L’ouvrier pulvérisé
suivi de
Seuil des Acides
2011
L'Ouvrier Pulvérisé
Ouvrier
cloué
Vous me voyez
ici
rescapé
marqué
d’une brûlure profonde
sac de chair
où tous mes désirs agonisent.
Vous ne voyez plus
cet intérieur de mon crâne
où le siècle
a déversé tant de vomissures
que ma gorge en déborde,
que ma bouche recrache
le sang des morts.
Ouvrier
cloué,
vous ne pouvez ôter ces clous,
ils ont été si férocement plantés,
si ardemment,
qu’un seul arraché
me ferait tomber.
TOUT
veut nous mordre en ce lointain de chair
tout veut notre peau
mais notre peau
elle
ne possède pas de vouloir.
Dormir
là où reposent tous les faux semblants
mais tous
TOUS
frappent et
frappent encore
La poussière ramasse ses hardes
et abandonne la place propre
aux bourreaux des nerfs.
Dans les
rues
ça respirait
fort l’ordure,
la vérité
était tenaille.
Entre
mâchoire de fer et gouge en acier
notre espoir
devenu limaille.
Mais la mer,
la mer
toujours
nous appelait
rien ne
pouvait plus nous décider à bouger
à accomplir
pour l’instant
un acte
aussi dense.
Vous nous avez tenu la main,
puis la jambe
les mains puis les jambes
nous avons poussés
entre des rangées de ronces,
entre des taillis de cris,
des haies de plaies.
Vous nous avez tenu la main
puis la tête,
toutes nos têtes
tout ce qui était organique,
tout ce qui pouvait être secoué,
vous ne nous avez rien épargné.
Nous sommes partis de rien
et nous sommes là
puissants et immatériels,
liés aux profondeurs musclées de la terre,
nous nous sommes enchaînés à nos piliers
ceux que nous avions édifiés dans la hâte,
dans cette soif d’absurde
qui longtemps brûla notre gosier.
Nous sommes partis de rien
ce n’était pas encore assez,
nous avons traîné notre angoisse en plein minuit,
crucifié notre peau,
arraché nos sexes,
tous nos sexes,
ceux des yeux,
de la tête,
nous avons vidé notre sac à boyaux
dans l’océan,
nous avons mis à sac
ce qui restait du ciel,
nous avons tranché un à un
ces doigts,
qui nous retenaient au monde.
Pas
assez de peau,
pas assez d’os,
pas assez de nerfs,
là se perdent,
là se glissent,
les orvets de la mémoire.
Souffle
rauque de fauve,
Martèlement
puissant aux abîmes
La corde se
tend
l’aurore
lance sa plainte
de reine à
la cheville brisée.
Vent sur la
scène,
frises
riantes,
au-dessus de
vos yeux,
lumières en
berne,
langues en
ogives.
Les lèvres
seules
restent
gourmandes
et
frissonnent.
Pour se sauver et être sauvé
épier le soleil,
s’assurer qu’il brûle encore,
braver l’étrave.
Incapable de feindre,
la honte,
incapable de confondre,
plein et délié,
courbe et droite,
ligne et chute,
c’est l’orgueil des monstres
tenus en laisse
devant la marée montante et miroitante
des boucliers humains.
Ô suffisance terrible !
J’ai parsemé vos lointains de fleurs d’oranger,
ruiné vos consciences
à pleines brassées de songes vils.
J’ai erré en vos corps
épuisé en orgies violentes mon âme.
Et vos âmes ?
Il nous faut en parler;
tournées vers la terre,
retournées en terre,
malmenées par la multitude des fourches,
âmes désertées par tous,
délaissées
en nuées.
J’ai tant pensé à ces soleils froids,
tant écarquillé mes yeux,
tant imaginé
vos seins à la lumière,
tant rêvé d’autels défendus
d’où ruisselaient
venins,
élixirs,
poisons,
tant espéré en vos cruautés,
en vos banales forces maquillées,
en ces nuits aux figures alignées
comme des hosties en attente de langues.
Qui brûle encore
là où nos pieds ne se posent plus
Là où nos pieds ne vont plus ?
Qui a lâché les chiens
qui a libéré la meute ?
COGNE
l’air,
l’eau,
la
pierre,
jamais enclume
n’avait vu marteau si têtu,
si solide,
jamais corps n’avait connu
une telle envie furieuse,
Cogne l’air,
l’eau,
la pierre,
le mur
LE
VIDE.
mais
COGNE !
Ainsi est l’énigme :
froide, anguleuse,
multiple.
Nous sommes
corps
glissés en des chrysalides de goudron,
corps figés
par le poison de l’araignée,
ombres
ligotées
fixant de
leurs pupilles dilatées
l’horloge.
La plainte
n’est pas une révolte,
la plainte
doit descendre dans notre gorge
et y rester.
Le Révolté
impossible
saigne et se
tait.
L’obscur n’a
pas de parole,
juste des
poings
pour
marteler des trappes
farouchement
fermées.
Ils sont
tous si riches d’allure,
leurs habits
sont de fête
mais leurs
têtes sont pleines de vermine.
le Révolté
impossible,
saigne et se
tait,
son corps
est son argile,
sa terre,
aujourd’hui
il rampe
là où,
toujours, il a rampé,
sans même
voir le sol,
sans même
sentir sous ses doigts
ce long et
inévitable écoulement
de la
poussière.
Sommes-nous
venus jusqu’ici
pour tresser
des couronnes
à ceux qui
nous écrasent et nous tuent ?
Le cœur
plein de folles brassées de songes,
le corps si
avide de promesses,
sommes-nous
venus
pour rester
affamés et nus,
invités au
grand festin de la vie
et ne jouir
d’aucun fruit ?
Sommes-nous
venus jusqu’ici
pour être si
singulièrement indisponibles ?
Vigile des profondeurs
les villes
ont fabriqué tes nuits
avec de la
craie et de la cendre,
tes genoux
ont plié
quand s’est
écroulée la face de ton cri
tu as maudit
le ciel,
tu as craché
sur toutes ces icônes
où
l’humanité
déverse ses
douleurs et ses vertiges.
Tu as fait
le tour des grilles
derrière
lesquelles se sont réfugiés les jardins
où ne pousse
jamais aucune lumière,
puis tes pas
se firent plus rares, plus économes,
bientôt ils
apprirent la légèreté de l’ombre
l’utilité de
l’absence,
l’invisibilité
des traces,
la
discrétion des disparus.
Vigile des
profondeurs
parfois je
vois ta lampe osciller,
épuiser son
flux vers le ciel
et je
partage ton étonnement
devant tant
de citadelles droites et froides
qui lancent
dans un ciel sans étoiles
leurs forêts
de seringues d’acier.
Si je revenais parmi vous
dépouillé comme au premier jour,
délivré de tout ressentiment,
délivré de toutes ces visions de la nuit.
avec mes yeux qui ont fini par s’ouvrir
à force d’être crevé par la fougue de vos atrocités.
Si je revenais au milieu de vous
partager ce rien, ce pas grand-chose,
cet infime miracle de la vie,
m’accepteriez-vous
en vos âmes et en vos regards ?
Me regarderiez-vous
non comme l’étranger banni,
non comme l’étranger honni,
mais comme un des vôtres
traqué par les mêmes fantômes ?
Avec tous mes membres attachés
liés à cette musique née du diable,
livré à la foule des voyeurs,
à la foule des guerriers sans armes,
avec toute la violence des oriflammes
semant leurs pétales pourpres sur la plaine des morts,
avec toute la fièvre de ce nuits inquiètes
passées à traduire les augures
pour en donner une lecture compréhensible,
évadé d’un rêve ancien
griffé par des signes d’apocalypse,
c’est enfin en paix que je pourrai quitter
le congrès cruel de ces âmes
qui siègent dans les tréfonds
d’une conscience putride
où chacun s’abreuve et se rassasie.
C’est enfin en paix avec ma propre colère,
avec mon infinie révolte,
que je circulerai à travers vous
et vous montrerai le chemin abrupt
où doit lutter la lumière,
cette route droite et longue,
là où la vie s’ouvre,
là où la vie accueille toutes les âmes imprenables,
toutes ces âmes fortifiées par l’unique silence
qui coule comme un baume
sur des corps fracassés.
Je passerai là où vos mains,
les forêts bruyantes de vos mains,
touchent à cet ultime miracle de la musique,
quand quelques cordes effleurées suffisent
dans la pénombre d’une crypte
pour célébrer toutes les noces du monde,
comment pourrais-je oublier tout cela
même couché tout au fond de ma mort inutile ?
Moi l’os,
moi le serf,
j’ai vu tout au fond du crâne
briller l’incarnat
du breuvage mystique,
j’ai supplié le jour
de me rendre ma nuit.
Toutes les ombres
se sont mises à danser
en une sarabande de démons,
d’arbres tordus
agitant leurs pendus
comme autant de grelots
nous avertissant du passage
de la foule des pestiférés.
J’ai supplié le jour
de me rendre ma nuit,
mon cri
a été entendu ;
je me suis retrouvé nu
sous la pierre.
J’irai par un hiver rude
vers le sommet le plus grand,
j’irai avec ce seul contentement
d’avoir pu choisir ma mort.
Avec cette seule fierté: finir dignement
et non dans cette longue plainte
des vieillards.
Ah vous
vivez ? Et de quoi vivez-vous ?
Je vis de la
terre, de son herbe, de ses arbres,
d’un éclat
de lumière sur un toit,
de la trace
d’un lièvre dans la neige,
d’une racine
qui soulève le bitume,
du tumulte
religieux du torrent,
je vis de
cet instant blessé
recroquevillé
sous des brindilles,
je vis de
cette flamme soudaine
qui fait
craquer et gémir l’écorce,
je vis de
cette pierre lissée par l’eau glacée,
je vis de ce
pont qui fait passer les âmes
sans leur
demander l’obole,
je vis de
vos questionnements incessants,
de vos
doutes en cascade,
de vos
fuites dans le langage,
de vos
signes que vous confondez avec aisance
pour brouiller
les pistes sans doute,
je vis avec
la multitude de vos incertitudes
celles qui
construisent toutes les prisons.
Assez lessivé
le tertre des vivants,
assez remué bras,
jambes,
bustes,
assez agité langues
dans l’air corrompu,
assez largué fantômes d’acier
cadavres exposés,
assez fouillé,
fouaillé,
dans les poches de ces morts
pour savoir que leurs membres
ont toujours accompli leur devoir de terrassiers,
assez léché
les parois des cubes de verre,
assez erré dans
couloirs, coursives, terrains vagues,
derrière murs,
parapets,
haies taillées,
assez brûlé manuscrits,
épouvantails en carton,
à l’est comme à l’ouest,
en enfer,
sous l’auvent des peaux blêmes,
convoitées,
habituées à se coller à d’autres ventres
toujours en quête,
tout assoiffées
lovées ici,
sagement coincées
entre pierres et fossés,
assez de plaies,
de sang,
de blessures béantes,
de mutilations,
ASSEZ !
Mais qui peut encore nous sauver ?
Seuil des Acides
Seuil des Acides
Au seuil des Acides
tout doit
commencer par une brûlure.
Ne cherchez pas l’enfer dans les gouffres,
ne cherchez pas l’enfer dans les brasiers,
ne cherchez pas l’enfer en des flots gris et froids
comme l’acier,
ne cherchez pas sous les crânes lisses,
sous la terre engrossée par vos os,
ne cherchez plus !
Rien ne peut nous délivrer
pas même le
puissant sommeil,
au seuil de
ces acides
nous avons
perdu le don de notre langue.
Qui ici
réparerait ce qui est cassé,
remettrait
en mouvement ce qui a été figé,
l’esprit
souffle là où il peut.
L’esprit
s’essouffle en mille lieux d’infortune,
il nous faut
réapprendre à prendre,
à conduire
sous d’autres cieux,
à enfouir
notre cœur pour le soustraire
aux crocs de
la meute,
celle des
imbéciles et des féroces.
Vous nous
avez laissé
en toute
humanité
insultante
aumône
vos os à
ronger.
Rien ne peut
ici nous soulager
pas même le
puissant sommeil,
enchaînés
que nous sommes
à tant de
poteaux de tortures,
nos douleurs
sont les mêmes que les vôtres,
nous
partageons la même cendre,
nous
éprouvons les mêmes soifs,
nous ne
sommes pas des victimes
en attente
de procès, en mal de justice,
mais nous
attendons qu’ils se dénoncent
ceux qui
nous firent tomber en ces abîmes !
Par quelle
volonté sommes-nous ici ?
debout entre
ces lourds horizons de pierres
et ces
vertiges de poussière,
à épier chaque
signe comme une promesse muette,
à compter
les marées de l’imprévisible terreur,
à lire sur
chaque figure, sur chaque tête,
les signes
de l’épouvante.
Ne
sommes-nous pas lassés par toutes les errances
de ces
chairs exténuées,
en proie aux
plus terribles visions,
toutes
affairées à creuser
l’éternité
de leurs tombeaux ?
Ne
recueillons-nous pas assez nos larmes
dans les
plis de ces plaines
où se
multiplient les foudroyés,
où se
dressent potences d'âmes,
où se
balancent dépouilles d’êtres,
peaux
désertes et désertées
peaux, sacs
de douleurs sans conscience.
Par quelle
volonté sommes-nous encore ici
à sillonner
ces territoires forgés par la science,
hantés par
le drame,
ces terres
aux hautes failles,
aux grandes
blessures,
alors que la
nuit recule,
alors qu’un
soleil nouveau
perce la
voûte noire et dense,
alors que de
toutes parts s’enfuient les démons,
alors que
chavire l’affreuse barque
dans les
convulsions mugissantes du fleuve ?
J’ai vu les sépulcres de vos espérances
disparaître
en des nuées neigeuses
de
poussières de ciment.
J’ai vu la
vie apparaître en ce flot de sang
qui toujours
la précède,
j’ai vu ce
crâne s'offrir sans hâte
aux souffles
encore trop courts
des
printemps à vomir.
Dieu que les
morts sont lents
à se relever
d'une telle fange !
Là où la
multitude des os
danse et
mime un combat inégal,
survivance
d'un rite
entre le feu
et l'eau,
entre
l'argile et le granit.
Il crie,
son corps
prie
devant la
paroi verticale
du barrage
dressé
sur le
fleuve des esprits.
Il crie
c’est ainsi
qu’il se perd
retrouve son
néant,
retrouve sa
présence
constellée
de plaies.
Couché dans la tourbe,
mains aux
doigts tendus
pour prendre
ce qui se dessine,
ce qui
émerge
d’une terre
soumise
à ces
bruyantes démences,
regard
tourné
vers cette
lumière torturée,
pantelante,
dont les
cercles brisés
inventent
une chorégraphie
d’âmes
vitrifiées.
Couché dans
la tourbe,
genoux
tremblants,
tempes
froides,
front
labouré par mille lames d’acier.
Couché dans
la tourbe
pour ne plus
réinventer le ciel.
Nous poussons à l’envers
sur les
têtes de nos morts,
nous
poussons effroyables et effrayés,
nous
mangeons les racines faute d’avoir assez de dents
pour manger
les arbres,
nous
poussons à tort et à travers,
massacrons
la beauté des jardins,
nous sommes
la mauvaise herbe,
la mauvaises
conscience d’une terre qui dérive,
d’une terre
qui s’éloigne d’une ligne d’horizon
toujours
plus tendue, toujours plus roide.
Nos corps se
suicident pour rentrer en hiver,
ils sont
gonflés, boursouflés,
parfois
d’une laideur insupportable
mais ils
sont là, parlent, se déchirent,
cherchent
des souffles anciens,
des souffles
disparus,
ils luttent
là où l’ignorance
creuse ses
fosses anonymes.
Nous
poussons c’est indéniable,
de l’autre
côté,
à
contre-courant,
à
contre-monde,
là où les
yeux plient le fer,
forgent des
fourches
pour
retourner les gerbes flamboyantes du ciel.
Nous
poussons à tort peut-être,
mais nos
morts nous les gardons en creux,
en collines,
en vallées,
toutes
caressées dans le sens du fleuve,
toutes
drapées dans l’émeraude
de ces
lèvres de la terre
arrosées par
les jardiniers de l’aube,
Que nous dit
encore ce siècle dépassé ?
Que nous
disent donc tous nos morts
que nos
vivants encore ignorent !
Nous
poussons, est-ce cela toute notre vie ?
Tout notre
vouloir ?
Tout ce pour
quoi nous sommes faits ?
Nous
poussons avec cette hâte des suicidés
qui
précèdent toujours leur mort,
nous
poussons, et c’est ainsi
que nous
sommes devenus
ces géants
aux pieds de verre
qui défient
la foudre.
Soyons court,
soyons bref,
notre langue
ne s’est point assagie,
elle
sillonne entre les monts,
s’épuise à
la course,
rebondit cri
après cri,
étau après
étau,
elle
grimace, ferraille, flamboie,
elle est
l’antre, le repère, l’entaille,
profonde est
sa couche
par défaut
d’encre
par défaut
d’être,
cette langue
est une lame
qui perfore
notre nuit.
Depuis que je m’invente,
que je puise
dans l’inépuisable,
que je ne me
mens plus,
que je crois
en autre chose
que la
multitude des choses,
depuis que
je suis en haut,
depuis que
je suis en bas,
depuis que
je circule,
que je
tourne et retourne
cette langue
dans ma bouche,
dans le vide
de cette bouche spirale
qui aspire
tant de galaxies,
depuis que
je côtoie
un certain
versant de l’intelligence
qui ne vise
pas les cimes,
depuis que
je m’économise
en cris et
en larmes,
que je ne
m’entoure plus
d’objets
pour distraire mes peurs,
que je ne
pense plus
à demain
depuis qu’aujourd’hui est en ruines,
depuis que
j’ai commencé à écrire,
depuis que
je m’entête à éclairer ma fosse
avec la
torche têtue de mon espérance,
depuis que
la nuit me traverse,
que je me
sais faible devant tout ce qui vit,
devant tout
ce qui remue,
devant tout
ce qui se lutte pour être vivant,
depuis que
je sais
que chaque
jour est de l’argile,
que le monde
n’a nul besoin de modèle
pour rester
monde,
que toute
fuite est absurde,
que rien ne
peut se maîtriser,
qu’un
instant suffit pour œuvrer à la grande disparition,
depuis que
je circule,
que je me
heurte aux mêmes murmures,
que je
connais la démesure, l’excès,
le manque
comme un animal fou dans le ventre,
depuis que
je me disjoncte en mes propres circuits,
depuis que
tout me remplit alors que tout me vide,
depuis que
je sais que ma parole
elle aussi
passera sans bousculer
ce désordre
des choses,
depuis que
je sais que cette poussière
reviendra à
cette place
d’où mille
fois je l’ai chassée,
j’aime à
l’infini ce temps limité,
j’aime cet
esprit qui sans trembler
peut défier
la mort.
Ne plus
ressentir cette urgence d’être,
cet
empressement, ce tiraillement,
cette
angoisse perpétuelle,
cette envie
de faire, de dire, et encore de faire,
de redire
pour défaire.
Quoi ? Le
vide ?
Ne plus
ressentir cette urgence d’être,
cette envie
de, ce besoin de,
cette
précipitation feinte,
cette fuite
devant l’engourdissement,
cette
terreur devant le sommeil,
devant
l’idée même du sommeil.
Ne plus
ressentir toute cette vitesse,
cette
précipitation incompréhensible,
cette course
perpétuelle,
obstacle à
la raison,
au
raisonnement.
Nous avons
empilé
empalé nos
souffrances,
jeté les
piles usées
des jouets
cassés de notre enfance,
nos faces
aux traits tirés
sont restées
tout en bas.
Et nous nous
sommes promis
de ne plus
revenir
de ne pas
mourir ici,
de partir
loin
tellement
loin
que nos
corps à la fin sont restés
et que nos
esprits, eux, sont morts de fatigue.
Que
cherchons-nous dans cette brûlure continuelle ?
Que
voulons-nous donc inscrire
en filigrane
dans nos écrits ?
Que
cherchons-nous à remuer ici
alors que
tout est pris dans cette frénésie du mouvement ?
Notre
lâcheté à tous est définitive,
nos
blessures invisibles,
multitude de
procès perdus
dans le
huis-clos de nos êtres.
Allons ! Il
faut nous relever,
frapper au
sol !
Pour que
l'on nous entende,
pour que
l'on entende
ce rêve
fragile d'un mort,
d'un blessé,
d'un errant,
allons il
faut nous relever !
Puiser là où
s'est endormi l'épuisé,
creuser là
où s'est arrêté le terrassier.
Nommer
chaque chose
afin qu'elle
nous traverse !
À la frontière de mon corps,
à la
frontière de mes os,
je m'arrêterai.
Si puissant
le fleuve
qui m'avait
conduit jusqu'à la peau du verbe,
si puissante
la nuit
qui avait
emporté toutes mes réponses.
Pas d'autre
soleil,
pas d'autre
horizon
que cette
ligne de chair qui organise l'ombre.
Nous marchions, pas un ne voyait ses jambes,
nous
marchions dans cette tourbe gluante
qui semblait
vouloir nous aspirer tout entier,
mille fois
mes mains s'étaient accrochées aux ronces,
nous
marchions comme si nous étions nés aveugles
avec ces
jambes aussi lourdes que des arbres.
Plus tard
j'ai pu prendre toute la mesure
de ce qui
nous mesurait alors.
L'esprit
feint d'oublier,
le corps n'a
de cesse de dénombrer ses blessures,
la tête est
un chantier naval
où des
treuils grinçants
vomissent
par intermittence
des souvenirs
de voyages.
J'aurai
ainsi bien vécu en vain,
coupable
jusqu'à la brûlure,
coupable
d'effacements volontaires,
coupable de
ne pas avoir voulu regarder
notre nuit à
tous en face.
De toutes
mes forces
j'ai
œuvré à mon naufrage,
ma vie fut
comme une tombe jamais ouverte,
beaucoup
passaient dans son ombre,
nul ne s'y
attardait,
mon ciel
était de marbre
et sur mon
corps
les saisons
abandonnaient leurs indices.
J'ai
vécu entre des murs sans fenêtres,
la fête
était dehors,
des musiques
m'arrivaient par bribes,
j'avais
appris à me réjouir de si peu !
tout
semblait si calme, si apaisé !
Mais à
l'intérieur tout brûlait, se tordait,
tout se
vrillait de douleur,
suppliait
d'anciens bourreaux.
J'ai aimé
puissamment l'attrait des ténèbres,
je ne peux
continuer plus avant,
il me faut
maintenant danser avec les esprits.
Nuit
Je la veux
belle, tendue à l'extrême,
présente aux
extrémités de tous nos membres,
voyante
flottante
dans
l'immensité d'une démence,
assoiffée de
soies de sang.
Je la veux
imprenable cette nuit,
toute enflée
de marbres et de rivières,
tendre,
souple, coriace,
pas de plume
ni de soie,
mais de ciel
pourpre,
mensonge qui
hurle
et drape
l'infini.
Je la veux
toute en sourires,
toute
légère, si légère,
qu'elle
flotterait en cette beauté
des non
corrompus,
rêve d'une
nudité délivrée de toute culpabilité,
à jamais
évadée de cette cellule
criblée de
fenêtres murées.
Je l'espère
ensorcelée cette nuit
rivée à des
villes rivales,
crucifiée
sur des rives où des râles
s'épuisent à
l'approche des tombeaux,
où des
musiques
percent des
tunnels
en des
fronts d'argile.
Il est là le pâle, l'unique secret,
il se tient
dans cet angle de la mémoire,
chacun
accomplissant, construisant sa pente,
chacun
réinventant ses abîmes,
et les
arbres, ces arbres qui penchent leurs lourdes têtes
au-dessus
des fosses,
pour eux
aussi elle finira par arriver l'heure de velours,
l'avalanche
de la parole leur révélera l'issue.
Cette nuit
qui aujourd'hui scintille,
se penche
sur le berceau de ce fleuve
qui a tout
simplement oublié de respirer.
Je vous
écris de cette nuit pleine de vivants
je veux dire
je vous écris de cet enfer
où les mots
font et défont les montagnes,
où les
montagnes sont au final ces grands mensonges de pierres.
Dans le
canal du vide je dresse haut le fanal du néant,
je ne
connais pas les limites de mon cri
ni la
gravité de mes blessures,
je vous
écris de cette nuit
tout le
reste est friable,
tout ce qui
reste est poussière.
Ombres en
partance pour d'autres terres d'ombres,
seuls les
morts applaudissent
tous si
imbibés de morve et de morgue,
le sépulcre
leur va comme un gant,
ils se ruent
hors de leurs tombes,
et vomissent
des hosties sous le bénitier de la lune.
Si je vous
écris ainsi n'en doutez pas c'est pour tenir,
tenir encore
entre mes mains,
entre mes
doigts gourds,
l'illusion
de cet esprit
qui veut
encore se battre
pour
résister à l'invasion de l'absurde,
à cette
marée singulière où des despotes isolés
tentent de
s'accrocher à des lanternes éteintes.
Je vous
écris de cette nuit carnaval
où des
ruelles se prennent pour des boulevards,
où les
villes se construisent en miroirs,
où tout
devient vite inextricable, chaos de câbles,
poulpes
noirs forgés dans le métal
collés aux
ogives des nouveaux temples,
où tout
devient gluant,
où tout
rampe,
où la
laideur est devenu la norme,
où l'ennui
drape sa nudité
dans la
souffrance rescapée,
où se
balancent
du haut de
leurs joyeuses potences,
nos
éclaireurs, nos guides.
Je vous
écris de cette nuit
et de nulle
autre,
nuit où tout
se livre,
se vend,
se marque,
s'identifie,
se raréfie,
se consigne,
se réduit,
où un rien
s'affiche,
se résume,
se
circonscrit,
s'analyse,
se disloque.
Nuit
où chacun se maudit,
se dissèque,
s'épie,
tente de se
nettoyer,
de se faire
propre,
de se donner
une face lisse,
lustrée,
masque humain
vissé sur un
rictus interchangeable.
Je persiste
à vous écrire
me tue ainsi
à cette tâche absurde,
m'agrippe à
ce rocher,
tentative
pour confondre le monde
avant que
celui-ci se fonde avec ces ombres
qui depuis
notre enfance lacèrent notre esprit.
Je vous
écris pour simplement tenir l'équilibre
entre cette
hauteur qui bascule
et celle qui
veut encore défendre son ivresse,
je vous
écris pour ne pas m'effondrer,
pour louer
le premier sarment
de cette
vigne du sang,
pour
m'enorgueillir d'avoir vécu pour rien,
je vous écris avec cette verve
je vous écris avec cette verve
qui rend
tous les mensonges fréquentables,
je vous
écris à l'ombre des grandes stèles de pierre,
aux angles
mutilés,
aux courbes
martyrisées.
Je vous
écris en ce dernier effort des vertèbres
pour braquer
mes yeux sur le ciel,
je vous
écris et vous espère,
beauté
retrouvée
sous le
songe d'un ultime glacier.
L’Ouvrier pulvérisé suivi de Seul des Acides Décembre 2011
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