dimanche 2 avril 2017

Vox irae - 2006








VOX IRAE



2006









VOX  I


La bouche parle,
pour dire et redire
que rien n’avance moins vite
qu’une pensée sans langage
qu’un mot déserté par l’esprit.

La bouche parle,
entonnoir usé,
la foule piétine,
saccage,
brûle en effigie les objets
dans lesquels elle croit reconnaître
les signes de sa perdition.
La bouche parle,
un lierre vivant,
un lierre pourpre
monte à l’assaut du monde.

Une lèpre invisible est en marche
et rien,
absolument rien ne frémit….





VOX  II



Dans la simplification du chant,
dans l’évidence du verbe,
sourd à toutes les migrations obscures
au prestige des couronnes sans règne.

Dans l’offrande de cette parole
habitée par la nécessité d’une marche
commencée au pied de ce sommet inspiré.

En ce drame du volcan
où se précipite une voix toute de colère,
voix légitime
née avec le silence accusateur des pierres.

Dans la simplification du chant,
dans l’orgueil bafoué de cet être
martelant sur l’enclume sa propre vérité,
échos d’anciennes sentences.

Dans l’accumulation des signes,
ce corps de refusé, de damné,
a accepté enfin sa délivrance :
Il a salué sa peau morte
comme l’aigle rend à la terre
son ombre dernière
soudainement empourprée.




VOX   III




La voix
de travers
traverse
la voie
verse
la voix
en pente
en douce voix
pente
pantelante
voix île
voix honnie
au nid
des cils
où oscille
au front
au frontispice
du temps
du temple
la voix pliée
fuite buccale
du cal
du calice
la voix étale
voix des étals
des étalements de graisses
et de nerfs
tout en poings
en poinçons,
en sons,
si serrés
la voix chance
chancelante
la voix haut perchée
sur branche
la voix blanche
comme marbre
au soleil
la voix trace
en travers
de la voix
la voix de travers
la voix traversée
solide
si solidifiée
en douce
déroute
en route vers
la douce voix blanche
la douce voix retroussée
trachée ouverte
perdre la voix
pour perdrix
voix volée
prendre la voie
des airs
perdre un désert
pour une voix libre
enfin libérée
voix haute de gorge
et de vallée
la rendre à la voix
double
dédoublée
emballée
dans la voix du sang
voix du centre
voix multipliée
voix tronc
et la voix
d’être ainsi tronquée
rit
la voix tronc
dit
blanche
et ne dit plus un  seul mot
ne dit plus lin
ou linceul
ne dit plus drap blanc
blanchi
mais dit
dynamitée
pour la voix c’est dit !
VOX   IV



C’est une voix
une voix seule
qui rentre
et ressort
sort et rebondit
et ceci
nous rend
nous scie
ceci nous rend
à la voix
si
facile
facilement à la proie
attachée au poids
insupportable
de notre propre poids
et sort
ressort
une voix
sans calcul
sans gorge ni luette
une voix seule
sûr d’être
celle qui
rentre et ressort
une fois même
toute sortie
ne pas garder
ne pas regarder
le fond
mais avancer
à pas
pas de ligne
pas de remords
pas de porte
seul
à avoir
à être
au plus fort de
mêlée
de la voix
qui se terre
se garde
et vous regarde
de cet air qui tord
torpille
sous ses airs
de débutante
juste après
voir ce qui se passe
après
la ligne
l’issue
juste après l’impasse
puis tout corps
sue
corps tendu
passe
comme blessure vive
et jouit
s’étend
se détend
se tend
apparemment
sous le vent
d’une ancienne douleur
vieille cicatrice
puis
dernier d’une race
dernier pendu
à son cou
marqué
noyé
trace
saignée faite
au bonheur
afin d’épurer
ce temps
plus fragile
plus prêt d’elle
tout au bord
elle
sans limite
de morsure
dernier refuge
de la rive
où voix
exténuée
voix de désir tué
dans chambre
d’hôtel
billet froissé
sur petite table
et petite carafe d’eau
pas de billet doux pour elle
mais froid comme la pluie
sec
un corps vieilli
gémit sur elle
en dernier ressort
un corps
de plis
sur
lit pliant
lit plan
plante carnivore
où l’homme dévoré
encore
s’étourdit d’elle
ceci ressort
du lit
ce cri aussi
sort
pourquoi à ce point
ressort-il
sans prévenir
ce cri
au bord
où une voix seule
entre
et sort
voix annoncée
voix de bagarre
poings crispés
corps dingues
qui
toute sueur accrochée
sous
le peuple des néons
valdinguent
corps pris
entre les griffes noires des eaux
et les franges noires
d’une nuit s’accouplant 
à d’autres signaux
sur la voix
voix lin
linge où voix seule
voix drap tendu
sur corps étendu
sur corps blanc
rangé
rongé
par
ceci
ce silence
repêché
ce corps
trop blanc
voyez ceci
ce silence
entendez cette ombre
elle glisse
glisse
glisse
entre chaises
et tables encombrées
entre décombres
et mémoires trouées
cérémonial du fleuve
qui recrache morts et mortes
quand ils ont rendu
l’intégralité de leur âme.







VOX  V




Nom de Dieu la voix !
Au nom de quel Dieu
par quel autre Dieu travaillée
cette voix de toute éternité,
de quelle autre terre surgis-tu
toute de fer et d’effroi ?

Nom de Dieu la voix !
Que cherches-tu en ces abîmes
où notre humanité errante
a depuis des siècles,
habilement dissimulé son crime ?

Nom de Dieu la voix !
De quelle cruauté te nourris-tu ?
Ce jour est-il déjà mort
qu’une voix seule suffit pour te saluer ?

Nom de Dieu la voix !
Que voudrais-tu ajouter à ce vacarme ?
A ce drame si mal joué
qu’il fait tomber un à un
les masques d’acteurs
rongés par la suffisance de leur verbe ?

Nom de Dieu la voix !
Quelle autre injure jeter à ta face ?
De quel ciel cette pluie
qui vient innocemment laver
la première marche de pierre
du jardin oublié des bons gisants ?

Nom de Dieu la voix !
Quelle tâche est donc la tienne ?
Quel verbe doit être désormais le nôtre ?
Alors que tout objet rituel a failli,
alors qu’aujourd’hui tout est rendu
à cette  rumeur première,
à ce désordre sans raison.

Nom de Dieu la voix !
En quel chantier,
sur quelle terre boueuse
s’abrasent les semelles de nos chaussures
et le cuir de nos gants ?

Nom de Dieu la voix !
Quelle masse assez lourde
cogne aussi durement sur la tige de fer
qui fait éclater le cœur de la pierre !
Sur quel chantier offrons-nous notre sueur ?
Quelle écriture se fige glacée,
roide,
noire mendiante,
au bord d’une blessure,
voix ouverte de la terre,
tranchée ou mille soleils basculent.

Nom de Dieu la voix !
Sur cette seule route
éclairée par notre commune destinée
où sifflent anonymes
des jets de pierres flamboyants.
Sur cette seule route
où l’angoisse, la peur, le moindre trouble,
dessinent dans le magma de la colère
des figures de dieux gourmands d’apocalypses.

Nom de Dieu la voix !
Quel noir complot circule
entre glyphes et parois de verre
où se perdent les origines du monde.

Nom de Dieu la voix !
Quels obscurs tréteaux ici sont dressés,
voici le festin où nous sommes tous invités
pour sacrifier l’esprit à la chair,
trancher avec de joyeux couteaux
notre part d’humanité !

Nom de Dieu la voix !
Se dire libre, délivré,
de tout élan, de toute colère,
libre de retourner cette terre
pour y planter ne serait-ce qu’un arbre.

Et c’est en ta compagnie la voix
que nos pieds foulent le grand charnier
d’une terre où survivront
nos cendres dispersées ! 

Nom de Dieu la voix !
Quel drame ici nous accueille et nous acclame !
Morts à nous-mêmes,
morts glorieux à ce monde,
notre folie est intacte
et toutes les eaux du ciel
ne pourraient étancher notre soif !

Nom de Dieu la voix !
Elle se meurt
et nous ne voulons l’entendre gémir.
Ce râle prolongé annonce le sillon accueillant
de cette veine secrète dans la terre entrouverte
qui accueillera notre corps trahi
par ses propres capitales.

Nom de Dieu la voix !
Que ces voix trompées retrouvent ici
leurs compagnons abandonnés
au seuil de tant de portes ouvertes !

Nom de Dieu la voix !
Ton intelligence est monstrueuse !
Nous te devinons aujourd’hui
nous découvrons ton œuvre !
De quel songe soudain devenu palpable
sommes-nous nés aujourd’hui ?
Qui regardons-nous ?
Qui fabriquons-nous en notre silence simulé ?
De quel bourreau armons-nous le bras non faillible ?

Nom de Dieu la voix !
Quelle autre voix
que celle-ci peut se précipiter
hors de ce corps perdu
où le nerf ainsi tendu
vibre encore
d’une saine et si joyeuse révolte ?

Nom de Dieu la voix !
Au nom de quel Dieu,
au nom de quelle voix,
peux-tu encore,
là, devant nous,
brandir des morceaux dignes
d’une grande boucherie de ville,
morceaux d’anciennes bravoures
ridiculisées par cet esprit
qui en nous continuellement s’agite
comme pour éloigner les moineaux
de si piètres récoltes !

Nom de Dieu la voix !
Nous sommes véritablement nus,
de nos mains
pendent nos peaux mortes
et scintillent au soleil naissant
les lourds reliefs de médailles rouge sang.

Nom de Dieu la voix !
De quelle défaite es-tu ?
Sur quel coteau désormais paisible
peux-tu accueillir
cette lumière en pluie ?
Dernière preuve d’une vie encore rugissante
derrière la grille pâle
d’un ciel tout en blessures ?

Nom de Dieu la voix !
Quel Dieu immense trahir
pour que cesse de circuler
en les veines d’un corps maltraité
la joie toute bouillonnante de l’espérance
toujours massacrée et toujours renaissante !






VOX  VI



 « Où étais-tu ? » c’était le cri de Job sur son fumier,
 « Où étais-tu ? » c’est le cri de tout homme se vivant condamné
Où étais-tu la voix,
quand cloué à l’instrument de torture
je voulais fendre le ciel
pour échapper à ce cri qui me lacérait le corps ?

Où étais-tu la voix,
quand je me traînais pis qu’un animal
en implorant la grâce impossible
qui n’appartient ni au ciel ni à la terre ?

Où étais-tu la voix,
quand je me lamentais
sur la misère des miens
et que j’aboyais
sous les lunes mourantes des villes ?

Où étais-tu la voix,
quand j’attendais un monde
et que pour toute réponse
tu m’offrais un chaos de signes ?

Où étais-tu la voix,
dans quel corps m’attendais-tu
corps fusillé bien avant que l’ordre soit donné,
corps inhumé bien avant
que tinte le fer de la pelle sur le gravier ?

Où étais-tu la voix,
quand je brandissais la seule arme de ma colère
à la vue d’un village pleurant ses enfants morts ?
Où étais-tu la voix quand un tel crime
est plus redoutable que le jugement dernier ?

Où étais-tu la voix,
dans quel faux calice se déversait ton souffle,
quel pacte s’écrivait au-dessus de nos têtes
nous poussait vers l’acte fou de nous crever les yeux
pour échapper à l’intolérable vision ?

Où étais-tu la voix,
quel membre à ton service travaillait à ma perte,
prophétisant des temps d’illusions et de baumes
et dessinait le signe d’une fourche
sur le front de l’endormi ?








VOX VII


Voix du sang
du centre
en plongée dans son centre
voix du fusil
du fusillé
du fut taillé
entaillé
voix de chêne
voix de l’érable
voix du cyprès
voix du cèdre et du sycomore
 voix du figuier et de l’okoumé
voix des brousses
 des broussailles
voix des garrigues et des hautes futaies
voix des baies et des braises
toutes voix des esprits
toutes voix triomphantes
sorties du versant de la terre
toutes voix adolescentes
fourchues
 noueuses
toutes voix cathédrales
aux piliers d’écorce brûlée
toutes voix dehors
toutes voix de plein vent
voix tavernes
voix tabernacles
voix d’un culte
voix d’une insulte
voix de glottes et de grottes
voix végétale
végétative
voix feuille
voix feuillue
voix nue
nuée
voix qui végète
végétale
voix de lice
de lisière
voix arborée
arborescente
voix de ré
de récif
voix de fer et de verre
voix des cimes et des troncs
des tronçons de voies
voix des bosquets
 des brins
des brindilles
voix en brassées
embarrassées
en ramées
voix cousues
élimées
voix d’arbre
voix d’axe
voix de turbine
de piston
de fusion
voix en fumées
voix poisons
voix à gros bouillons
voix de miss
voix de missile
voix balle
voix cible
voix qui tend son sexe
comme une main
voix d’un seul suc
d’un seul succube
voix scie
voix silex
voix engorgée
voix rive et voix rouge
voix éclair
éclaircie
voix cisailles
d’enclumes
et de couteaux
voix en filets
enfilées
voix d’écume
d’écumoires
voix passées au crible
voix sentence horrible
voix signe
voix distance
distanciée
voix qui porte
comme posée
 dans l’escalier
voix journal déplié
voix nouvelle
voix sève
voix des sévices
voix du gardien
voix vis
et tourne
la vis avec
et à genoux
qui se signe là ?
Qui touche la voix
du bout des lèvres
comme on touche l’intime
comme on touche l’autre
cette autre voix
 invitant à poursuivre
cette voix de dent
édentée
cette voix de dentelle
 voix enroulée autour du fil
du filet de la voix
qui coule
égarée
en voix de fond
voix fongicide
fondue
voix enchaînée
à la voix vive
voix fracture
voix fracturée
voix d’une lutte
voix d’un lutteur
voix violente
voix des peaux brûlantes
voix des paupières
cousues
pour être autre chose
toute autre chose
qu’une voix.

                                                                                                               
VOX  VIII



C’est la voix mue,
multipliée,
un voile discret sur la voix des morts,
paisibles, silencieux,
comme le veut la mort.

C’est la voix mue,
multipliée,
une voix si solide, si imperceptible,
une voix guide,
une voix repère,
inattendue.

C’est une voix disciple,
disciplinée
jusqu'à l’attache
l’attachement des choses
reliées aux signes,
qui font que  ces choses justement,
qui font que ces choses précisément,
sont des voix
des voix que l’on ne veut pas entendre
car trop présentes et trop fortes dans leur sens
bien qu’insignifiantes dans leur forme.

C’est une voix qui coule, souterraine
et qui déforme le monde.

C’est une voix qui dicte sa conscience aux pierres,
qui annonce sans fatigue un autre temps
où l’acte lavé de toute prière
brille au firmament d’êtres fiers.


C’est la voix mue,
multipliée,
c’est la voix de plomb,
plongée
en ce monde,
lit
liquide,
ce monde d’un corps trahi,
corps d’une flamme sous la voûte,
envoûtée.

C’est la voix mue,
la voix musique,
musicale,
sous des doigts ouvriers.

C’est la voix mue,
multipliée
dans le chaos de présences invitées.

C’est la voix mue,
la voix  de sang
qui coule dans le réseau des veines,
la voix certaine,
la voix qui ne peut
sans se revêtir des peaux les plus voyantes
sans se sentir voix libre,
voix délit,
délivrée,
nue et lisible,
comme livre ouvert en feu à nos pieds.

C’est la voix mue,
multipliée,
la voix trouble,
troublée,
voix des tréteaux et des planches calcinées,
voix au-dessus,
comme voix dé,
dépecée,
voix pendante tenue au rouge crochet,
voix déchirée,
incendiée,
piétinée,
éventrée.

C’est la voix mue,
multipliée,
la voix des chemins de tourbe
et des routes de gravier,
la voix d’un bol de vin rouge pris au matin
avant le chemin du chantier,
la voix bégaie,
bégayante,
aux abois,
aux aboiements
des chiens de ferme
veillant sur d’anciennes tranchées.

C’est la voix mue,
multipliée,
tout au long de ces sentiers où se courbe l’arbre,
où se remplissent sans bruit les fossés.

C’est la voix mue,
multipliée,
la voix tissée d’impudences,
d’imprudences,
la voix endeuillée
par de soudaines absences,
la voix lame de fond ébréchée,
la voix éméchée,
voix métal,
voix bancale,
voix d’usine puant l’urine,
toute suintante de peurs et de cris rentrés,
en flottaison,
en voix ligne,
linéaire,
voix des cheminées
qui côtoient la voix des oiseaux.

C’est la voix mue,
multipliée,
la voix élégie,
une voix de bannières en vrac,
sacs de crânes troués !
Une voix jetée au sol,
une voix martelée !
Cognée !
une voix de bêche plongeante
entre deux artères d’argile.

C’est une voix mue,
multipliée,
une voix de pierre plantée,
une voix laboratoire,
une voix laborieuse dans l’éther,
dans l’éternité de sa colère,
une voix volée,
une voix de haute volée
de bois verts,
une voix de nacre,
de sacre,
de simulacre,
une voix de sang,
une voix sentencieuse,
pleine de cet orgueil blessé,
de cette vérité saignante
comme un quartier de chair
que l’on aurait jeté dans votre assiette
pour insulter toute vie et toute beauté !

C’est une voix mue,
une voix multipliée,
à l’heure des frontières obstruées,
à l’heure des territoires protégés,
des charniers à cœur ouvert,
des colonnes noires d’où s’échappent 
des fronts écorchés marqués du seul  signe.

C'est la voix mue, la voix muette,
muette empreinte
scellée dans l’ombre cimentée des portes,
c’est la voix prompte à vomir la bombe,
c’est la voix d’une seule faille,
du sang impalpable,
calendrier oublié sur la cendre coupable.

C’est la voix d’une langue étranglée,
d’une logique de sombres rouages,
une voix empalée sur rotatives,
sur rouleaux de cuivre et plaques de métal,
c’est une voix seule
sur sa hauteur qui parle,
une voix de sang
une voix de veine battante
aux tempes !



VOX  IX




Si la voix n’était pas la voix
mais un mensonge sublime
capable tel un feu
qu’un seul souffle anime
de nous faire entendre
sous la rude peau de la terre
le tumulte d’un autre fleuve
veillant au rayonnement de nos artères.

Si la voix n’était pas la voix
mais une salve énigmatique
lancée par une bouche de fer
qui, visant le ciel,
atteignait le cœur de la terre.

Si la voix n’était pas la voix
mais un chant rythmant une marche
commencée dans le silence
et se poursuivant loin des bruits insignifiants
d’une race perdue
dans les clameurs des chantiers.

Si la voix n’était pas la voix
mais le fracas de ses machines
qui nuit et jour creusent des fosses,
enfoncent des piliers,
font se dresser colonnes
où croupissent
colonies d’âmes désunies
retranchées derrière leurs yeux de verre,
immenses parois où se blesse la lumière.


Si la voix n’était pas la voix
mais une pierre
qui obstrue la bouche de l’oppresseur,
un poème qui fait chanter à tue-tête l’opprimé.

Si la voix n’était pas la voix
mais ce que l’on ne peut ni écrire,
ni traduire,
une présence
nous conduisant à nos premières demeures,
nous éloignant des ruines
qui trop  longtemps abritèrent notre seule science.

Si la voix n’était pas la voix
mais ce mensonge sublime
capable de faire renaître en nous
cet oiseau de feu qui défie les abîmes.







VOX  X



On ne peut qu’offrir cette voix,
de ce côté-ci de la paroi,
se glisser dans la fissure
où viennent se bercer d’éternité
des songes dignes d’autres nourritures.


On ne peut qu’offrir cette voix
à qui sait la recevoir,
se hisser à hauteur d’arbre
puis laisser la sève
monter en nos membres,
abandonner nos pieds
à la volonté des racines,
respirer comme une forêt entière
livrée à sa séculaire sauvagerie.
VOX  XI



Voix à bout de souffle,
tout au bout du souffle,
là n’est pas la faim,
là n’est pas la soif,
quand débarrassés de ce poids
de cette peau
immense calvaire,
nous nous tournons vers l’ombre naissante
là où tant d’yeux ont forgé
dans l’alliance des corps premiers
leurs visions respectables du silence.

En cette voix fabuleuse,
fabulatrice,
sortie de l’antre,
cette voix d’oracle réinventé,
voix mugissante
comme un taureau dans l’arène
devant la foule tremblante
non pour l’homme
mais pour son propre salut.
Voix à bout de souffle
hors ce combat,
hors cette méprise,
cette voix prise
et dans la transe et dans la terre,
cette voix éprise
d’un chant
aux prophétiques accords.
Que lui avons-nous donné à cette voix
autre que notre colère stupide
que nos gémissements de vieillards
en route pour l’abattoir des âmes ?

Que lui avons nous véritablement
donné à cette voix ?
Cette voix se traînant misérable,
conspuée par la multitude égarée,
voix d’un verbe nu, fustigé, sceptre brisé,
entre science et conscience,
voix insoutenable,
voix de la vigne ravagée
par des vents apportant la mort
en leurs lances ouvragées.







VOX  XII


On ne peut qu’acclamer cette voix
sortie du pur métal
cette voix irremplaçable
entre porte
et
table
où repose l’autre voix du silence
pichet au bec brisé
à la faïence sale,
objet posé
devant son reflet,
en attente d’une main
qui par pure humanité
en effacera l’ombre.




VOX  XIII


Se soustraire à cette voix mobile de l’homme,
mobilier du silence,
mobile être
qui, dans une nuit rectangulaire,
dévore
un à un
les angles involontaires
du mystère
de son  foyer éteint.



VOX  XIV



Que de chuchotements que de clameurs !
Nous ne pouvons plus célébrer le doute,
cette voix est celle de l’être
retrouvant sur la stèle blanche
son nom miraculeusement gravé.

Que de chuchotements, que de clameurs !
Au pied de ce volcan
où Empédocle confondit son destin
avec celui de Dieux inventés.

Là où dans les vapeurs lointaines
s’installait l’oracle,
divertissement des puissants,
là où l’être surpris en son sommeil
par les nuées ardentes
devenait statue de cendres et de poussières
exposant ainsi sa souffrance figée
en une sculpture d’une étonnante modernité !







VOX  XV




Passant, va dire à la grande ville
où nous sommes morts plusieurs fois,
où mille fois nous avons failli,
où mille fois nous nous sommes relevés
sous les rires et les crachats.

Passant, va dire à la grande ville
où nous sommes morts plusieurs fois
que nous vivons aujourd’hui apaisés
après tant de vaines colères, loin de ses lois.
Passant, apporte à la grande ville
les derniers souffles de nos voix
et conte-lui à ta manière
notre périple d’affamés de lumière.








VOX  XVI



Était-ce cette voix,
était-ce cette parole,
bousculant l’apparence du monde
et portant nos os au-dessus des eaux.

Était-ce cette voix
prise dans la fonte des glaciers,
cette voix née dans une vallée
empoisonnée par l’ombre et le doute.

Était-ce cette voix
voix désaccordée, blessée,
toute d’orgueil et de chair,
lourd rocher défiant l’éclair.
Était-ce cette même voix
née aux confins d’une conscience
qui a forgé sa colère
sur la pierre noircie du temple ?







VOX  XVII




Elle est ici cette voix
qui côtoie notre humanité incertaine,
elle est ici cette voix
entre le sommet et la plaine,
entre ce corps et ces os,
entre la plaie et la fourche,
entre l’écorce et la sève.
Elle s’élance,
vibre
et tombe
puis revient à cette pointe acérée du verbe,
empreinte d’une main
prête à saisir un jour nouveau.

En ce chaos si vaste
surprise en sa millième naissance,
cette voix tremble
à la surface des choses qui semblent
depuis si longtemps dormir.
Elle est ici cette voix,
elle épuise notre ciel,
retourne dans la cendre
se redécouvre joyeuse, rebelle,
en secret accord
avec les sources souterraines,
elle est ici cette voix,
elle a fait croître la puissance de son verbe
sur une terre riche en cadavres,
elle a apprivoisé ce souffle, respiration circulaire,
et l’inhumaine parole
a alors assisté à la faillite de son règne.









VOX  XVIII




Elle était là cette voix
prise dans l’étau d’une conscience artisanale,
là où la gouge scarificatrice
libérait un orage de copeaux.
Elle était là cette voix,
sur cet établi aux mille fissures,
aux mille veines,
où les corps guerriers des outils
ajoutaient à chaque charge
la noblesse savante des rides.

Elle était là cette voix
dans la lame affûtée du rabot
s’échauffant en son assaut têtu
contre les crêtes rebelles.

Nous étions nus désormais
en ce premier atelier du monde.











VOX  XIX



Elle était cette voix
souple,
inventive,
attentive
en ses moindres accents fiévreux.

Elle était cette voix
la plus discrète des évidences,
elle était cette voix trop impatiente,
jusque dans sa colère,
un corps qui se dresse,
un visage sans tendresse,
un regard tout empli de sombres cortèges,
la terrifiante beauté artificielle
étendue en son lit froid de pixels noirs.






VOX  XX




Une nouvelle tribu
campait au seuil du désert,
dénombrant des étoiles
soupçonnées mortes.

Voix,
compagne de pèlerins perdus,
demeure sans fenêtres ni portes,
cheminée sans âtre.


Voix,
oiseau au glorieux message,
terre où l’olivier tordu
offre au plus démuni son ombre généreuse.


Voix,
source dérobée au visible,
écriture découvrant sous chaque signe
la silhouette familière.


















VOX  XXI


Elle était avec nous
cette voix
toujours présente,
toujours accompagnant
notre triste humanité comme un songe obscur
s’effondrant à l’approche de l’aube.

Elle était avec nous cette voix,
elle portait les fruits de notre légende,
elle était avec nous cette voix
et nos frères sauvages
ne pouvaient plus nier ses origines.

Elle était avec nous cette voix
depuis la naissance de l’humanité,
elle poursuivait à travers nous
son rêve de feu
dont la mort est inscrite nulle part.





VOX  XXII




Nous sommes la terre
cette terre est notre vertige,
nous sommes une voix,
cette voix est une plante,
nous en sommes la tige.


Un verbe respire
sur nos tempes,
une ombre efface
l’ombre ocrée du temple.


Nous sommes la terre,
cette voix est la terre,
cette  terre où circulent nos voix
ne peut être aussi pauvre,
aussi  insignifiante,
nous sommes la terre,
nous sommes la terre,
et notre voix est forêt,
et notre voix est entière.





VOX  XXIII



Des voix anciennes se sont élevées
nous n’avons jamais voulu les entendre,
des voix dans le quatrième monde
des voix devant lesquelles
nous sommes restés incrédules,
inertes,
semblables à nos demeures
verrouillées de l’intérieur.
Tout parle,
même les pierres parlent,
nous vivants,
refusons de dialoguer avec le vivant.
Tout parle,
même les pierres parlent,
la forêt parle,
le fleuve parle,
l’océan parle.
Seules nos villes
rongées par le bruit
restent effroyablement muettes.






VOX  XXIV



Qui peut encore l’atteindre ?

Qui peut en dessiner l’exquise figure ?
Découvrir sa force intacte
de volupté et de rêve ?

Qui peut désormais décrire tout cela
alors qu’une voix seule
use son souffle
dans l’éternité de sa colère ?





VOX  XXV



Sur quel territoire soudain révélé,
sans récoltes et sans fruits
prospèrent les pilleurs de tombes,
les mêmes voleurs d’ombres ?
Sur quel territoire
grandit ce songe prophétisant
la voilure noire
de l’intime blessure ?

Quelle voix ici, nous interroge et nous assiège ?

Quelle voix ici,
nous livre
à la grandeur d’un drame
qui nous voue tous de si bonne heure
au jeu perfide des masques ?






VOX  XXVI



De cette voix
je me suis vêtu,
elle fut mon ouvrière,
ma source nourricière.

De cette voix je me suis imprégné.

De cette voix je suis né.

De cette voix je me suis inventé un pays
où pouvait fleurir ma démence,
une terre où mon poème
pouvait demander asile.

Après des siècles d’errance
cette voix
retrouvait ce corps qui ne m’appartenait pas,
pour tout naturellement revivre.





















VOX  XXVII






Laisser à la voix
sa mécanique triomphale,
sa symphonie orphique,
ses conduites où circulent
poésies froides ou chaudes
pour bétails de bouches et d’oreilles
nourris au verbe vénal.

Laisser à la voix
son socle d’airain 
ou de métal,
sa sombre patrie d’os et de peaux
perdue dans la ferraille.

Laisser à la voix
son souffle abîmé
par les fumées d’usines,
échos triés,
lessivés,
sacrifiés
sur ces parvis d’acier
temples pour victimes résignées.
Laisser à la voix
son mensonge industriel,
copie de voix gravée
pauvre sursaut d’orgueil d’un être
voulant sans cesse se mesurer à l’éternité.









VOX  XXVIII





O  cette voix qui se lève
gardienne d’un seul souffle,
cette voix souple et chaude
fragment d’un décor magnifié.

O cette voix vitrail,
cette voix traversée
par la somme fraternelle des songes,
cette voix délivrée
dans la mémoire confuse des hommes,
cette voix n’est plus entaille,
ni plaie profonde,
cette voix est vallée,
terre où la beauté a déposé ce corps
par où tant d’âmes sont passées.





VOX  XXIX





Je me traînais à tes pieds la voix,
le ciel même m’était devenu étranger.

Un regard aiguisé comme un couteau
plongeait dans le ciel.

Une peau tombait,
souvenir d’écorce.


Vous voilà surpris,
pris en un rêve illisible,
cheminement,
passage
d’une ombre à une autre.


Plus bas,
une pierre finissait sa course
avec un cri d’animal blessé.







VOX  XXX



Cette voix dont vous entendez tous les accents,
toutes les intonations, les faiblesses et les forces,
cette voix qui sort des mêmes appareils
répond à la même urgence organique.

Cette voix tonitruante,
se déverse en nos villes
pour vanter les tristes pouvoirs de l’objet.

Cette voix chasse le silence
comme s’il était une menace.

Cette voix goule
braille sur les trottoirs,
s’enroule autour des êtres,
entre dans leurs têtes,
en aspire sans bruit la dernière pensée.

Cette voix
glisse par tous les conduits,
s’introduit par tous les offices,
nouvelles messes
autour de la corolle du saint calice,
nouvelle parabole sacrée,
grand récepteur d’onde,
cyber-sonde d’un Dieu d’Apocalypse.

Cette voix mécanique, ronflante,
diluée en des songes de soufre et d’acier,
cette voix au seuil d’usines
aux grilles fermées,
cette voix des ouvrières au front lassé,
aux espoirs crevés,
cette voix des jeunes chefs
aux épaules déjà voûtées,
cette voix des battants futurs battus
sur un marché où tous seront vendus,
cette voix des nouveaux riches
mus par la peur aux mille visages mutilés,
cette voix effrayée
devant la colère des nouveaux pauvres,
cette voix éternelle des empires défaillants
qui lancent leurs missiles
comme ces enfants
qui brisent par dépit
les jouets convoités. 




VOX  XXXI


Cette voix n’est pas ma voix,
elle n’est pas vôtre non plus,
cette voix cherche en sa demeure
là où elle peut placer
dans la bouche du récitant
ce galet usé par le sens du mot.

Cette voix n’est pas ma voix,
elle n’est pas vôtre non plus,
chaque souffle est un aveu,
chaque vibration tente de l’apprivoiser.

Cette voix vient du commencement,
du grand continent de l’âme,
cette voix s’est débarrassée
et du leurre de la chair
et de la poussière des os.

Cette voix porte l’hiver de la parole
se révèle dans toutes ses hésitations :
frissonnement impalpable
qui inlassablement, parcourt les grands fleuves gelés.










VOX  XXXII



Rien que cette voix
pour nous dire d’être,
pour nous dire de continuer à être,
pour dire de ne pas être
cet être si attaché aux choses,
cet être perdu
dans le miroitement des choses.

Rien que nous et ce fleuve,
et nos mains, et nos bras,
rien que cette chair en alerte
au-dessus de nos yeux
bien au-dessus de notre tête.

Rien que cette formidable présence
dans un chantier
où l’ombre se déleste de tout mot,
rien que cette bouche vidée de tout sens
et cette voix si faible pour en traduire le vide.

Rien que le fer rouillé de la voix,
voix forgée
par l’indicible,
par l’indivisible,
voix émail,
émaillée de rires,
une voix couchée
et à son flanc
la même blessure toujours aussi vive.

Rien que ce même sang
trouble, troublé par la colère,
rejoignant la source
sous la colline,
rien qu’un seul remords sans lèvres
dit du bout des deux rives ou des deux mondes,
rien qu’une larme d’un seul
pour rejoindre la poussière, linceul de plusieurs.

Rien que cette voix
pour dire tout ce qui ne peut être jamais dit
sans l’aide de l’écriture,
rien qu’une lampe, torche puissante,
découpant en fibres lumineuses
un fragment de souvenir taillé
dans le lourd bloc de la nuit.

Rien que cette voix pour dire
avec ce verbe attentif à nos désordres intérieurs,
l’universalité des choses qui encombrent
et notre corps et notre mémoire.

Rien que cette voix et au-delà de cette voix
toutes celles qui sont tombées foudroyées
pour avoir voulu boire à la source
le sang inviolé des étoiles.


Rien que cette voix terrible,
terriblement maladroite
qui attire le surgissement des failles,
l’inaltérable démence des corps
plongés dans la nuit liquide
d’un  océan de basalte et de feu.

Rien que cette voix,
et son souffle abîme,
abîmé,
logé dans le cœur
du plus insensible des êtres.

Rien que cette voix,
ce souffle,
vibration d’une espérance absolue
plongée dans l’amer,
l’amertume des jours.

Rien que cette voix
et ce dit, cette discipline
sous le joug de laquelle
le corps se lève
à heure précise,
précisément régulière,
s’en allant travailler
sans relâche
à sa mort intime.

Rien que cette voix
puissante, désordonnée,
sauvage,
voix ignorante
où chaque signe est un fanal,
où chaque signe
est comme un signal.

Rien que cette voix
plantée là,
au milieu d’un monde qui avale toute lumière,
un monde décor,
un monde de corps,
ombres soumises
qui se prêtent toutes
aux rituels d’un carnaval inouï.

Rien que cette voix
pétrie,
pétrifiée,
dans le frêle univers
d’êtres
fermés à tout vent.

Ces êtres affolés,
qui en leur course obstinée,
ne peuvent voir le fil tendu entre eux,
ce fil qui les relie à l’autre sphère,
celle hors d’atteinte de la cohue des corps.
Rien que cette voix
offrant à la surface trompeuse des choses
le reflet d’un visage singulier,
singulièrement remodelé dans la cire du temps,
accompagné par la marche inflexible des Moires.






VOX  XXXIII


Cette voix au travail,
tout en efforts,
en muscles,
en os tordus sous la chair,
cette voix exsudée,
cette voix rendue à l’eau
à l’élément premier,
cette voix remontant à la surface,
cette voix tout en  veines,
en fond,
en fondrières,
cette voix tout en chaînes,
en gouffres, en ravines,
cette voix ravie
tout en appels,
en effloraisons,
en scalpels,
cette voix tout en messes
noires et blanches,
cette voix tout en édifices,
en fouilles, en fosses,
cette voix de feuille et d’arbre,
cette voix vague puissante,
cette voix tout en écluses,
en ruses,
cette voix qui s’use,
cette voix intruse,
cette voix qui fuse,
voix des machines,
cette voix urne,
diurne  et une,
cette voix rude,
cette voix en plongée,
cette voix aux yeux bordés de fièvres,
cette voix nubile, habile,
cette voix apportant la mort sur la grève,
cette voix de sang et de bile,
cette voix des chenils, des îles,
des villes accouplées
à leur chaos de ferrailles,
cette voix qui se raille,
déraille,
cette voix
rail explosé,
cette voix de la calme frontière
du sommeil dépassé,
cette voix pied tranché,
cette voix de foire aux deux pôles,
cette voix penchée
sur la chair blanche
d’un  horizon démembré,
cette voix du nombre,
du démantèlement,
cette voix des vocalises perdues
corde après corde,
dans le réseau des conduites,
cette voix prise en tenailles,
cette voix terne, maniaque,
cette voix d’orateur
expert du verbe et du crime,
cette voix qui fourmille,
et verse des acides
sur les bases
d’une humanité désemparée,
cette voix parée,
belle comme un sac,
cette voix des gibets,
des gibecières, des grilles
et des jardins suspendus,
cette voix d’Orient,
cette voix désorientée,
cette voix d’occident,
cette voix oxydée,
cette voix des parfums,
des effluves des ports,
cette voix grimpante
le long de la gorge vibrante,
cette voix marée montante,
pleine de vie,
pleine de ces choses vivantes,
organisées, organiques,
voix des chants, des solstices,
voix sollicitée par les aubes drues,
voix racine, pétale,
cette voix parabole,
parasol atomique,
cette voix des quarts,
des quartiers de viande,
cette voix des brouillards,
cette voix débrouillarde,
parfois hagarde,
cette voix  mise en garde,
cette voix des couloirs
et de leurs  condamnés à vivre,
cette voix bélier,
pilier des cénacles, des sacres,
cette voix des mises à sac,
cette voix qui abomine,
cette voix mine,
cette voix puits,
puise
dans la voix
empoisonnée,
cette voix épuisée
verticale,
cette voix couture,
couturée
coulure,
encre,
entre orage pourpre
et éclair,
cette voix râle,
cette voix jouissive,
cette voix écorce et fleuve,
cette voix bannie,
cette voix nid,
futur cortège en route
vers de froides demeures,
cette voix monument d’airain,
cette voix tout en reins,
voix de dos ployés, brisés,
cette voix prise
dans les appareils rigides
des hommes,
cette voix contrainte,
cette voix matérielle,
cette voix mastic,
enduit et truelle,
voix à la mastication lente,
cette voix peuple,
peuplée de cris,
de crissements,
cette voix futile
utile à  la transe,
cette voix subtile,
cette voix traversée des continents,
cette voix pénètre dans les têtes,
les consciences,
surgit des moteurs,
à tous les étages,                                                              
dans les sous-sols,
dans les caves,
cette voix enfle, cherche,
verse en ce mensonge de pierre
le feu d’un sexe fourvoyé,
cette voix cherche
et l’esprit blessé en elle
se lève, se soulève,
cette voix arrache
sans distinction,
l’herbe  et la racine de l’herbe,
cette voix foudre
cette voix tourbe,
cette voix couchée
dans les grands chantiers,
cette voix aveugle,
cette voix se rue,
force le passage,
cogne sur les mâchoires du ciel,
se cogne sous la voûte
aux énigmatiques soudures,
réapprend  la vision de l’aigle.















































































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