SUEURS MONDE
Chant
2006
En mémoire de Iqbal MASIH
1983-1995
À
quatre ans, Iqbal rejoint une de ces fabriques de tapis qui exploitent déjà
huit millions de gosses. À dix ans l'enfant esclave a déjà une tête de
vieillard et les mains ravagées d'avoir noué douze heures par jour et pendant 6
ans de précieux tapis revendus à prix d'or en Occident. Un jour de 1993, son
calvaire prend fin grâce à Eshan Khan, président de la ligue contre le travail
des enfants (BLLF). Son libérateur l'arrache de son métier à tisser pour lui
redonner le goût de vivre et la rage de se battre. Iqbal devient alors le
symbole de cette jeunesse martyrisée. Il parcourt son pays et le reste du monde
afin d'alerter l'opinion internationale. En janvier 1995, il participe à une
Convention contre l'esclavage des enfants à Lahore. Il se rend en Suède et aux
États unis, où il reçoit un prix de la firme américaine Reebok . Son périple
prend fin le 16 avril 1995. Il meurt assassiné sur son vélo, le corps criblé de
plomb gisant sur la lande de Chapa Kana Mill, près de Lahore (Pakistan). Il
avait reçu des menaces de la "mafia de l'industrie du tapis" comme
l'affirmait Eshan Kahn. La police pakistanaise écrira dans son rapport :
"l'assassinat résulte d'une dispute entre un paysan et Iqbal".
Histoire sordide d'un porte-parole qui devenait gênant. Les pistes de ce
meurtre sont brouillées alors que la Commission des droits de l'homme du
Pakistan a "adopté" la version de la police. Permettra-t-on que le
combat d'Iqbal ait été vain ?
Chant I
Ici les corps se
questionnent,
roulent et
croulent,
ici en un aveu,
là en une parole
non dite,
un frisson,
un vœu.
un vœu.
Ici les corps
en une même sueur
se prennent,
s’abandonnent,
s’abandonnent,
quelquefois
semblables à des blocs de pierre
taillés à même la
montagne,
taillés à même la
muette douleur.
Ici les corps se
questionnent
sous leurs peaux
dégrafées
s’étonnent d’être,
sous des soleils
cibles,
aussi fragiles,
aussi pitoyables.
Les corps écoutent
leurs pulsations terribles,
leurs pulsations terribles,
leurs souffles
bruyants
s’échappant de la prison de leur poitrine,
s’échappant de la prison de leur poitrine,
et ils lancent
leurs poings,
et ils lancent
leurs bras,
comme pour
étreindre ce monde
dont ils n’auront
rien.
Ici les corps se questionnent,
Ici les corps se questionnent,
ajoutent au vide
de la nuit
leurs sueurs
presque coupables,
leurs peurs
impalpables du jour.
Ici les corps se
questionnent
et de ces
questionnements
naissent des dieux
sans pardon,
des légions de feux,
des nuées de fer.
Ici les corps sans
relâche se questionnent…
Chant II
Quel est cet
oiseau
qui emplit notre bouche d’amertume
et notre cervelle de brume,
qui ouvre des saignées
dans l’incohérence de nos paroles ?
qui emplit notre bouche d’amertume
et notre cervelle de brume,
qui ouvre des saignées
dans l’incohérence de nos paroles ?
Qui en ce fleuve de sang en crue
livre ce savoir éparpillé
aux ronces folles
qui déchirèrent notre peau ?
Peau qui dissimulait si bien jusqu’alors
ce miracle de vivre.
Suées
sur fragments
de peaux sensibles,
sur fragments
de disques rayés,
sur fragments
de peaux sensibles,
sur fragments
de disques rayés,
sur fragments
de peaux acides.
Nos draps resteront linges de famille,
rien n’aura plus de poids,
rien n’aura plus de plis,
nos bagages ne s’envoleront pas,
nos mains resteront clouées aux portes.
Nos mains ne reconnaîtront plus les cercles,
nos pieds seront insensibles aux angles saillants
des cailloux de la route,
nos têtes continueront à larguer leurs bombes pensantes
sur les paysages désolés d’une raison
où tous sans outils creusent sans relâche l’abîme.
de peaux acides.
Nos draps resteront linges de famille,
rien n’aura plus de poids,
rien n’aura plus de plis,
nos bagages ne s’envoleront pas,
nos mains resteront clouées aux portes.
Nos mains ne reconnaîtront plus les cercles,
nos pieds seront insensibles aux angles saillants
des cailloux de la route,
nos têtes continueront à larguer leurs bombes pensantes
sur les paysages désolés d’une raison
où tous sans outils creusent sans relâche l’abîme.
Et nos têtes,
nos chères têtes,
recommenceront à suer,
à suinter !
à perdre cette intelligence durement acquise !
Intelligence faite de briques et de socs,
intelligence de sable et de terre,
nos têtes si ignorantes de l’heure et de l’erreur
se féliciteront de leurs savoirs,
de leurs découvertes,
se féliciteront de leurs mondes morts
sous la clarté d’une lampe unique,
alors que nos corps lentement
furieusement occupés
à dénombrer les nuées d’anges morts
désespérément,
nos chères têtes,
recommenceront à suer,
à suinter !
à perdre cette intelligence durement acquise !
Intelligence faite de briques et de socs,
intelligence de sable et de terre,
nos têtes si ignorantes de l’heure et de l’erreur
se féliciteront de leurs savoirs,
de leurs découvertes,
se féliciteront de leurs mondes morts
sous la clarté d’une lampe unique,
alors que nos corps lentement
furieusement occupés
à dénombrer les nuées d’anges morts
désespérément,
lamentablement,
s’accrocheront à de pâles figures
hâtivement ressuscitées.
s’accrocheront à de pâles figures
hâtivement ressuscitées.
Chant III
Des fleuves
soudain
jaillirent,
jaillirent,
d’étranges fleurs
calices
en attente de pluies
s’ouvrirent,
une soif inexplicable
en attente de pluies
s’ouvrirent,
une soif inexplicable
assaillit nos
lèvres.
Une nuée de corps
Une nuée de corps
exécuta une danse
rapide.
De lointains tambours martelèrent le ciel.
De lointains tambours martelèrent le ciel.
Les pieds
foulèrent
la terre
humide.
Le jardin
s’éveilla lentement
sous la sueur du
ciel.
Chant IV
Nous ne sommes pas
des anges
encore moins des hommes,
notre sueur avons portée,
cette sueur porte si loin
même le lointain nous porte
plus sûrement encore
qu’une simple porte
battante à nos lèvres trempées.
encore moins des hommes,
notre sueur avons portée,
cette sueur porte si loin
même le lointain nous porte
plus sûrement encore
qu’une simple porte
battante à nos lèvres trempées.
Nous ne sommes pas
des anges
encore moins des hommes.
Dans le cercle têtu de nos peaux
nos sueurs apprenties,
encore moins des hommes.
Dans le cercle têtu de nos peaux
nos sueurs apprenties,
nos sueurs en
apprentissage,
nos voix de faux sages, de faux serfs,
en ces villes, toutes sueurs dehors,
où tous serviles, soumis à cette grande circulation,
voix de gare, de garage, rage rentrée,
ville méthane, ville étale,
étalée sur toutes les sueurs possibles,
toutes gardiennes sur les rails de nos soupirs
nos voix de faux sages, de faux serfs,
en ces villes, toutes sueurs dehors,
où tous serviles, soumis à cette grande circulation,
voix de gare, de garage, rage rentrée,
ville méthane, ville étale,
étalée sur toutes les sueurs possibles,
toutes gardiennes sur les rails de nos soupirs
ces soupirs qui
déraillent.
Sueur de nerfs et d’os, sueurs pillées,
Sueur de nerfs et d’os, sueurs pillées,
grimées, empilées,
sueurs triées sur volets clos,
derrière ligne de
poteaux,
pans entiers de murs où panneaux publicitaires
pans entiers de murs où panneaux publicitaires
vantent les
marques sur la chair,
la cruelle efficacité du fouet sifflant.
la cruelle efficacité du fouet sifflant.
Sueur en ces
ateliers d’enfants,
Nuit des ateliers,
où frères et sœurs martyrisés,
sueurs de caniveau, sueur de tribu,
sueurs de caniveau, sueur de tribu,
sueur, trop lourd
tribut,
sous le fil du
mensonge
naufrage à quelques encablures d’une côte,
sans trop de tendons ni d’os,
côte splendide arrachée
du côté de cet œil fou de maître boucher,
là où la chair est encore la plus tendre
là où se fendent, où craquent les jointures,
Sueur nuit, sueur suie, sciures,
sueur d’un rêve en manque de dents,
sueur d’un corps fouetté,
le corps sue, le corps seul sait,
le corps sali, ici toujours perdant
naufrage à quelques encablures d’une côte,
sans trop de tendons ni d’os,
côte splendide arrachée
du côté de cet œil fou de maître boucher,
là où la chair est encore la plus tendre
là où se fendent, où craquent les jointures,
Sueur nuit, sueur suie, sciures,
sueur d’un rêve en manque de dents,
sueur d’un corps fouetté,
le corps sue, le corps seul sait,
le corps sali, ici toujours perdant
son sang
corps immuablement
au dernier rang
ce grand corps en suée
corps marchandise, corps valise, corps d’exil.
ce grand corps en suée
corps marchandise, corps valise, corps d’exil.
Nous avons
depuis, de villes en estuaires,
rallié tous les continents et redécouvert nos crimes,
nous, nouveaux négriers !
revenus des villes ossuaires
avec nos feux clignotants,
nos grandes conduites d’acier,
nos décharges à ciel ouvert,
nos bonnes œuvres spéculatives,
nos usines sacralisées
nous, et nos poisons bradés
sous un ciel si bas
qu’il semble à la tombée du jour
pleuvoir en rideaux de sang
rallié tous les continents et redécouvert nos crimes,
nous, nouveaux négriers !
revenus des villes ossuaires
avec nos feux clignotants,
nos grandes conduites d’acier,
nos décharges à ciel ouvert,
nos bonnes œuvres spéculatives,
nos usines sacralisées
nous, et nos poisons bradés
sous un ciel si bas
qu’il semble à la tombée du jour
pleuvoir en rideaux de sang
sur un peuple de
dos
couleur d’ébène ou de coton.
couleur d’ébène ou de coton.
Chant V
Entre notre
chair et notre chair
sueur de vivant
reliée à la mousse des pierres.
sueur de vivant
reliée à la mousse des pierres.
Ainsi flotte
devant nos yeux
devant nos yeux
cette armée de
doutes,
nuages noirs
d’une splendide déroute.
Chant
VI
Cette foule
s’est pressée à
toutes les frontières,
à toutes les
portes,
devant tous les
murs cette foule
a arraché le voile
de ces yeux
et piétiné les
figures
qui célébraient la
beauté au travail,
la beauté d’un
corps tout en sueur.
Cette foule a enfoui
en d’innombrables tranchées
Cette foule a enfoui
en d’innombrables tranchées
ses peaux durcies
par la poussière et le vent.
Cette foule
par la poussière et le vent.
Cette foule
a crié sa juste
révolte
jusqu’aux pieds
des maîtres de pierre
et ceux-ci ont
commencé à sentir
des tressaillements dans les premières fissures.
des tressaillements dans les premières fissures.
Chant VII
Sang
et sue
sue tout ce sang
de ce corps
sue tout ce sang
de ce corps
ce corps sue
toute cette sueur
toute cette sueur
au col
colporte
colporte
toute cette sueur
pour en arriver à ce sang
centralisé
ce centre
où toute suée
pour en arriver à ce sang
centralisé
ce centre
où toute suée
toute sueur
par tous les pores
par tous les pores
se rue.
Sueur en transe
Sueur en transe
transe
par les portes
portée
en toute transparence
portée
en toute transparence
toute sueur du
désordre
de l’ordre qui décide
de la sueur d’esclave
de qui porte sur le dos
de l’ordre qui décide
de la sueur d’esclave
de qui porte sur le dos
les stigmates de
tous les crimes !
Sang
Sang
et sueur
tous unis
tous unis
dans le même
berceau
sang et sueur
tous liés
sang et sueur
tous liés
reliés
à la vie
à la vie
par ce fil
seul filtre possible.
Tous enduits
inondés de cette sueur
cette sueur monde
où se mêlent sexes et peaux.
seul filtre possible.
Tous enduits
inondés de cette sueur
cette sueur monde
où se mêlent sexes et peaux.
Se donner à cette
sueur
en un mot comme en sang
en un mot comme en sang
suer
ensemble
subtile sudation
et sur tout
et sur tout
surtout
pas de brume !
pas d’écume !
pas de soulèvement
en ce tourment du monde !
en ce tour du monde
pas de brume !
pas d’écume !
pas de soulèvement
en ce tourment du monde !
en ce tour du monde
d’une sueur
si pâle
si froide
sueur-ciment
dévorant le front
cette sueur pose
si froide
sueur-ciment
dévorant le front
cette sueur pose
dépose
un socle fait main
un socle d’os
et autour de ce
socle
une ronde.
Danse pour la sueur
Danse pour la sueur
et autour de ce
creux
immense
insondable fosse
d’une Afrique
insondable fosse
d’une Afrique
croulante
sous l’éternité
pesante du carcan.
Sueur monde
où reins et dos
brisés
de tout temps ont porté
le fardeau des dominés.
de tout temps ont porté
le fardeau des dominés.
Sueur d’une main
libérée,
mais qui garde
sous les ongles
des fragments
noirs d’humanité.
Sueur d’une main à l’œuvre
main basse sur
l’œuvre
l’œuvre n’est plus !
seule une main d’œuvre bon marché
l’œuvre n’est plus !
seule une main d’œuvre bon marché
sur la marché de
la sueur rentable !
seule cette main
peut se souvenir des entraves de fer.
seule cette main
peut se souvenir des entraves de fer.
Course
sur la terre
de cette sueur
vivante
là où il faut creuser longtemps
là où il faut creuser longtemps
pour découvrir les
restes
d’un ancêtre
libre !
Course sur la terre
Course sur la terre
de cette sueur
vivante
bonne à combler
les plaies verticales
bonne à combler
les plaies verticales
de plus d’un
milliard de bouches ouvertes !
Il est plus que temps alors
de réécrire le mythe,
pour ajouter dans l’enfer de l’architecte
un autre minotaure
issu lui aussi d’amours jugés contre nature
misérablement couché dans son sang et sa sueur.
Chant VIII
Sueur
ce jour n’est plus
ou n’est pas
encore
Ce jour comme
perle
à ton front
Sueur
Sueur
ce jour n’est plus
toute cette résignation feinte,
ce combat obscur,
toute cette résignation feinte,
ce combat obscur,
anonyme,
nous avons trop chanté,
nous avons trop chanté,
nous avons trop
dansé,
en compagnie de nos seules ombres.
en compagnie de nos seules ombres.
Chant IX
C’est une
sueur malade,
une présence
impalpable.
C’est une sueur
malade
toute en
tâtonnements,
en glissements.
C’est une sueur
malade
comme une promesse
de pluie
sur un corps aux
lendemains refusés.
C’est une sueur
malade
qui ne s’encombre
pas de la langue,
qui ne s’encombre
pas de tête,
qui ne s’encombre
pas de sexe.
C’est une sueur
qui ne s’encombre pas d’autres sueurs.
C’est une sueur en
mal d’être
et en quête de
devenir.
C’est une sueur
qui passe,
traverse les fils de ce vêtement usé
traverse les fils de ce vêtement usé
qui n’a plus
volonté de retenir l’ombre.
Chant X
La sueur ici
devient encre
et cette encre
témoigne
d’une terre toute
en odeurs de livres.
Cette encre
s’infiltre,
choisit une
peau blême
pour y planter
quelques signes.
La sueur ici est
devenue encre
pour traduire,
mesurer les écarts
entre les figures
éphémères du ciel
et les pierres
solides des sommets.
Elle dévale les
pentes
dévie l’itinéraire
prévu
d’une écriture
surprise par l’orage du doute.
Tout un peuple de
mains fiévreuses
tente d’en saisir
la fluide présence
mais la terre
boit,
mais le barrage de
la pensée
cède parfois sous la poussée des os.
cède parfois sous la poussée des os.
Sueur encore
nourrie par les déluges
sueur d’une vie
assise au seuil du fardeau du corps.
assise au seuil du fardeau du corps.
Sueur d’une
distance jamais mesurée,
d’une solitude non
nommée,
sueur d’une
rivalité insoupçonnée et insoupçonnable.
Sueur avec
laquelle se monte
une des plus
grandes mises en scène du corps,
une des plus
grandes tentatives d’évasion de la peau,
cette peau soumise
à l’usure,
à l’inévitable mensonge.
Sueur condamnée à la précipitation des mots,
à la rectitude des lignes,
à l’inévitable mensonge.
Sueur condamnée à la précipitation des mots,
à la rectitude des lignes,
à l’imperfection
permanente,
sueur de ces êtres
incapables de
froisser,
de déchirer,
de déchirer,
les ombres de
leurs nuits si nombreuses,
sueur de ces êtres
incapables de se souvenir de ce jour
incapables de se souvenir de ce jour
où il sont devenus
esclaves de leurs propres sueurs.
Chant XI
Sueur !
C’est l’heure où
le corps malheureux
s’abreuve de
chaudes vérités,
s’accouple à d’autres rêves
à d’autres désenchantements subtils.
Sueur !
s’accouple à d’autres rêves
à d’autres désenchantements subtils.
Sueur !
C’est l’aube
malmenée
par la fureur des
hommes,
c’est l’aube au-dessus
des ombres des corbeaux,
c’est l’aube
immense sans calculs
sur la terre
brûlée,
où l’enfant pieds
nus
découvre la
démence du monde qui l’accueille.
Chant XII
Vous avez forcé le
passage
et aujourd’hui vous n’êtes plus en mesure
et aujourd’hui vous n’êtes plus en mesure
de voir au-delà
de votre cercle d’apparences.
de votre cercle d’apparences.
Vous avez forcé le passage
arraché le lien sacré
qui vous tenait encore à la rive,
vous vous êtes volontairement mutilés.
En cet aveuglement,
cette surdité,
vous avez perdu
tout ce qui vous avait été donné.
Vous avez fait taire tous les sages
en dépeçant leurs
corps,
en enfermant leurs paroles
dans la mémoire poussiéreuse,
en enfermant leurs paroles
dans la mémoire poussiéreuse,
pourrissante de
vos livres.
Vous avez forcé le
passage
et aujourd’hui
vous n’êtes plus que des ombres
croisant d’autres ombres
dans vos enfers complexes
où mille solitudes mettent régulièrement au monde
un millier d’autres solitudes.
croisant d’autres ombres
dans vos enfers complexes
où mille solitudes mettent régulièrement au monde
un millier d’autres solitudes.
Vous avez craché
sur la terre
et chacun de ces
crachats
est devenu le messager de votre mort.
est devenu le messager de votre mort.
Vous avez peuplé le ciel de vautours d’acier
semé le doute, scindé l’atome, greffé la terreur
sur l’organe
puissant de la vie,
vous avez voulu disséquer la conscience
vous avez voulu disséquer la conscience
comme si elle
n’était qu’un champ d’investigations
pour votre science
qui crucifie
l’animal sur son autel immaculé et stérile.
Vous avez voulu sonder l’âme humaine
comme on sonde le cœur d’un vieux volcan,
ce jour est proche où dans votre orgueilleuse cécité
vous construirez ceux qui démunis de sang et de sueur,
ne reconnaîtront
plus en vous leurs maîtres
mais comme les seuls ennemis de la terre.
mais comme les seuls ennemis de la terre.
Chant XIII
Quelle foi
sacrilège ici nous anime
et fait
reconnaître en cette sueur source
la langue des
peuples affaiblis
qui sans honte ont failli ?
qui sans honte ont failli ?
De quelle peau
s’évade un tel nectar,
quels doux
effluves montent
de cette chair
soudain apaisée ?
Nous veillons sur
l’heureux épuisement des choses,
nous avons la
connaissance intuitive
d’une soif tout
imprégnée d’autres soifs.
Sur les terres de
nos ancêtres,
nous sommes nés
d’accouplements sauvages
et par les nuits
de lune brillante
nous dansons avec
nos morts !
Chant XIV
Le corps est dur
au labeur
il ploie, il
marche,
se presse, se
fatigue,
tous ces corps
sont semblables à des arbres :
l’un est déjà
conçu pour être foudroyé,
l’autre fier de sa
force
tend ses bras pour
affronter le ciel.
C’est sous le même
soleil
la fonte des
glaciers,
l’hommage à la vie
dans la profusion
des fleurs du cerisier,
dans ce recul des
ombres
sur les damiers des champs cultivés.
sur les damiers des champs cultivés.
C’est sous ce même
soleil
tant d’enlacements fiévreux,
tant d’enlacements fiévreux,
tant de chairs
communiantes,
tant de sexes qui
se reconnaissent,
tant d’autres si
vides d’amour
bourreaux
implacables,
esclaves de leurs bréviaires.
esclaves de leurs bréviaires.
C’est sous le même soleil
tant de chantiers,
tant d’usines,
tant d’usines,
où l’esprit
assassiné
dans l’indifférence universelle
dans l’indifférence universelle
n’est plus qu’un
récipient
où des êtres de
misérable pouvoir
versent leurs
poisons,
et ruinent à
jamais tout effort de pensée.
C’est sous le même
soleil
tant de crimes
jamais nommés,
tant de machines,
tant d’armées,
tant d’armées,
tant de victimes,
tant de morts anonymes,
tant de morts anonymes,
tant de sciences
néfastes,
tant de fastes si
impudiquement exhibés,
tant de famines,
tant de
merveilleuses naissances,
tant de millions
d’enfants dans les mines de sel
de cuivre et de plomb,
de cuivre et de plomb,
tant de sel dans
les yeux de la terre,
tant de larmes
dans les yeux de ces à peine nés
dans les yeux de ces à peine nés
nés pour la peine,
tant de sang sur
leurs mains sans rides
mais affreusement blessées,
mais affreusement blessées,
tant de rires sur
d’anciens visages,
tant de nobles
rides
sur des visages survivants de tous les génocides,
sur des visages survivants de tous les génocides,
et tant d’yeux
vides,
tant d’yeux creusés
par les dents du temps,
de corps recroquevillés dans les lits cages
tant d’yeux creusés
par les dents du temps,
de corps recroquevillés dans les lits cages
de nos mouroirs
d’occident !
C’est sous le même
soleil
tant de puits sans
source,
tant de villes aux
poumons rouillés,
aux reins saturés d’acide,
tant de corps étendus
tant de corps étendus
rendus à la
poussière,
tant de corps
rongés
mêlés à la terre,
emmêlés en un coït éternel,
mêlés à la terre,
emmêlés en un coït éternel,
tant de corps en
sueur,
tant de corps
capricieux,
uniques,
précieux,
disgracieux,
uniques,
précieux,
disgracieux,
tant de corps
tendus,
tant de visages
dans la lutte,
déformés,
méconnaissables,
déformés,
méconnaissables,
tant de corps,
au cœur du
sommeil,
comblés,
tant de corps parfaits,
comblés,
tant de corps parfaits,
parfaitement
libres,
parfaitement
brisés,
tant de corps
réunis,
tant de corps unis
en des noces d’argile,
tant de corps unis
en des noces d’argile,
tant de soifs,
de faims impossibles à satisfaire,
de faims impossibles à satisfaire,
tant de sueurs
partagées,
mélangées,
mélangées,
tant de sang en un
même corps,
tant de rouge sous
des mains blanches,
tant de noir sur
des mains rouges !
Tant d’enfers sans chaleur,
Tant d’enfers sans chaleur,
tant de feux sans
lumière,
tant de cuisses
sans sueur,
tant de chevilles
sans pied,
tant d’êtres sans
esprit,
tant de noms sans
têtes,
tant d’histoires
sans êtres,
tant d’êtres,
tant d’êtres !
tant d’êtres !
en ces temps
d’êtres innombrables !
tant d’êtres sans
âme,
tant d’âmes
tant d ’âmes
tant d’âmes
tant d ’âmes
tant d’âmes
temps des âmes
heureuses à venir !
Chant XV
Travailler dans la
matière
creusée par la
sueur du monde,
travailler comme une éponge,
comme un silex,
un outil de chair et de sang,
extraire l’os de
la terre
et le réduire en poudre.
C’était dans la clarté d’un jour donné par Dieu
lancé comme un défi,
comme un crachat
et le réduire en poudre.
C’était dans la clarté d’un jour donné par Dieu
lancé comme un défi,
comme un crachat
dans la grande
cour des hommes.
Travailler dans la matière
Travailler dans la matière
creusée par la
sueur du monde,
veiller au pied du
volcan,
veiller sur l’ignorance
veiller sur l’ignorance
puis glisser notre
désir
sous cette peau
aride.
Travailler
puis apprendre
puis apprendre
la langue
illusoire des signes,
faire reculer nos
fantômes,
tenter de nettoyer nos veines
tenter de nettoyer nos veines
envahies par le
poison de la colère.
Travailler
à reconnaître en notre ennemi
la chair vivante de notre double.
à reconnaître en notre ennemi
la chair vivante de notre double.
Démonter
pièce après pièce,
rouage après
rouage,
le mécanisme du mensonge originel,
le mécanisme du mensonge originel,
de l’idéale
naissance.
Travailler dans la matière
creusée par la
sueur du monde,
et à l’océan de cette même sueur
confier ce corps
où logent désormais
toutes nos défuntes peurs.
et à l’océan de cette même sueur
confier ce corps
où logent désormais
toutes nos défuntes peurs.
Chant XVI
Sueur
plus un cri,
plus un
crissement,
dans les plis
tout plie,
et tout ce qui
reste
est tout entier
dans le dit.
Sueur
plus un espace,
plus une fente,
où la lame ne
parvient plus
à se glisser,
engloutie par ce
temps
où la grâce est
tuée.
Sueur
c’est misère de
n’avoir su
que toute cette
sueur dépensée
était dépense d’un
corps
à la vie limitée.
Tant de sueur
ainsi dispersée,
tant de calculs et
d’incendies
en ces jardins
d’artifice
où la sueur seule
était applaudie.
Sueur
un lourd sommeil
est là
pour éponger la terre
et pour toute réponse
pour éponger la terre
et pour toute réponse
déjà de futurs
orages s’annoncent…
Chant XVII
Ici tout est sueur
corps et matière
tout est mis en
paquets
ficelés,
classés,
classés,
puis
consommés.
consommés.
Ici tout est
normes
et frontières
sommeils dépassés
paroles de maître
en des plantations lointaines.
en des plantations lointaines.
Paroles à naître
en de neuves
trajectoires
trajectoires
pour de nouveaux
cercles.
Ici
tout est sueur
tout est sueur
lueur
et espoir,
ici
un simple acteur suffit
un simple acteur suffit
à coudre ensemble
tous
les rideaux d’une
scène,
pour soustraire le
drame
aux regards qui ne
peuvent plus
se dérober,
fuir.
fuir.
Alors
le corps
trahi,
floué,
floué,
commence sa
dérive,
il est dans
l’arène,
il est dans la
fosse,
il ne sait plus
si sa sueur révèle
sa peur
ou si le siècle
lui refuse un
abri.
Alors le corps
preuve indéniable
d’un monde
d’anges morts
rejoint
d’anges morts
rejoint
l’abîme,
la faille
de sa langue.
la faille
de sa langue.
Un néant
l’accueille
lui offre ses
fruits redoutables,
ici tout est
sueur,
sueur d’Ame
malmenée,
mal née,
sueur d’Ame
en ce nouveau
banquet
où la lumière
jaillit des
cendres.
Sueur
tout au fond de ce
ventre
où l’aube ne peut
rencontrer la mer,
où sur ce corps
tout entier contenu
en ces lignes
pleut sans discontinuer
des signes.
pleut sans discontinuer
des signes.
Ici tout est
sueur,
triste effort,
le corps se tord,
les muscles se
tendent,
là où l’esprit
s’évertue à peindre
un décor d’ombres
puissantes.
Ici tout est
effort et sueur,
l’être sacrifié
regarde son art,
cloué à son arbre,
ne voit pas,
ne voit plus,
l’ombre distendue
et muette,
l’ombre nue,
sa conscience
mutilée
ne peut s’en
emparer,
il vacille
devient flou,
tombe,
effacé,
effacé,
dans l’affreuse
plaie du temps.
Chant XVIII
Tout est pris
en cette
tourmente,
en cet oracle,
la sueur intacte
revient,
image triomphante,
grimaçante.
Sueur
qui de terre en
terre,
de ciel en ciel,
conduit
sans fatigue,
sans fatigue,
sous un soleil qui
meurt,
ses meutes
ardentes.
Chant XIX
La sueur n’en
doutons plus est un langage,
la sueur nous parle
la sueur nous parle
de ce corps rompu
au supplice du
travail,
de ce corps
frémissant,
nu,
arraché à la
langue des arbres.
La sueur n’en
doutons plus est un langage,
en ces temps de vives rivières
en ces temps de vives rivières
et de fortes
racines
nous avions eu la naïveté
nous avions eu la naïveté
de croire en notre
solide éternité.
La sueur n’en
doutons plus est un langage,
laissons-la couler
en ce corps étui
où parfois se
glisse la conscience d’être
un rivage,
une terre,
un pays sans
drapeau ni deuil.
La sueur n’en doutons plus est un langage
La sueur n’en doutons plus est un langage
un écoulement
secret
où la langue ne
choisit plus
devant un corps
qui se tait
mais plante en
bonne terre
l’arbre qui saura
porter
un autre horizon
incapable de se fermer.
Chant XX
Enfants des
ateliers,
des cuisines,
des trottoirs,
des cuisines,
des trottoirs,
des mines
et des champs,
enfants tisseurs
de tapis,
laveurs de
voitures,
cireurs de
chaussures,
casseurs de
pierres,
enfants du mali,
du Burkina Fasso,
du Burandi,
du Niger,
enfants de Haïti,
du Guatemala,
du Brésil,
de Bolivie,
du Népal,
du Bangladesh,
de Turquie,
de Polynésie,
du Niger,
enfants de Haïti,
du Guatemala,
du Brésil,
de Bolivie,
du Népal,
du Bangladesh,
de Turquie,
de Polynésie,
enfants de ……
enfants du…….
enfants du…….
C’est un vaste
linceul qui passe
et étend sur le monde
et étend sur le monde
son ombre tissée
de sueur et de sang.
C’est une grande
sueur qui passe
sur un rire d’enfant qui se casse
sur un rire d’enfant qui se casse
dans une fabrique
de verre.
Enfants aux poumons brûlés,
aux membres déformés par de trop lourdes charges,
Enfants aux poumons brûlés,
aux membres déformés par de trop lourdes charges,
enfants des
décharges
à ciel ouvert,
à ciel ouvert,
enfants à la peau
noircie
par le charbon
qui ne connaît la caresse de la lumière.
par le charbon
qui ne connaît la caresse de la lumière.
Enfants aux mains blessées,
tisseurs de ballons
destinés au
ciel bienheureux
des enfants de
colons.
Enfants sous le joug
des grandes marques
qui vantent l’image
d’un corps toujours souple, mince,
victorieux
Enfants sous le joug
des grandes marques
qui vantent l’image
d’un corps toujours souple, mince,
victorieux
transpirant par
tous les pores,
de cette bonne
santé d’espèce protégée,
de cette gloire
fabriquée
éphémère, artificielle,
des stades et des écrans.
Enfants des ports de Karachi
récurant dès l’âge de cinq ans
des stades et des écrans.
Enfants des ports de Karachi
récurant dès l’âge de cinq ans
les cuves de
pétroliers,
la peau et les bronches rongées
la peau et les bronches rongées
par les résidus de
plomb.
Enfant des plages et des chambres
Enfant des plages et des chambres
parfaits petits
domestiques
de nos Edens
touristiques,
innombrables petits corps perdus,
vendus en des hôtels de passe
innombrables petits corps perdus,
vendus en des hôtels de passe
enfants à la peau
huilée
sous le feu des
sunlights.
C’est une sueur
qui passe
une sale sueur
une sale sueur
de carte postale
en carte postale,
du Costa Rica au
Népal,
d’une peau à
l’autre,
d’un monde à
l’autre,
sans laisser de
traces.
Sueurs monde - le 25 mai 2006
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