VOX IRAE
2006
VOX I
La bouche
parle,
pour dire et
redire
que rien
n’avance moins vite
qu’une
pensée sans langage
qu’un mot
déserté par l’esprit.
La bouche
parle,
entonnoir
usé,
la foule
piétine,
saccage,
brûle en
effigie les objets
dans
lesquels elle croit reconnaître
les signes
de sa perdition.
La bouche
parle,
un lierre
vivant,
un lierre
pourpre
monte à
l’assaut du monde.
Une lèpre
invisible est en marche
et rien,
absolument rien
ne frémit….
VOX II
Dans la
simplification du chant,
dans
l’évidence du verbe,
sourd à
toutes les migrations obscures
au prestige
des couronnes sans règne.
Dans
l’offrande de cette parole
habitée par
la nécessité d’une marche
commencée au
pied de ce sommet inspiré.
En ce drame
du volcan
où se
précipite une voix toute de colère,
voix
légitime
née avec le
silence accusateur des pierres.
Dans la
simplification du chant,
dans
l’orgueil bafoué de cet être
martelant
sur l’enclume sa propre vérité,
échos
d’anciennes sentences.
Dans
l’accumulation des signes,
ce corps de
refusé, de damné,
a accepté
enfin sa délivrance :
Il a salué
sa peau morte
comme
l’aigle rend à la terre
son ombre
dernière
soudainement
empourprée.
VOX III
La voix
de travers
traverse
la voie
verse
la voix
en pente
en douce
voix
pente
pantelante
voix île
voix honnie
au nid
des cils
où oscille
au front
au
frontispice
du temps
du temple
la voix
pliée
fuite
buccale
du cal
du calice
la voix
étale
voix des
étals
des étalements
de graisses
et de nerfs
tout en
poings
en poinçons,
en sons,
si serrés
la voix
chance
chancelante
la voix haut
perchée
sur branche
la voix
blanche
comme marbre
au soleil
la voix
trace
en travers
de la voix
la voix de
travers
la voix
traversée
solide
si
solidifiée
en douce
déroute
en route
vers
la douce
voix blanche
la douce
voix retroussée
trachée
ouverte
perdre la
voix
pour perdrix
voix volée
prendre la
voie
des airs
perdre un
désert
pour une
voix libre
enfin
libérée
voix haute
de gorge
et de vallée
la rendre à
la voix
double
dédoublée
emballée
dans la voix
du sang
voix du
centre
voix
multipliée
voix tronc
et la voix
d’être ainsi
tronquée
rit
la voix
tronc
dit
blanche
et ne dit
plus un seul mot
ne dit plus
lin
ou linceul
ne dit plus
drap blanc
blanchi
mais dit
dynamitée
pour la voix
c’est dit !
VOX IV
C’est une
voix
une voix
seule
qui rentre
et ressort
sort et
rebondit
et ceci
nous rend
nous scie
ceci nous
rend
à la voix
si
facile
facilement à
la proie
attachée au
poids
insupportable
de notre
propre poids
et sort
ressort
une voix
sans calcul
sans gorge
ni luette
une voix
seule
sûr d’être
celle qui
rentre et
ressort
une fois
même
toute sortie
ne pas
garder
ne pas
regarder
le fond
mais avancer
à pas
pas de ligne
pas de
remords
pas de porte
seul
à avoir
à être
au plus fort
de
mêlée
de la voix
qui se terre
se garde
et vous
regarde
de cet air
qui tord
torpille
sous ses
airs
de débutante
juste après
voir ce qui
se passe
après
la ligne
l’issue
juste après
l’impasse
puis tout
corps
sue
corps tendu
passe
comme
blessure vive
et jouit
s’étend
se détend
se tend
apparemment
sous le vent
d’une
ancienne douleur
vieille
cicatrice
puis
dernier
d’une race
dernier
pendu
à son cou
marqué
noyé
trace
saignée
faite
au bonheur
afin
d’épurer
ce temps
où
plus fragile
plus prêt
d’elle
tout au bord
elle
sans limite
de morsure
dernier
refuge
de la rive
où voix
exténuée
voix de
désir tué
dans chambre
d’hôtel
où
billet
froissé
sur petite
table
et petite
carafe d’eau
pas de
billet doux pour elle
mais froid
comme la pluie
sec
un corps
vieilli
gémit sur
elle
en dernier
ressort
un corps
de plis
sur
lit pliant
lit plan
plante
carnivore
où l’homme
dévoré
encore
s’étourdit
d’elle
ceci ressort
du lit
ce cri aussi
sort
pourquoi à
ce point
ressort-il
sans
prévenir
ce cri
au bord
où une voix
seule
entre
et sort
voix
annoncée
voix de
bagarre
poings
crispés
corps
dingues
qui
toute sueur
accrochée
sous
le peuple
des néons
valdinguent
corps pris
entre les
griffes noires des eaux
et les
franges noires
d’une nuit
s’accouplant
à d’autres
signaux
sur la voix
voix lin
linge où
voix seule
voix drap
tendu
sur corps
étendu
sur corps
blanc
rangé
rongé
par
ceci
ce silence
repêché
ce corps
trop blanc
voyez ceci
ce silence
entendez
cette ombre
elle glisse
glisse
glisse
entre
chaises
et tables
encombrées
entre
décombres
et mémoires
trouées
cérémonial
du fleuve
qui recrache
morts et mortes
quand ils
ont rendu
l’intégralité
de leur âme.
VOX V
Nom de Dieu
la voix !
Au nom de
quel Dieu
par quel
autre Dieu travaillée
cette voix
de toute éternité,
de quelle
autre terre surgis-tu
toute de fer
et d’effroi ?
Nom de Dieu
la voix !
Que
cherches-tu en ces abîmes
où notre
humanité errante
a depuis des
siècles,
habilement
dissimulé son crime ?
Nom de Dieu
la voix !
De quelle
cruauté te nourris-tu ?
Ce jour
est-il déjà mort
qu’une voix
seule suffit pour te saluer ?
Nom de Dieu
la voix !
Que
voudrais-tu ajouter à ce vacarme ?
A ce drame
si mal joué
qu’il fait
tomber un à un
les masques
d’acteurs
rongés par
la suffisance de leur verbe ?
Nom de Dieu
la voix !
Quelle autre
injure jeter à ta face ?
De quel ciel
cette pluie
qui vient
innocemment laver
la première
marche de pierre
du jardin
oublié des bons gisants ?
Nom de Dieu
la voix !
Quelle tâche
est donc la tienne ?
Quel verbe
doit être désormais le nôtre ?
Alors que
tout objet rituel a failli,
alors
qu’aujourd’hui tout est rendu
à
cette rumeur première,
à ce
désordre sans raison.
Nom de Dieu
la voix !
En quel
chantier,
sur quelle
terre boueuse
s’abrasent
les semelles de nos chaussures
et le cuir
de nos gants ?
Nom de Dieu
la voix !
Quelle masse
assez lourde
cogne aussi
durement sur la tige de fer
qui fait
éclater le cœur de la pierre !
Sur quel
chantier offrons-nous notre sueur ?
Quelle
écriture se fige glacée,
roide,
noire
mendiante,
au bord
d’une blessure,
voix ouverte
de la terre,
tranchée ou
mille soleils basculent.
Nom de Dieu
la voix !
Sur cette
seule route
éclairée par
notre commune destinée
où sifflent anonymes
des jets de
pierres flamboyants.
Sur cette
seule route
où
l’angoisse, la peur, le moindre trouble,
dessinent
dans le magma de la colère
des figures
de dieux gourmands d’apocalypses.
Nom de Dieu
la voix !
Quel noir
complot circule
entre
glyphes et parois de verre
où se
perdent les origines du monde.
Nom de Dieu
la voix !
Quels
obscurs tréteaux ici sont dressés,
voici le
festin où nous sommes tous invités
pour
sacrifier l’esprit à la chair,
trancher
avec de joyeux couteaux
notre part
d’humanité !
Nom de Dieu
la voix !
Se dire
libre, délivré,
de tout
élan, de toute colère,
libre de
retourner cette terre
pour y
planter ne serait-ce qu’un arbre.
Et c’est en
ta compagnie la voix
que nos
pieds foulent le grand charnier
d’une terre
où survivront
nos cendres
dispersées !
Nom de Dieu
la voix !
Quel drame
ici nous accueille et nous acclame !
Morts à
nous-mêmes,
morts
glorieux à ce monde,
notre folie
est intacte
et toutes
les eaux du ciel
ne
pourraient étancher notre soif !
Nom de Dieu
la voix !
Elle se
meurt
et nous ne
voulons l’entendre gémir.
Ce râle
prolongé annonce le sillon accueillant
de cette
veine secrète dans la terre entrouverte
qui
accueillera notre corps trahi
par ses
propres capitales.
Nom de Dieu
la voix !
Que ces voix
trompées retrouvent ici
leurs
compagnons abandonnés
au seuil de
tant de portes ouvertes !
Nom de Dieu
la voix !
Ton
intelligence est monstrueuse !
Nous te
devinons aujourd’hui
nous
découvrons ton œuvre !
De quel
songe soudain devenu palpable
sommes-nous
nés aujourd’hui ?
Qui
regardons-nous ?
Qui
fabriquons-nous en notre silence simulé ?
De quel
bourreau armons-nous le bras non faillible ?
Nom de Dieu
la voix !
Quelle autre
voix
que celle-ci
peut se précipiter
hors de ce
corps perdu
où le nerf
ainsi tendu
vibre encore
d’une saine
et si joyeuse révolte ?
Nom de Dieu
la voix !
Au nom de
quel Dieu,
au nom de
quelle voix,
peux-tu
encore,
là, devant
nous,
brandir des
morceaux dignes
d’une grande
boucherie de ville,
morceaux
d’anciennes bravoures
ridiculisées
par cet esprit
qui en nous
continuellement s’agite
comme pour
éloigner les moineaux
de si
piètres récoltes !
Nom de Dieu
la voix !
Nous sommes
véritablement nus,
de nos mains
pendent nos
peaux mortes
et
scintillent au soleil naissant
les lourds
reliefs de médailles rouge sang.
Nom de Dieu
la voix !
De quelle
défaite es-tu ?
Sur quel
coteau désormais paisible
peux-tu
accueillir
cette
lumière en pluie ?
Dernière
preuve d’une vie encore rugissante
derrière la
grille pâle
d’un ciel
tout en blessures ?
Nom de Dieu
la voix !
Quel Dieu
immense trahir
pour que
cesse de circuler
en les
veines d’un corps maltraité
la joie
toute bouillonnante de l’espérance
toujours
massacrée et toujours renaissante !
VOX VI
« Où
étais-tu ? » c’était le cri de Job sur son fumier,
« Où étais-tu ? » c’est le cri de tout homme se vivant condamné
« Où étais-tu ? » c’est le cri de tout homme se vivant condamné
Où étais-tu
la voix,
quand cloué
à l’instrument de torture
je voulais
fendre le ciel
pour
échapper à ce cri qui me lacérait le corps ?
Où étais-tu
la voix,
quand je me
traînais pis qu’un animal
en implorant
la grâce impossible
qui
n’appartient ni au ciel ni à la terre ?
Où étais-tu
la voix,
quand je me
lamentais
sur la
misère des miens
et que
j’aboyais
sous les
lunes mourantes des villes ?
Où étais-tu
la voix,
quand j’attendais
un monde
et que pour
toute réponse
tu m’offrais
un chaos de signes ?
Où étais-tu
la voix,
dans quel
corps m’attendais-tu
corps
fusillé bien avant que l’ordre soit donné,
corps inhumé
bien avant
que tinte le
fer de la pelle sur le gravier ?
Où étais-tu
la voix,
quand je
brandissais la seule arme de ma colère
à la vue
d’un village pleurant ses enfants morts ?
Où étais-tu
la voix quand un tel crime
est plus
redoutable que le jugement dernier ?
Où étais-tu
la voix,
dans quel
faux calice se déversait ton souffle,
quel pacte
s’écrivait au-dessus de nos têtes
nous
poussait vers l’acte fou de nous crever les yeux
pour
échapper à l’intolérable vision ?
Où étais-tu
la voix,
quel membre
à ton service travaillait à ma perte,
prophétisant
des temps d’illusions et de baumes
et dessinait
le signe d’une fourche
sur le front
de l’endormi ?
VOX VII
Voix du sang
du centre
en plongée dans son centre
voix du fusil
du fusillé
du fut taillé
entaillé
voix de chêne
voix de l’érable
voix du cyprès
voix du cèdre et du sycomore
voix du figuier et de l’okoumé
voix des brousses
des broussailles
voix des garrigues et des hautes futaies
voix des baies et des braises
toutes voix des esprits
toutes voix triomphantes
sorties du versant de la terre
toutes voix adolescentes
fourchues
noueuses
toutes voix cathédrales
aux piliers d’écorce brûlée
toutes voix dehors
toutes voix de plein vent
voix tavernes
voix tabernacles
voix d’un culte
voix d’une insulte
voix de glottes et de grottes
voix végétale
végétative
voix feuille
voix feuillue
voix nue
nuée
voix qui végète
végétale
voix de lice
de lisière
voix arborée
arborescente
voix de ré
de récif
voix de fer et de verre
voix des cimes et des troncs
des tronçons de voies
voix des bosquets
des brins
des brindilles
voix en brassées
embarrassées
en ramées
voix cousues
élimées
voix d’arbre
voix d’axe
voix de turbine
de piston
de fusion
voix en fumées
voix poisons
voix à gros bouillons
voix de miss
voix de missile
voix balle
voix cible
voix qui tend son sexe
comme une main
voix d’un seul suc
d’un seul succube
voix scie
voix silex
voix engorgée
voix rive et voix rouge
voix éclair
éclaircie
voix cisailles
d’enclumes
et de couteaux
voix en filets
enfilées
voix d’écume
d’écumoires
voix passées au crible
voix sentence horrible
voix signe
voix distance
distanciée
voix qui porte
comme posée
dans l’escalier
voix journal déplié
voix nouvelle
voix sève
voix des sévices
voix du gardien
voix vis
et tourne
la vis avec
et à genoux
qui se signe là ?
Qui touche la voix
du bout des lèvres
comme on touche l’intime
comme on touche l’autre
cette autre voix
invitant à poursuivre
cette voix de dent
édentée
cette voix de dentelle
voix enroulée autour du fil
du filet de la voix
qui coule
égarée
en voix de fond
voix fongicide
fondue
voix enchaînée
à la voix vive
voix fracture
voix fracturée
voix d’une lutte
voix d’un lutteur
voix violente
voix des peaux brûlantes
voix des paupières
cousues
pour être autre chose
toute autre chose
qu’une voix.
VOX VIII
C’est la
voix mue,
multipliée,
un voile
discret sur la voix des morts,
paisibles,
silencieux,
comme le
veut la mort.
C’est la
voix mue,
multipliée,
une voix si
solide, si imperceptible,
une voix
guide,
une voix
repère,
inattendue.
C’est une
voix disciple,
disciplinée
jusqu'à
l’attache
l’attachement
des choses
reliées aux
signes,
qui font
que ces choses justement,
qui font que
ces choses précisément,
sont des
voix
des voix que
l’on ne veut pas entendre
car trop présentes
et trop fortes dans leur sens
bien
qu’insignifiantes dans leur forme.
C’est une
voix qui coule, souterraine
et qui
déforme le monde.
C’est une
voix qui dicte sa conscience aux pierres,
qui annonce
sans fatigue un autre temps
où l’acte
lavé de toute prière
brille au
firmament d’êtres fiers.
C’est la
voix mue,
multipliée,
c’est la
voix de plomb,
plongée
en ce monde,
lit
liquide,
ce monde
d’un corps trahi,
corps d’une
flamme sous la voûte,
envoûtée.
C’est la
voix mue,
la voix
musique,
musicale,
sous des
doigts ouvriers.
C’est la
voix mue,
multipliée
dans le
chaos de présences invitées.
C’est la
voix mue,
la
voix de sang
qui coule
dans le réseau des veines,
la voix
certaine,
la voix qui
ne peut
sans se
revêtir des peaux les plus voyantes
sans se
sentir voix libre,
voix délit,
délivrée,
nue et
lisible,
comme livre
ouvert en feu à nos pieds.
C’est la
voix mue,
multipliée,
la voix
trouble,
troublée,
voix des
tréteaux et des planches calcinées,
voix
au-dessus,
comme voix
dé,
dépecée,
voix
pendante tenue au rouge crochet,
voix
déchirée,
incendiée,
piétinée,
éventrée.
C’est la
voix mue,
multipliée,
la voix des
chemins de tourbe
et des
routes de gravier,
la voix d’un
bol de vin rouge pris au matin
avant le
chemin du chantier,
la voix bégaie,
bégayante,
aux abois,
aux
aboiements
des chiens
de ferme
veillant sur
d’anciennes tranchées.
C’est la
voix mue,
multipliée,
tout au long
de ces sentiers où se courbe l’arbre,
où se
remplissent sans bruit les fossés.
C’est la
voix mue,
multipliée,
la voix
tissée d’impudences,
d’imprudences,
la voix
endeuillée
par de
soudaines absences,
la voix lame
de fond ébréchée,
la voix
éméchée,
voix métal,
voix
bancale,
voix d’usine
puant l’urine,
toute
suintante de peurs et de cris rentrés,
en
flottaison,
en voix
ligne,
linéaire,
voix des
cheminées
qui côtoient
la voix des oiseaux.
C’est la
voix mue,
multipliée,
la voix
élégie,
une voix de
bannières en vrac,
sacs de
crânes troués !
Une voix
jetée au sol,
une voix
martelée !
Cognée !
une voix de
bêche plongeante
entre deux
artères d’argile.
C’est une
voix mue,
multipliée,
une voix de
pierre plantée,
une voix
laboratoire,
une voix
laborieuse dans l’éther,
dans
l’éternité de sa colère,
une voix
volée,
une voix de
haute volée
de bois
verts,
une voix de
nacre,
de sacre,
de
simulacre,
une voix de
sang,
une voix
sentencieuse,
pleine de
cet orgueil blessé,
de cette
vérité saignante
comme un
quartier de chair
que l’on
aurait jeté dans votre assiette
pour
insulter toute vie et toute beauté !
C’est une
voix mue,
une voix
multipliée,
à l’heure
des frontières obstruées,
à l’heure
des territoires protégés,
des
charniers à cœur ouvert,
des colonnes
noires d’où s’échappent
des fronts
écorchés marqués du seul signe.
C'est la
voix mue, la voix muette,
muette
empreinte
scellée dans
l’ombre cimentée des portes,
c’est la
voix prompte à vomir la bombe,
c’est la
voix d’une seule faille,
du sang
impalpable,
calendrier
oublié sur la cendre coupable.
C’est la
voix d’une langue étranglée,
d’une
logique de sombres rouages,
une voix
empalée sur rotatives,
sur rouleaux
de cuivre et plaques de métal,
c’est une
voix seule
sur sa
hauteur qui parle,
une voix de
sang
une voix de
veine battante
aux
tempes !
VOX IX
Si la voix
n’était pas la voix
mais un mensonge
sublime
capable tel
un feu
qu’un seul
souffle anime
de nous
faire entendre
sous la rude
peau de la terre
le tumulte
d’un autre fleuve
veillant au
rayonnement de nos artères.
Si la voix
n’était pas la voix
mais une
salve énigmatique
lancée par
une bouche de fer
qui, visant
le ciel,
atteignait
le cœur de la terre.
Si la voix
n’était pas la voix
mais un
chant rythmant une marche
commencée
dans le silence
et se
poursuivant loin des bruits insignifiants
d’une race
perdue
dans les
clameurs des chantiers.
Si la voix
n’était pas la voix
mais le
fracas de ses machines
qui nuit et
jour creusent des fosses,
enfoncent
des piliers,
font se
dresser colonnes
où
croupissent
colonies
d’âmes désunies
retranchées
derrière leurs yeux de verre,
immenses
parois où se blesse la lumière.
Si la voix
n’était pas la voix
mais une
pierre
qui obstrue
la bouche de l’oppresseur,
un poème qui
fait chanter à tue-tête l’opprimé.
Si la voix
n’était pas la voix
mais ce que
l’on ne peut ni écrire,
ni traduire,
une présence
nous
conduisant à nos premières demeures,
nous
éloignant des ruines
qui
trop longtemps abritèrent notre seule science.
Si la voix
n’était pas la voix
mais ce
mensonge sublime
capable de
faire renaître en nous
cet oiseau
de feu qui défie les abîmes.
VOX X
On ne peut
qu’offrir cette voix,
de ce côté-ci
de la paroi,
se glisser
dans la fissure
où viennent
se bercer d’éternité
des songes
dignes d’autres nourritures.
On ne peut
qu’offrir cette voix
à qui sait
la recevoir,
se hisser à hauteur
d’arbre
puis laisser
la sève
monter en
nos membres,
abandonner
nos pieds
à la volonté
des racines,
respirer
comme une forêt entière
livrée à sa
séculaire sauvagerie.
VOX XI
Voix à bout
de souffle,
tout au bout
du souffle,
là n’est pas
la faim,
là n’est pas
la soif,
quand
débarrassés de ce poids
de cette
peau
immense
calvaire,
nous nous
tournons vers l’ombre naissante
là où tant
d’yeux ont forgé
dans
l’alliance des corps premiers
leurs
visions respectables du silence.
En cette
voix fabuleuse,
fabulatrice,
sortie de
l’antre,
cette voix
d’oracle réinventé,
voix
mugissante
comme un
taureau dans l’arène
devant la
foule tremblante
non pour
l’homme
mais pour
son propre salut.
Voix à bout
de souffle
hors ce
combat,
hors cette
méprise,
cette voix
prise
et dans la
transe et dans la terre,
cette voix
éprise
d’un chant
aux
prophétiques accords.
Que lui
avons-nous donné à cette voix
autre que
notre colère stupide
que nos
gémissements de vieillards
en route
pour l’abattoir des âmes ?
Que lui
avons nous véritablement
donné à
cette voix ?
Cette voix
se traînant misérable,
conspuée par
la multitude égarée,
voix d’un
verbe nu, fustigé, sceptre brisé,
entre
science et conscience,
voix
insoutenable,
voix de la
vigne ravagée
par des
vents apportant la mort
en leurs
lances ouvragées.
VOX XII
On ne peut
qu’acclamer cette voix
sortie du
pur métal
cette voix
irremplaçable
entre porte
et
table
où repose
l’autre voix du silence
pichet au
bec brisé
à la faïence
sale,
objet posé
devant son
reflet,
en attente
d’une main
qui par pure
humanité
en effacera
l’ombre.
VOX XIII
Se
soustraire à cette voix mobile de l’homme,
mobilier du
silence,
mobile être
qui, dans
une nuit rectangulaire,
dévore
un à un
les angles
involontaires
du mystère
de son
foyer éteint.
VOX XIV
Que de
chuchotements que de clameurs !
Nous ne
pouvons plus célébrer le doute,
cette voix
est celle de l’être
retrouvant
sur la stèle blanche
son nom
miraculeusement gravé.
Que de
chuchotements, que de clameurs !
Au pied de
ce volcan
où Empédocle
confondit son destin
avec celui
de Dieux inventés.
Là où dans
les vapeurs lointaines
s’installait
l’oracle,
divertissement
des puissants,
là où l’être
surpris en son sommeil
par les
nuées ardentes
devenait
statue de cendres et de poussières
exposant
ainsi sa souffrance figée
en une
sculpture d’une étonnante modernité !
VOX XV
Passant, va
dire à la grande ville
où nous
sommes morts plusieurs fois,
où mille
fois nous avons failli,
où mille
fois nous nous sommes relevés
sous les
rires et les crachats.
Passant, va
dire à la grande ville
où nous
sommes morts plusieurs fois
que nous
vivons aujourd’hui apaisés
après tant
de vaines colères, loin de ses lois.
Passant,
apporte à la grande ville
les derniers
souffles de nos voix
et conte-lui
à ta manière
notre
périple d’affamés de lumière.
VOX XVI
Était-ce
cette voix,
était-ce
cette parole,
bousculant
l’apparence du monde
et portant
nos os au-dessus des eaux.
Était-ce
cette voix
prise dans
la fonte des glaciers,
cette voix
née dans une vallée
empoisonnée
par l’ombre et le doute.
Était-ce
cette voix
voix
désaccordée, blessée,
toute
d’orgueil et de chair,
lourd rocher
défiant l’éclair.
Était-ce
cette même voix
née aux
confins d’une conscience
qui a forgé sa
colère
sur la
pierre noircie du temple ?
VOX XVII
Elle est ici
cette voix
qui côtoie
notre humanité incertaine,
elle est ici
cette voix
entre le
sommet et la plaine,
entre ce
corps et ces os,
entre la
plaie et la fourche,
entre
l’écorce et la sève.
Elle
s’élance,
vibre
et tombe
puis revient
à cette pointe acérée du verbe,
empreinte
d’une main
prête à
saisir un jour nouveau.
En ce chaos
si vaste
surprise en
sa millième naissance,
cette voix
tremble
à la surface
des choses qui semblent
depuis si
longtemps dormir.
Elle est ici
cette voix,
elle épuise
notre ciel,
retourne
dans la cendre
se
redécouvre joyeuse, rebelle,
en secret
accord
avec les
sources souterraines,
elle est ici
cette voix,
elle a fait
croître la puissance de son verbe
sur une
terre riche en cadavres,
elle a
apprivoisé ce souffle, respiration circulaire,
et
l’inhumaine parole
a alors
assisté à la faillite de son règne.
VOX XVIII
Elle était
là cette voix
prise dans
l’étau d’une conscience artisanale,
là où la gouge
scarificatrice
libérait un
orage de copeaux.
Elle était
là cette voix,
sur cet
établi aux mille fissures,
aux mille
veines,
où les corps
guerriers des outils
ajoutaient à
chaque charge
la noblesse
savante des rides.
Elle était
là cette voix
dans la lame
affûtée du rabot
s’échauffant
en son assaut têtu
contre les
crêtes rebelles.
Nous étions
nus désormais
en ce
premier atelier du monde.
VOX XIX
Elle était
cette voix
souple,
inventive,
attentive
en ses
moindres accents fiévreux.
Elle était
cette voix
la plus
discrète des évidences,
elle était
cette voix trop impatiente,
jusque dans
sa colère,
un corps qui
se dresse,
un visage
sans tendresse,
un regard
tout empli de sombres cortèges,
la
terrifiante beauté artificielle
étendue en
son lit froid de pixels noirs.
VOX XX
Une nouvelle
tribu
campait au seuil du désert,
dénombrant des étoiles
soupçonnées mortes.
campait au seuil du désert,
dénombrant des étoiles
soupçonnées mortes.
Voix,
compagne de
pèlerins perdus,
demeure sans
fenêtres ni portes,
cheminée
sans âtre.
Voix,
oiseau au
glorieux message,
terre où
l’olivier tordu
offre au
plus démuni son ombre généreuse.
Voix,
source
dérobée au visible,
écriture
découvrant sous chaque signe
la
silhouette familière.
VOX XXI
Elle était
avec nous
cette voix
toujours
présente,
toujours
accompagnant
notre triste
humanité comme un songe obscur
s’effondrant
à l’approche de l’aube.
Elle était
avec nous cette voix,
elle portait
les fruits de notre légende,
elle était
avec nous cette voix
et nos
frères sauvages
ne pouvaient
plus nier ses origines.
Elle était
avec nous cette voix
depuis la
naissance de l’humanité,
elle
poursuivait à travers nous
son rêve de
feu
dont la mort
est inscrite nulle part.
VOX XXII
Nous sommes
la terre
cette terre
est notre vertige,
nous sommes une
voix,
cette voix
est une plante,
nous en
sommes la tige.
Un verbe
respire
sur nos
tempes,
une ombre
efface
l’ombre
ocrée du temple.
Nous sommes
la terre,
cette voix
est la terre,
cette
terre où circulent nos voix
ne peut être
aussi pauvre,
aussi
insignifiante,
nous sommes
la terre,
nous sommes
la terre,
et notre
voix est forêt,
et notre
voix est entière.
VOX XXIII
Des voix
anciennes se sont élevées
nous n’avons
jamais voulu les entendre,
des voix
dans le quatrième monde
des voix
devant lesquelles
nous sommes
restés incrédules,
inertes,
semblables à
nos demeures
verrouillées
de l’intérieur.
Tout parle,
même les
pierres parlent,
nous
vivants,
refusons de
dialoguer avec le vivant.
Tout parle,
même les
pierres parlent,
la forêt
parle,
le fleuve
parle,
l’océan
parle.
Seules nos
villes
rongées par
le bruit
restent
effroyablement muettes.
VOX XXIV
Qui peut encore l’atteindre ?
Qui peut en
dessiner l’exquise figure ?
Découvrir sa
force intacte
de volupté
et de rêve ?
Qui peut
désormais décrire tout cela
alors qu’une
voix seule
use son
souffle
dans
l’éternité de sa colère ?
VOX XXV
Sur quel
territoire soudain révélé,
sans
récoltes et sans fruits
prospèrent
les pilleurs de tombes,
les mêmes
voleurs d’ombres ?
Sur quel
territoire
grandit ce
songe prophétisant
la voilure
noire
de l’intime
blessure ?
Quelle voix
ici, nous interroge et nous assiège ?
Quelle voix
ici,
nous livre
à la
grandeur d’un drame
qui nous
voue tous de si bonne heure
au jeu perfide
des masques ?
VOX XXVI
De cette
voix
je me suis
vêtu,
elle fut mon
ouvrière,
ma source
nourricière.
De cette
voix je me suis imprégné.
De cette
voix je suis né.
De cette
voix je me suis inventé un pays
où pouvait
fleurir ma démence,
une terre où
mon poème
pouvait
demander asile.
Après des
siècles d’errance
cette voix
retrouvait
ce corps qui ne m’appartenait pas,
pour tout
naturellement revivre.
VOX XXVII
Laisser à la
voix
sa mécanique
triomphale,
sa symphonie
orphique,
ses
conduites où circulent
poésies
froides ou chaudes
pour bétails
de bouches et d’oreilles
nourris au
verbe vénal.
Laisser à la
voix
son socle
d’airain
ou de métal,
sa sombre
patrie d’os et de peaux
perdue dans
la ferraille.
Laisser à la
voix
son souffle
abîmé
par les
fumées d’usines,
échos triés,
lessivés,
sacrifiés
sur ces
parvis d’acier
temples pour
victimes résignées.
Laisser à la
voix
son mensonge
industriel,
copie de
voix gravée
pauvre
sursaut d’orgueil d’un être
voulant sans
cesse se mesurer à l’éternité.
VOX XXVIII
O cette
voix qui se lève
gardienne
d’un seul souffle,
cette voix
souple et chaude
fragment
d’un décor magnifié.
O cette voix
vitrail,
cette voix
traversée
par la somme
fraternelle des songes,
cette voix
délivrée
dans la
mémoire confuse des hommes,
cette voix
n’est plus entaille,
ni plaie
profonde,
cette voix
est vallée,
terre où la
beauté a déposé ce corps
par où tant
d’âmes sont passées.
VOX XXIX
Je me
traînais à tes pieds la voix,
le ciel même
m’était devenu étranger.
Un regard
aiguisé comme un couteau
plongeait
dans le ciel.
Une peau
tombait,
souvenir
d’écorce.
Vous voilà
surpris,
pris en un
rêve illisible,
cheminement,
passage
d’une ombre
à une autre.
Plus bas,
une pierre
finissait sa course
avec un cri
d’animal blessé.
VOX XXX
Cette voix
dont vous entendez tous les accents,
toutes les
intonations, les faiblesses et les forces,
cette voix
qui sort des mêmes appareils
répond à la
même urgence organique.
Cette voix
tonitruante,
se déverse
en nos villes
pour vanter
les tristes pouvoirs de l’objet.
Cette voix
chasse le silence
comme s’il
était une menace.
Cette voix
goule
braille sur
les trottoirs,
s’enroule
autour des êtres,
entre dans
leurs têtes,
en aspire
sans bruit la dernière pensée.
Cette voix
glisse par
tous les conduits,
s’introduit
par tous les offices,
nouvelles
messes
autour de la
corolle du saint calice,
nouvelle
parabole sacrée,
grand
récepteur d’onde,
cyber-sonde
d’un Dieu d’Apocalypse.
Cette voix
mécanique, ronflante,
diluée en
des songes de soufre et d’acier,
cette voix
au seuil d’usines
aux grilles
fermées,
cette voix
des ouvrières au front lassé,
aux espoirs
crevés,
cette voix
des jeunes chefs
aux épaules
déjà voûtées,
cette voix
des battants futurs battus
sur un
marché où tous seront vendus,
cette voix
des nouveaux riches
mus par la
peur aux mille visages mutilés,
cette voix
effrayée
devant la
colère des nouveaux pauvres,
cette voix
éternelle des empires défaillants
qui lancent
leurs missiles
comme ces
enfants
qui brisent
par dépit
les jouets
convoités.
VOX XXXI
Cette voix
n’est pas ma voix,
elle n’est
pas vôtre non plus,
cette voix
cherche en sa demeure
là où elle
peut placer
dans la
bouche du récitant
ce galet usé
par le sens du mot.
Cette voix
n’est pas ma voix,
elle n’est
pas vôtre non plus,
chaque
souffle est un aveu,
chaque
vibration tente de l’apprivoiser.
Cette voix
vient du commencement,
du grand
continent de l’âme,
cette voix
s’est débarrassée
et du leurre
de la chair
et de la
poussière des os.
Cette voix
porte l’hiver de la parole
se révèle
dans toutes ses hésitations :
frissonnement
impalpable
qui
inlassablement, parcourt les grands fleuves gelés.
VOX XXXII
Rien que
cette voix
pour nous
dire d’être,
pour nous
dire de continuer à être,
pour dire de
ne pas être
cet être si
attaché aux choses,
cet être
perdu
dans le
miroitement des choses.
Rien que
nous et ce fleuve,
et nos
mains, et nos bras,
rien que
cette chair en alerte
au-dessus de
nos yeux
bien
au-dessus de notre tête.
Rien que
cette formidable présence
dans un
chantier
où l’ombre
se déleste de tout mot,
rien que
cette bouche vidée de tout sens
et cette
voix si faible pour en traduire le vide.
Rien que le
fer rouillé de la voix,
voix forgée
par
l’indicible,
par
l’indivisible,
voix émail,
émaillée de
rires,
une voix
couchée
et à son
flanc
la même
blessure toujours aussi vive.
Rien que ce
même sang
trouble,
troublé par la colère,
rejoignant
la source
sous la
colline,
rien qu’un
seul remords sans lèvres
dit du bout
des deux rives ou des deux mondes,
rien qu’une
larme d’un seul
pour
rejoindre la poussière, linceul de plusieurs.
Rien que
cette voix
pour dire
tout ce qui ne peut être jamais dit
sans l’aide
de l’écriture,
rien qu’une
lampe, torche puissante,
découpant en
fibres lumineuses
un fragment
de souvenir taillé
dans le
lourd bloc de la nuit.
Rien que
cette voix pour dire
avec ce
verbe attentif à nos désordres intérieurs,
l’universalité
des choses qui encombrent
et notre
corps et notre mémoire.
Rien que
cette voix et au-delà de cette voix
toutes
celles qui sont tombées foudroyées
pour avoir
voulu boire à la source
le sang
inviolé des étoiles.
Rien que
cette voix terrible,
terriblement
maladroite
qui attire
le surgissement des failles,
l’inaltérable
démence des corps
plongés dans
la nuit liquide
d’un
océan de basalte et de feu.
Rien que
cette voix,
et son
souffle abîme,
abîmé,
logé dans le
cœur
du plus
insensible des êtres.
Rien que
cette voix,
ce souffle,
vibration
d’une espérance absolue
plongée dans
l’amer,
l’amertume
des jours.
Rien que
cette voix
et ce dit,
cette discipline
sous le joug
de laquelle
le corps se
lève
à heure
précise,
précisément
régulière,
s’en allant
travailler
sans relâche
à sa mort
intime.
Rien que
cette voix
puissante,
désordonnée,
sauvage,
voix
ignorante
où chaque
signe est un fanal,
où chaque
signe
est comme un
signal.
Rien que
cette voix
plantée là,
au milieu
d’un monde qui avale toute lumière,
un monde
décor,
un monde de
corps,
ombres
soumises
qui se
prêtent toutes
aux rituels
d’un carnaval inouï.
Rien que
cette voix
pétrie,
pétrifiée,
dans le
frêle univers
d’êtres
fermés à
tout vent.
Ces êtres
affolés,
qui en leur
course obstinée,
ne peuvent
voir le fil tendu entre eux,
ce fil qui
les relie à l’autre sphère,
celle hors
d’atteinte de la cohue des corps.
Rien que
cette voix
offrant à la
surface trompeuse des choses
le reflet
d’un visage singulier,
singulièrement
remodelé dans la cire du temps,
accompagné
par la marche inflexible des Moires.
VOX XXXIII
Cette voix
au travail,
tout en
efforts,
en muscles,
en os tordus
sous la chair,
cette voix
exsudée,
cette voix
rendue à l’eau
à l’élément
premier,
cette voix remontant
à la surface,
cette voix
tout en veines,
en fond,
en
fondrières,
cette voix
tout en chaînes,
en gouffres,
en ravines,
cette voix
ravie
tout en
appels,
en
effloraisons,
en scalpels,
cette voix
tout en messes
noires et
blanches,
cette voix
tout en édifices,
en fouilles,
en fosses,
cette voix
de feuille et d’arbre,
cette voix
vague puissante,
cette voix
tout en écluses,
en ruses,
cette voix
qui s’use,
cette voix
intruse,
cette voix
qui fuse,
voix des
machines,
cette voix
urne,
diurne
et une,
cette voix
rude,
cette voix
en plongée,
cette voix
aux yeux bordés de fièvres,
cette voix
nubile, habile,
cette voix
apportant la mort sur la grève,
cette voix
de sang et de bile,
cette voix
des chenils, des îles,
des villes
accouplées
à leur chaos
de ferrailles,
cette voix
qui se raille,
déraille,
cette voix
rail
explosé,
cette voix
de la calme frontière
du sommeil
dépassé,
cette voix
pied tranché,
cette voix
de foire aux deux pôles,
cette voix
penchée
sur la chair
blanche
d’un
horizon démembré,
cette voix
du nombre,
du
démantèlement,
cette voix
des vocalises perdues
corde après
corde,
dans le
réseau des conduites,
cette voix
prise en tenailles,
cette voix
terne, maniaque,
cette voix
d’orateur
expert du
verbe et du crime,
cette voix
qui fourmille,
et verse des
acides
sur les
bases
d’une
humanité désemparée,
cette voix
parée,
belle comme
un sac,
cette voix
des gibets,
des
gibecières, des grilles
et des
jardins suspendus,
cette voix
d’Orient,
cette voix
désorientée,
cette voix
d’occident,
cette voix
oxydée,
cette voix
des parfums,
des effluves
des ports,
cette voix
grimpante
le long de
la gorge vibrante,
cette voix
marée montante,
pleine de
vie,
pleine de
ces choses vivantes,
organisées,
organiques,
voix des
chants, des solstices,
voix
sollicitée par les aubes drues,
voix racine,
pétale,
cette voix
parabole,
parasol
atomique,
cette voix
des quarts,
des
quartiers de viande,
cette voix
des brouillards,
cette voix
débrouillarde,
parfois
hagarde,
cette
voix mise en garde,
cette voix
des couloirs
et de
leurs condamnés à vivre,
cette voix
bélier,
pilier des
cénacles, des sacres,
cette voix
des mises à sac,
cette voix
qui abomine,
cette voix
mine,
cette voix
puits,
puise
dans la voix
empoisonnée,
cette voix
épuisée
verticale,
cette voix
couture,
couturée
coulure,
encre,
entre orage
pourpre
et éclair,
cette voix
râle,
cette voix
jouissive,
cette voix
écorce et fleuve,
cette voix
bannie,
cette voix
nid,
futur
cortège en route
vers de
froides demeures,
cette voix
monument d’airain,
cette voix
tout en reins,
voix de dos
ployés, brisés,
cette voix
prise
dans les
appareils rigides
des hommes,
cette voix
contrainte,
cette voix
matérielle,
cette voix
mastic,
enduit et
truelle,
voix à la
mastication lente,
cette voix
peuple,
peuplée de
cris,
de
crissements,
cette voix
futile
utile
à la transe,
cette voix
subtile,
cette voix
traversée des continents,
cette voix
pénètre dans les têtes,
les
consciences,
surgit des
moteurs,
à tous les étages,
dans les
sous-sols,
dans les
caves,
cette voix
enfle, cherche,
verse en ce
mensonge de pierre
le feu d’un
sexe fourvoyé,
cette voix
cherche
et l’esprit
blessé en elle
se lève, se
soulève,
cette voix
arrache
sans
distinction,
l’herbe
et la racine de l’herbe,
cette voix
foudre
cette voix
tourbe,
cette voix
couchée
dans les
grands chantiers,
cette voix
aveugle,
cette voix
se rue,
force le
passage,
cogne sur
les mâchoires du ciel,
se cogne
sous la voûte
aux
énigmatiques soudures,
réapprend
la vision de l’aigle.
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