tout dehors tremble.
La nuit tout peut brûler plus vite,
et tout brûle plus vite,
les gestes se font plus lents,
les mots plus rares
plus violents,
dehors
c'est un au-delà qui dérive,
qui nous prend,
nous délivre,
pour être libre alors
montrer que l'on peut s'ouvrir dedans,
et rester hors,
la voix seule ne peut penser l'évasion,
en cette polyphonie des sens
ne pas oublier que la voix est un message
et que le messager ignorant tout du dedans
peut se perdre en notre féminité, là dehors.
20
Ne pas
desserrer les dents,
les lèvres,
ne dire mot,
ne pas
souffler mot,
rester coi,
rester sans
voix,
retenir,
avaler sa
langue
s'effacer,
ne pas oser
poser une
virgule,
une pause,
une
tentative d'explication
après les
deux points,
attendre,
faire taire
tout bruit intérieur,
se fermer,
laisser le
fruit
dans la
parole,
accueillir
le silence
comme une
autre bouche greffée,
se régler,
trouver la
distance juste,
épier la
fréquence des lumières,
puis
regarder,
regarder,
regarder,
arracher une
à une les racines de l'apparence,
regarder,
regarder,
avec toute
la volonté
d'un esprit
décidé à affronter
chaque
parcelle de la réalité.
21
Prolongement
d'une voix
qui n'est
déjà plus tienne,
qui n'est
déjà plus mienne,
la voix se
presse,
se colle
contre la vitre,
embrasse,
figure
dessinée dans le givre,
du bout des
doigts.
Voix,
beauté
blanche
d'un instant
calculé,
instant
d'une langue
prise dans
le froid du mot acier,
prise dans
le mur,
voix
électrifiée,
voix câblée,
circule,
s'infiltre,
se glisse
sous les
draps,
émerge de ce
côté-ci du corps
où tant de
rires
ont trouvé
le bon chemin,
le chemin
d'une voix
à moitié
fruit,
à moitié
plante…
22
Quel aveu
ici épouvantable
quelque
chose vient, c'est une voix,
une voix de
juge
le verbe
rôde,
sadique,
il cherche,
frappe,
se défend.
On ne peut
oser défier Dieu
libérer la
veine,
fendre
l'écorce,
laisser
pourrir le fruit,
forcer le
paradis,
perdre
volontairement son corps
puis se déverser
impunément
dans l'océan
du pardon.
23
S'essouffle ainsi
devient neurasthénique
devient sourd
peine à monter
à monter les marches
s'essouffle ainsi plus
vite
comme un moteur
ne tourne
plus rond
pense
carré
essaie à la limite
un néant rectangle
perd toute mesure
tous ses repères
tourne,
comme encagé
comme enragé
fait comme il peut
quand il pleut
trace des signes,
des figures ovoïdes
renonce à la peau
à toute cette tendresse à travers la peau
s'efforce de suivre
de deviner la direction
la destination d'une voix
la maladresse d'une
voix
empêtrée dans ces mots
pris
au piège de sa bouche
croit s'affranchir
veut se rafraîchir
interpelle un autre qui cherche
ne trouve plus
bute sur un rien
emporte une syllabe
plante là une majuscule
là un préfixe
ne tourne
plus
sur lui-même
n'entend plus
que lui-même
ne voit plus
sa propre incohérence
cisèle la future
architecture
de sa perte
veut
expectorer
son silence
veut
interpeller
d'autres qui cherchent
de
cette course
ne trouve plus
l'arrivée
ne trouve plus
l'arrivée
24
Si la voix récite
le passage
alors la
voix est tout
et le
passage ne peut,
tout est
indistinct
ou trop
distinct,
la voix qui
accompagne
qui précède,
nous
distance.
Rien ne peut
compter autant,
ne peut
apporter cette aisance,
ce
tremblement,
si la voix
récite le passage
fouille sous
la peau,
racle sous
les ongles,
fait récolte
de fragments,
elle n'est
qu'une voix promise à l'instant,
et l'instant
peut ne pas être,
ou ne pas
souhaiter être ce passage
où la voix
récite
complaisamment,
indéfiniment,
la faille.
complaisamment,
indéfiniment,
la faille.
25
Une parole
s'écroule
par pans
entiers,
arrangements
avec le chaos,
nos
tâtonnements sont terribles,
là où tout
s'accroche,
s'exécute,
s’emballe,
ce poème
reste en dedans de la trace
comme une
preuve.
Vaste
manquement à la parole donnée,
chantier de
paroles errantes
où nos voix
pillées
nos voix
innervées,
repliées meurent
sans oreilles, sans langues et sans nez.
Dans
l'architecture des anges
il nous faut
retourner cette parole indécente,
toutes
plaies dehors,
il nous faut
alors la guérir,
amener le fiel en ses fragments sonores,
réparer les avanies, répondre aux calomnies,
amener le fiel en ses fragments sonores,
réparer les avanies, répondre aux calomnies,
promettre
encore mille ans de saccages
pour tailler
dans le vide de ce corps
cette
planète au singulier.
Sang versé,
jeter les
icônes dans les latrines du verbe,
écrire la
nouvelle Bible des pardons refusés,
recouvrir
les victimes
de nos
mémoires enneigées,
compter les
chutes, les extinctions,
être soudain
vivant,
soudain
gisant,
se taire,
se fiancer à
la terre,
puis
avec les
mêmes possédés
recommencer !
26
La voix veut
jouir de son intimité,
elle veut
grandir pour d'autres maternités,
elle se veut
masque, style, parfum,
jouet du
temps, jouet de demain,
elle se veut
une note, plusieurs notes,
toute une
musique.
Elle se veut
une langue pour tous les temps,
elle se veut
vent,
effort,
parole,
elle veut
jouir de son immensité,
de son
humanité,
elle veut
jouir
comme
enragée,
hors cités,
hors les
murs,
elle se veut
irrespectueuse,
elle se veut
sacrée,
respectée,
idolâtrée,
libérée,
elle se veut sauvage,
elle se veut libre,
elle se veut publique,
respectée.
Elle finit
libérée,
elle se veut sauvage,
elle se veut libre,
elle se veut publique,
respectée.
Elle finit
enregistrée,
imprimée,
mémorisée,
analysée,
puis classée
archive de musée.
27
Vous n'êtes
qu'un bruit,
pas un
corps,
pas un nom,
vous n'êtes
qu'un bruit
vague et
persistant,
non encore
dégradé,
non encore
traduit,
un bruit
continu
sans
fatigue,
un bruit non
analysé,
non
organisé,
pas encore parole
encore moins
pensée.
28
Voix
implantée,
voix plantée
là,
voix
greffée,
vous en
connaissez tous les registres,
tous les
égarements,
les effets,
voix de
tête,
voix d'en
haut,
vous en
connaissez toutes les textures,
les
tessitures,
les
étendues,
les
vibrations,
voix
ouvrages de nuit,
voix
filandières de l'aube,
voix
émergentes pour un autre soleil,
voix vives,
de jouissance active,
voix fenêtre
sur cour, voix au balcon,
voix adulée,
en dessous
la place
avec son
grand fleuve flamboyant,
une seule
voix pour tant de bouches,
pas de chant
ici
seule la
voix,
qui pénètre,
plonge
et replonge,
grave son
empreinte
sur chaque
once de chair,
implante son
verbe
sous chaque centimètre de peau !
sous chaque centimètre de peau !
Juin 2001
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