dimanche 2 avril 2017

La nuit portera nos cris - 2009







LA NUIT PORTERA
NOS CRIS


2009





 

« J’ai vu dormir une ville et j’ai compris  que j’avais des frères sous le ciel, frères il faut dormir, comme il faut manger frères, un chien quête sur le pavé  les odeurs de cuisine.

Voyez  les tristes nappes et la vaisselle abandonnée
et ces déserts salis qu’on fuit les ventres pleins.
Dormez maintenant, dormez bourreaux, dormez,
dormez , vagabonds , princes, sages femmes de la misère, bouche ouverte sur le souffle  de la bête lasse, le magique espace  offert au regard clos pour le voyage immobile, frères je connais l’homme, car je vous ai vu dormir, où donc est votre pouvoir ? »

Ecce Homo  Georges  Ribemont-Dessaignes





                                         


R
ien ne se construit sans être,
rien ne peut être sans construire,
rien ne part du creux,
rien ne remplit le vide
s’il n’y a déjà la volonté de remplir.



Rien d’autre pour ce voyage que la plume,
pas d’autre errance,
pas d’autre terre promise,
pas d’autres brûlots,
pas d’autres torches si vite éteintes.


Nous avons toujours lancé nos verbes
comme des filets
sans croire aux pêches miraculeuses,
sans croire à l’effort  récompensé,
et c’est contre mille morts, mille brimades
que nous nous sommes donné cette volonté
d’enténébrer une bonne fois pour toutes
la blancheur têtue du vide.








 



V
oyez aujourd’hui ce roc qui se fendille,
cette lèvre qui s’offre sous la langue,
regardez sans faillir
la grande danse,
le grand récital des os,
voyez ce grand peuple des oiseaux
qui part pour l’exil.

Pour une terre nouvelle
là où s’affrontent brassées de membres,
où se dénouent mille chevelures
en des tourbillons d’écume.








J’ai vu ces grands bras impuissants
pendre, ballants, des grands charrois de la mort.
J’ai vu les yeux océan de cette fille incroyable
ange décharné jeté au milieu
du plus immonde des charniers.
J’ai vu son sexe offert
à la pieuvre noire des regards,
j’ai vu son ventre creux,
ses côtes perçant la chair,
sa chevelure de feu flottante
comme un oriflamme
au bord de la fosse.











N
ous sommes tous adorateurs d’un serpent
à plusieurs langues,
nous applaudissons des icônes,
figures trouées
qui laissent passer tous les vents de l’histoire.


Nous sommes victimes et bourreaux
cloitrés en nos tanières de ciment,
cloués devant nos écrans froids,
nous sommes des fougères
prisonnières d’un rêve de séquoia,
nous sommes des architectes fous
qui construisent sur de la poussière,
nous sommes des grappes d’yeux
juchées sur des assemblages féroces
de membres inutiles, de sexes affamés,
nous sillonnons des pays ruinés
et nous chantons sur ces ruines
les mérites des puissants,
nous sommes les fossoyeurs
gardiens de nos nécropoles,
la terre entière est une tombe
sur laquelle personne ne déposera jamais
la gerbe arc-en-ciel du souvenir.







 


O
ù croassent toujours les mêmes bourreaux,
où pleurent toujours les mêmes victimes, 
Je porterai les diadèmes des nuits renégates,
diadèmes pourpres qui se souviennent
de myriades de potences dressées,
diadèmes de chairs putréfiées,
ornements brûlés des ces nuits
de solitudes et d’effrois.


Diadèmes de ces nuits
à jamais rebelles devant les meutes d’acier.








Croyez ou ne croyez pas,
l’encre par ce fil accomplit un rite,
rien ne va tout droit,
rien ne choisit une route pour sa seule destination,
rien ne nous contraint à être,
à naître,
les sommets s’écroulent,
la terre n’est qu’une collection d’ossements
les définitions ne sont que des ombres flottantes,
nous sommes si nombreux chaque jour
à cultiver notre ciguë !


Croyez ou ne croyez pas
ce qui rassemble ici, se disperse là bas.
Tout se déplace avec la vitesse ajoutée du néant.


Croyez ou ne croyez pas,
rien n’est tout à fait immobile,
rien n’est tout à fait mort,
le sommeil du volcan fait rire le fou,
car lui seul sait.






Ne laisser que des cendres
dans les bouches de ceux qui nous ont goûtés.








Émiettement,
confusion,
le ciel invite de sombres nuées,
des signes commencent à brûler
aux  frontières d’autres mondes,
nous sommes encore là,
grandes tribus,
tout occupées à rêver notre exil,
notre grande et ultime migration.






     

Vacillements

    sur le seuil,


         ces troubles annoncent
d’autres troubles
  


plus grands encore.

Je viens d’un pays
qui ne se souvient plus de son  nom,
des démons s’y affrontent.
Je viens d’un pays
où la terre n’a plus souvenir des saisons.


Je viens d’un pays
où les hommes percent des puits
se désaltèrent à une source
plus grande que leur nuit.


Je viens d’un pays
où des gibets d’acier
criblés de fenêtres
exhibent les dépouilles
des derniers poètes.





 



I
l faut greffer du temps dans le temps,
redonner ses lettres de noblesse
à l’alphabet du vivant.

Il faut réapprendre à choisir notre verbe
quand toutes les langues deviennent bruits.




Il faut redécouvrir la marche
pour démasquer l’absurdité de la course.



Il faut limer notre épouvante
afin qu’elle n’écorche plus le ciel.


Il nous faut aimer la nuit
pour ses instants paisibles
qu’elle nous offre un peu avant l’aube.











Gardons cette nuit au chaud,
pour ce corps qui s’embrase
au moindre soupçon.







I
ntrusion

Résister de toutes nos forces liquides
à l’effrayante masse solide qui gronde à nos portes.









E
n cette nuit nouvelle
je me cherche fougueusement des ancrages,
les côtes du monstre se soulèvent
et tremble le monde,
le squale diffuse ses poisons
c’est tout l’océan
qui se transforme lentement en acide.


O ma nuit authentique !  
Je t’appelle et tu viens,
du fond des brumes glaçantes, 
du haut de ces grands phares marins
qui traquent les derniers cœlacanthes.
Je t’appelle et tu viens,
tu m’avales,
tu m’engloutis,
tu me possèdes !


Cette nuit
je la veux puissante et instinctive,
grande prostituée offerte,
moi l’affamé, je jette mon dévolu
sur une nuit dépouillée,
nue,
aussi nue que possible,
dépouillée de tout.


Cette nuit me presse,
m’enlace,
devient ma seconde peau,
je plonge en elle
elle jaillit en moi.


J’ai rêvé d’une nuit 
où une femme en son sexe attirait toute la galaxie










J
e peine à me livrer,
à me relever
de cette gangue obscure,
vieille magie des aurores.


L’ombre vacille, se tait,
je suis à mille lieux,
dans une autre dimension,
je suis l’errant
sans souvenirs de mendicité ni de voyage,
je cherche en mes tâtonnements
les cycles de l’ombre,
les flux et reflux
des grandes marées de l’invisible.


J’essaie de deviner les meurtrissures,
les fêlures, les voies les plus étroites
pour oser rêver un passage.


Je suis l’enseveli,
j’appartiens à cette nuit,
qui me délivrera de toutes les erreurs,
de tous les sermons, de toute morale.









Abîme est le mot premier qui me vient.



le crâne poursuit sa plongée en son univers d’os,
la pensée lentement 
suit la courbe d’espèces disparues.


Mots intraduisibles
dans une langue inspirée,
paragraphes fermés,
tous si effroyablement identiques
dans cette lente descente
vers des enfers bavards.










La nuit dans les métropoles recule.
Éjaculations violentes des phares,
nos véhicules
aussi aveugles et pressés que nos  sexes.







Q
ue savez-vous de Midi,
de cette heure acérée des morts
qui n’ont plus d’ombre ?
Que connaissez-vous de ces enfers
où défilent dans un silence terrible
ceux qui ont cédé au vertige du doute ?
Qu’avez-vous retenu
en vos âmes et consciences
de ce glissement entre les pierres,
de cette silencieuse avalanche ?


Que retiendrez-vous de ce Minuit
de ces coups fracassants
sonnés au clocher de ce bourg
qui s’avance vacillant et gémissant
sur le fleuve obscurité ?














C
’est une nuit
où les mystères sont  en quête d’autres mystères,
c’est une nuit où les loups succombent
où les vivants cherchent fiévreusement des vivantes.


C’est une nuit tout en ongles de sorcières,
de jeteuses de sorts.
C’est une nuit devant des portes de cire
une nuit d’écharpes brodées avec des larmes,
une nuit de perles de sang.


C’est une nuit de géants,
de cyclopes ressuscités,
une nuit de soufre et de diable,
c’est une nuit de secrets alchimiques,
de corolles de métal griffées par les vents,
une nuit de velours, 
une nuit de calices entaillés,
une nuit de cœurs fondus
dans le  pourpre de la forge,
une nuit de robes et de foulards,
une nuit de catins noyées dans le satin des cris,
une nuit de cohues, de corps mêlés,
une nuit  de luttes toujours plus âpres,
toujours plus violentes,
une nuit de rixes dans des latrines publiques.





 


M
inuit dans  l’ombre des ports
Minuit dans l’ombre apporte ces larmes empaillées,
Minuit dans l’ombre un spectre vient frapper
à une porte fermée,
les clochers se bercent d’illusions,
des membres réapprennent à s’unir,
des corps s’étirent, se fardent,
trompés par des myriades de miroirs,
ces corps s’ouvrent comme des fleurs.
Tout est foisonnement, curieuses richesses,
rires et débauches de fanfares,
les peaux s’interpellent
par des noms de parfums,
des corps apprennent
à recueillir leurs venins.


C’est un chaos de petites morts jouissives,
un bal pour apprentis du vide,
une sarabande de fous vieillissants
qui peu à peu se néantisent.






J
e n’ai jamais voulu filer
avec les fileuses du temps
ni voulu me prendre les pieds
dans les filets du verbe,
je n’ai voulu vider mes yeux de leurs visions
je n’ai voulu brûler sous nul soleil
ni priver mon corps de ces mystérieux élans,
ni me perdre sur la ligne faillible de l’horizon.
J’aimerai sombrer
dans les profondeurs de mes draps froissés,
vagues blanches, torrents d’écume
qui rageusement m’emporteraient,
loin de ces rives où l’astre de feu inconsolé
annoncerait sa politique de cœur brûlé.


Je n’ai jamais voulu croire
en cette joie terne des jours travaillés
en cet immense laminoir
qui ne se lasse d’avaler les êtres
et de les rejeter en fumées,
je ne parle ici de camps de la mort
mais de ces usines
dont l’absence même est pleurée.
Je n’ai jamais voulu croire
en ces visions de paradis matériels
qui nous font oublier nos âmes
je n’ai jamais voulu croire
aux paroles de ces fanatiques
qui renient leur corps
pour trouver des dieux
qui justifient leurs tyrannies.


Je n’ai jamais voulu cesser de croire
en ces nuits
où guidé par des lampes merveilleuses
mon corps visitait les régions invisibles,
dialoguait avec le monde
des herbes et des écorces,
frottait sa peau blanche à l’arbre millénaire,
apprenait par le sexe
la jouissance toujours féconde de l’esprit.






 


V
ous l’avez vue
en cet éveil exalté
les paumes de ses mains
dissimulant l’encre de deux mondes,
vous l’avez vue
hésitante entre le feu et l’ombre,
entre le froid de la pierre
et le songe incendiaire,
vous l’avez vue
cette étrangère portant d’une main à ses lèvres
le mortel  et merveilleux nectar
et de l’autre caressant avec fièvre
son cerbère
(noir comme l’encre
d’une toute fraîche et dernière gravure).










Ce  jour ne m’accordera donc nul répit !
J’ai réclamé cette nuit
à grand renfort d’étoiles mortes.










C
ette vision me hante :
un double né de mon corps
se  jette en avant
explore avec fougue les régions invisibles,
les couloirs, les chambres,
et les angles les plus bizarres,
reflets déformés d’interminables couloirs.



Je ne bouge plus,
l’oreille douloureuse collée au miroir,
mon double court là bas…
j’épie les battements de son cœur
son souffle précipité…



Puis ces preuves de vie s’épuisent rapidement,
mon double là-bas
furieusement
commence à effacer
toute trace de ma présence.





O
eil de nuit

Voici l’œil à mémoire vide
déroulant ces zooms à la vitesse du vent
voici l’œil
lance fixe
œil de
cyclope
lent
trou
C’est depuis ce trou que je vous parle
C’est depuis ce trou que je crie
que mes veines explosent
que ma mort vous parle
s’éreinte, s’esquinte à vous parler

Voici l’œil béant
bouche fixe
gouffre
réquisitoire du vide
néant
silex sans feu ni lieu
trou !
C’est bien depuis ce trou que je vous parle
il est né ici l’injuste et le juste
et tous de célébrer les restes
la pierre redevient grain
Tout est à moudre
à coudre
la langue à tort torture
le miracle n’est pas de ce monde
ce monde n’est pas un miracle
ce mi ne vaut rien, il renâcle
ne peut être mi-raculé
ce monde est une ronde
où ne peut vivre
ni le glorieux, ni l’achevé.
Voici l’œil à vif
blessure dans la viande froide,
engrenage, vis, bistouri,
ciseau,
enclume,
l’œil membre et démembre
mémoire en tranches
tranchée de
vers
l’un
œil greffé dans une autre chair
se vautre dans la terre
se voit lui-même sur
lustre
balustre
grand compas
grande compagnie
panier
puis tête coupée
en grand écran
d’office, orifice
machine à  filmer
à vomir
trou !
C’est bien depuis ce trou que j’hurle
l’enfer est un lit où les draps sont des peaux
la fenêtre aussi appelle sa victime
des chiens noirs arrachent les antennes des toits
les nuages sont pris de fièvres nauséabondes
la terre est un cloaque
elle  vomit des mannequins de chairs
aux mandibules de plâtre

de place en place
tique
toque
contre la rambarde
s’effiloche
loche
hoche
la tête
qui roule encore un !
dans le panier
bah ! c’était un élu du peuple
la télévision devient vermeille
fiel
victoire
elle crache ses flots fléaux
toute la ville se tord,
se vrille,
se tortille,
se torpille
on rit
on se félicite
on a voté
le pire est passé
des fleuves de sang emportent au loin
les vendeurs de verbes et d’acides.  

Voici l’œil attentif
il a tout enregistré
tout gobé
du premier geste au dernier,
il a tout entendu,
il a tous les éléments
pour identifier,
trier
bannir,
sanctionner,
expulser
lentement il se déroule
et
lombric
il retourne sous terre
obscurité
glissement,
chute,
suintement,
Chuintement
……………
Trou !



 






J
e crie et ne bouge,
je suis en ordre
et en désordre,
je suis le déserteur d’une langue
qui ne se suffit plus,
J’ai ensemencé tous les champs
et maintenant il me tarde de voir la récolte.
Je ne sais plus quand tout cela a commencé,
au début il devait y avoir quelque chose,
comme une source,
un jaillissement …











A
ujourd’hui tout me file entre les doigts,
me disait-elle,
longtemps j’ai tissé sur mon propre domaine
personne n’égalait ma dextérité
et puis la nuit est venue,
mes mains ont continué à tisser,
à tisser,
avec cette peur accrochée au ventre,
cette peur très solidement accrochée,
et mes mains instinctivement,
sont rentrées en mon ventre.






J’ai trop poussé la tête en bas
trop rampé dans l’argile
dans cette partie plus obscure,
plus dense des cendres !
J’ai trop épié l’ombre sous la pierre !
La tombe sous le ciel
le reflet d’un ciel blanc sur un éclat de verre !
Je me suis multiplié
dans l’envers comme dans l’endroit,
je me suis vu
muse prisonnière
je me suis muselé
pour ressembler au silence,
j’ai  traversé presque en dormant
les sédiments d’une écriture primitive.

J’étais la conscience figée
dans l’anonyme verticale,
le lierre vivant d’une terre animale.
Vous étiez vous, la terre, l’opulente victime.


J’ai plongé et  découvert un monde insensé,
tout un monde
d’os,
de pierres,
de débris,
en gravitation autour
du  battement sourd
de ce cœur central
qui rythme là haut la course folle de la sève.

O ! J’ai trop poussé
pour être à l’abri des tempêtes ! 
J’entaille le vide
m’installe sur la faille
mon catafalque est d’or et d’ébène.


Je pousse, je pousse !
solive à l’envers
sous ce toit épais,
voûte terrible de terre,
mes vieux os seuls savent
mes anciens mérites,
les doux mystères de mes folies anciennes.


O ! J’ai trop poussé et cette nature
a effacé nos traits,
mes ombres sont devenues parfaites,
seule la poussière
portera mon nom,
j’attends une mue.








J’explore
je m’invente,
je suis prisonnière
je m’évade,
je suis
entre le monde des morts
et celui des vivants,
je suis reine,
veine,
artère,
œsophage,
langue,
et viscère,
je suis ce serpent robuste
qui soulève le roc
je suis cette nuit qui arrache au ciel
sa part de tendre révolte.










Elle est venue cette voix primitive,
elle est venue d’un au-delà du verbe
elle a inscrit sa marque au cœur de la pierre
et ce cœur de la pierre s’est mis à battre,
à battre,
à battre !
Comme si
la seule lutte insensée
devait commencer
et finir aujourd’hui.  





En mémoire A M. Radnoti


Ils ont tué le seul homme debout
encore occupé à écrire
sous le ciel indifférent
il a basculé
et la terre à pris livraison de ses ultimes écrits.



Ta voix traverse
toutes les forêts traversées,
l’épuisée est dans le temple
sa chevelure grouille de serpents.
Secoue tes membres,
secoue ta  peau !
Tout sonne faux !
Tout résonne !
Et s’écroulent une fois de plus
les murs de Jéricho !
Le sang noir des dieux
inonde la terre !
D’autres voix sont en marche
ce sont toutes des marches forcées.


Il est là le héros splendide
le suprême savant devant les hommes !
Anonyme, sans figure,
son cœur en attente de l’étrange étranger,
son crâne comme un tronc évidé
où passe le vent de la pensée.


Il est là le héros splendide
le naufragé absolu,
le révolté sans révolte,
verbe de chair et d’os
livré à la foule bruyante
cette foule assoiffée de sacrifices
adoratrices des plus folles reliques !


Il est là le héros splendide
à ses pieds des montagnes de fleurs fanées,
à ses tempes les échos de chants intraduisibles.


Il est là le héros splendide
un tribunal  acéphale s’avance
qui lui parle de devoir et de patrie,
qui lui parle de sa folie
lui, muet , très calme,
devant ses juges sans têtes,
s’agenouille
un par un il leur lave les pieds
et tous découvrent avec horreur
les entraves d’acier qui les condamnaient
depuis des siècles à l’immobilité ! 










P
our en finir avec ma mort
j’ai voulu décidé du jour
et de l’heure de ma naissance,
puis très vite j’ai compris
qu’il me fallait aussi arracher la peau de ma mort,
je l’ai de suite clouée
afin qu’elle ne s’échappe
je lui ai donné mon visage,
puis mon nom.

Pour en finir avec ma mort
j’ai crée le mythe d’un autre dieu,
un dieu aux mille yeux crevés,
un dieu sans souvenirs ni remords,
et je me suis sauvé
abandonnant cette peau trouée
preuve ultime de ma part d’humanité.








Q
ue la cérémonie commence !
Rituel d’ouverture de la bouche,
rituel de l’être
je me redresserai
quand vous vacillerez,
je cracherai dans ce fleuve
d’où remontent les morts,
je descendrai en cette demeure
aux quatre directions du vent ouverte,
je descendrai en vos villes
où les ventres gonflent
au même rythme que les sexes,
j’arpenterai
ce qui reste de vos enfers,
je m’en irai honorer Dionysos
en des festins partagés.
Et s’élance sur les cimes un murmure,
un froissement,
quelque chose qui remue sur la terre,
quelque chose qui prépare le vide
aux fiançailles de la mer,
quelque chose qui coule dans la fissure
doux et chaud comme le miel,
c’est un feu qui décline
c’est un signe qui grandit sur ta poitrine,
c’est la pierre blanche
qui reçoit dans son intime blessure
l’encre,
semence d’une confession nocturne.




Sexe aveugle et puissant,
je m’enivre de cette nuit
devenue  promesse de chair,
je vois le déchaînement des ombres,
j’entends le cri de jouissance de la forêt première.

La nuit est violente,
des muscles de feu s’activent  à la forge.
Divine ! Grande plante des sombres saisons,
c’est là où je me recueille
entre vos cuisses brûlantes
je me délecte de votre semence.
O torrents ! O rivières !
Toutes vos  larmes ne sont pas aussi amères,
que vienne et me surprenne ce feu du ciel
admirable viatique écrit
pour un désenchantement sacré du verbe !
L’abîme n’est plus un cratère,
mais une coupe où nous venons boire l’infini
sous la cendre renaîtra toujours la vigne !  

Que notre cérémonie commence ! 









Trop effrayé pour répondre
il laisse la nuit dévorer ses ailes
voici qu’il perd de l’altitude
voici qu’il tombe
l’empereur foudroyé
le roi déchu des ombres !

Qu’as-tu donc fait être couronné
de ta couronne et de ton trône ?
Qu’as-tu donc fait
O roi du feu !
L’œil te regarde encore
du fond de ta tombe
et de tes os étranges instruments
s’élèvent les nuées sonores de tes tourments.
C’est diminué
l’esprit envahi d’impossibles édens
que tu basculas dans l’abîme
O fou ! Fils illégitime
d’une humanité qui se disait éclairée !










C’est ainsi que je parcourais la terre
et découvrais en marchant
tous ces solides présents,
ces chantiers,
ces forces oubliées,
ces portes ,
ces temples,
ces portiques,
ces colonnes extravagantes
toutes de porphyre et de marbre.
L’immense ne m’apparaît plus
aussi immense qu’autrefois,
j’observe et me contente d’observer.
Je réapprends la distance nécessaire
entre le fruit et l’arbre
entre la terre et le verger.










Vos mots,
vos cris n’ont plus de sens,
vos muscles tressaillent
et palpitent tous vos membres
sous les herbes odorantes,
vos visages sont recouverts de feuilles d’or
ils ont ces demi-sourires des dieux farceurs….





Je m’en allai autrefois en beuglant
comme un dans son enclos,
mais à la fin je vois que j’ai trop espéré
en cette  fortune d’ici-bas !


j’ai trop noyé mes paroles
dans du mauvais vin,
trop voulu jouer
entre dieu et diable,
je marche aujourd’hui
en levant la tête
pour regarder ce ciel
je commence si tardivement
à reconnaître certaines étoiles,
certains signes m’invitent au silence.
Il est vrai, je me suis souvent égaré,
mais peut-on retrouver son chemin
si on ne le perd jamais  ?  



Sous ce dôme de lumière
ils étaient tous assis.
Sans un mot,
sans fatigue je traversais cet espace,
et commençais à chercher
en ce cercle d’assis
ceux que j’avais connu,
ceux que j’avais aimé.
Et voici qu’ils étaient là,
tous calmes et  paisibles,
et ils me regardaient.
Il n’y avait nulle peine dans cette rencontre
nul remord, nul étonnement,
mais une paix  unique et profonde
une paix inconnue sur terre.


Seul
devant le miroir vivant des hommes
j’ai déversé mes paroles
elles étaient comme des pluies torrentielles,
orages de grêle,
c’est-là où je me suis plongé
en cet univers de l’homme
où toute graine est amère,
où toute saison est une prière.


Venez boire à la source
je n’ai rien volé au Léthé !
Mon sommeil ne vous laissera sur la langue
aucun goût amer au réveil !
Venez, et croyez en ce cœur incomparable !
La souffrance n’est qu’une semence de plus
sur une terre aride et sans frontières !
La souffrance n’est qu’un pas de plus
pour nous apprendre à reconnaître le mensonge
dans la plus insignifiante
ou dans la plus sage des paroles !
Venez, venez boire à la source !
Je n’ai rien volé au Léthé !
 N’ayez crainte ici d’abandonner
votre langue aux esprits,
votre crâne est cette coupe
où la vie se boit à grandes gorgées rapides
où vos pensées les plus vives
ne sont que des traces d’anciennes beuveries.
Buvez, buvez-en tous !
Mais voyez quelle folie, quelle furie
s’anime et s’empare de vos corps
et vous fait vous combattre tous !


O aveugles !
Bergers sans troupeaux !
Citoyens sans cité !
Bourreaux sans victimes !
Juges sans tribunaux !


Buvez ! Buvez !
Buvez, buvez-en tous !


De ces fruits amers de la nouvelle vigne,
buvez-en tout le jus sanglant !
Que tous les sarments brûlent
que tous s’éveillent en cette tombe univers
où l’œil du titan, faux prophète,
explose sous le coup terrible d’un pieu
à la pointe durcie par le feu !

Buvez, buvez-en tous !
Que l’amour fou né de ce miel
vous disperse et vous démembre
aux quatre directions du monde terrestre !





Croyez-moi je chante l’obscur
et l’obscur m’enchante.
Croyez-moi je besogne dur sur cette terre,
je me délecte de ses viscères
de son humus,
de ses restes,
de ses poussières de siècles.


Croyez-moi je me repais de tout cela
et cela aussi est ma terre,
croyez-moi ,
je traverse aujourd’hui l’immense
et l’immense me traverse.






Je suis celle qui mesure sans mesure,
je suis celle par qui tout se mesure,
je suis la mesure du monde
et ce poème est ma maison,
et ce poème est mon refuge
où je prends soin du linge du jour.

Je ne suis pas exactement ce que vous voyez,
je ne suis pas exactement ce que vous sentez,
mes pieds sans relâche foulent la terre,
mes jambes ont le hâle des saisons.
Je suis le flux et le reflux,
la souche impénétrable,
témoignant dans l’infernale cohue des machines
de cette tentative d’assassinat du silence.

Je suis la source prodigieuse,
celle qui ne se tarit à l’approche de vos lèvres,
je suis la compagne céleste, votre  sœur des nuées,
et je suis venu vers vous
sous les traits d’une passante,
insignifiante créature.


J
e m’égratigne, je m’écorche,
me blesse et me tue,
regardez faux disciples !
Faux prophètes !
Fils d’une magie oubliée, méprisée.


Regardez ce ciel
ces troupeaux d’angles et de lignes !
verticales arrogantes,
horizontales serviles !


Regardez ! Ce peuple d’énigmes !
Entendez toutes ses clameurs
toute cette invraisemblable cacophonie,
et osez dire à vos semblables
que vous êtes  fous !
Que vous êtes libres !
Que vous êtes vivants !
Surprenez-les en leur  sommeil
de gardiens de phares éteints,
agitez vos images
devant leurs yeux écarquillés,
devant  leurs corps repliés,
recroquevillés en leurs sièges de velours,
lovés en leur conscience feutrée,
regardez-les se vautrer
en leurs corps flétris,
couchés en chien de fusil
en attente d’aubes fracassantes
et d’aurores dépouillées.

Regardez !  Mais regardez-les !
Ils peignent leurs portraits
dans une débauche de pigments incolores
et se plaignent de leur cécité !
Regardez !
Regardez-les défaire joyeusement
leurs entraves du moment
et s’en charger de nouvelles !
Regardez-les !
Piètres figures sans regard et sans âme,
et entendez la grande leçon de ce siècle
comme tirée de la profondeur
du plus obscur des puits !


Regardez-les !
Et regardez-nous
si semblables à eux !
Nés de la même glaise,
du même trou triomphant,
des mêmes ténèbres
grondantes avec le sang.
Regardez-nous !
Effroyables, déterminés,
avec nos ventres pleins d’énigmes,
de désirs sans noms.
Regardez-nous !
Troupeau à l’aube de son sacrifice !
Mais regardez-nous !
Tous si prompts à la plainte, au vacarme,
tous si inutiles et si vides
bêlants troupeaux !


Et ce silence qui ne vient pas
ce silence tant attendu
comme un baume miraculeux
sur une plaie si démesurée.







Un vent se lève
et fait frissonner les feuillages,
voici le fruit,
il est mûr,
gorgé de soleil il tombe,
il tombe sur la terre,
et emporte avec lui
un éclat de la lumière du ciel.
Il tombe,
il tombe sur la terre,
tout autour de lui
dansent
des cercles.
Il tombe
à travers les siècles,
ce fruit mûr gorgé de soleil,
il saigne,
il tombe
et le sol trop riche
d’une génération de  forêts muettes
soudain
sans remords
l’étouffe.


Je suis cette forme
je suis la racine et la cime,
un pays pour l’oubli,
un continent pour âme de passage,
je suis le nom secret d’une ville
qui défia tous les puissants,
je suis cette ombre agile
qui tournoie au-dessus du miroir des eaux,
Je suis l’imperceptible,
Je suis celle qui veille au bord de la mer,
cette vague furtive au creux de vos reins,
je suis celle qui danse,
je suis l’ombre qui  vagabonde,
je suis une hésitation dans votre regard,
un tremblement sur l’arc de votre voix,
je suis la couleur, l’absence de couleur,
je suis le versant, je suis le sang,
je suis un ver hors du fruit,
l’arbre sans le fruit.











J
’ai gardé intacte ma vision,
je m’en suis nourri au plus fort
de toutes les mêlées sanglantes.
J’étais volontaire, apprenti visionnaire !
L’ombre parfois de ma raison
était un tombeau sur mes yeux.
Grande absence du verbe,
infini muet,
toute cette vaine lutte
en ces arènes où s’épuisent ces géants
qui jouent à être vivants !


De leurs bouches sombres,
horribles orifices, tombent en cascades
leurs rires sanglants.

En leurs mausolées de béton et de verre,
ces géants basculeront avec leurs machines
dans la grande nuit du dernier verbe !

C’est fragment après fragment
que je tombe en ce sommeil sans rêves
d’où j’ai tant de mal parfois à m’extraire
pour contempler ce qui me reste de lumière.
C’est fragment après fragment
que je peine à te traduire,
le ciel a ses plaines lui aussi
et voici qu’elles invitent
le vol sacré de l’oiseau rouge sang !






 
J
e vacille,
tout mon être tendu comme un arc,
je réalise ma folie,
je réalise soudain tout le chemin parcouru,
les nuages m’assistent,
ma tâche est absurde,
je suis ce nouvel esclave
qui doit remplir ce qui est toujours vide,
qui doit évacuer ce qui s’écoule déjà,
Je dois naître là où tout doit disparaître.


Enfant je le savais déjà,
les livres ne m’auront rien appris de plus,
nul n’est disciple
et sans maître il ne peut exister d’apprenti.









Vous avez mangé la moelle de vos os
et les restes pourris de votre cervelle,
vous avez trébuché
là où il n’y avait pas d’obstacle,
fossoyeurs d’esprits,
pilleurs de chairs mortes !

O vous étiez si fiers !
Toutes les cohortes à venir
portaient les mêmes sombres catafalques !
Vous avez mangé la moelle de vos os
et les restes pourris de votre cervelle,
vous avez mangé vos héros
de la vaste plaine sanglante de Waterloo !

O morne ! Très morne humanité !
Vos rires flamboient là où votre peau blêmit,
vous vous êtes tous précipité
sur le premier cadavre de l’histoire.
Vous vous repaissez d’animaux
et vous êtes devenus animaux.
O animaux ! 
Ce cri éclair lancé dans l’arène d’un théâtre
je l’ai entendu d’un prodige,
cet homme était  fou
Il brandissait sa folie comme un étendard :
« Animaux ! O animaux ! »
Je l’ai entendu dire et proférer
et j’en ai frémi
Un seul homme ici a compris.
Un seul !
Et c’est  tout le linceul du monde
qui tombe  sur le monde !
« Animaux ! O animaux ! »
Ce cri étrange nous traverse, nous vrille,
c’est dans cette puissante animalité
que nous avons puisé notre verve,
c’est dans la boue, dans l’excrémentiel
que nous pouvons jouir de notre  vérité humaine,
voici qu’un grand voile se déchire
qu’un rideau flambe !
C’est le cri de cet homme qui a tout fait !
« Animaux !  O animaux ! »
il suffit de le meugler !
L’horizon s’empourpre,
rien ne ressemble plus au meurtre
qu’une fin de jour ensanglantée
sur le grand miracle de la  plaine.

Vautours ! Illusions !
Comment traduire le langage
quand il nous manque l’alphabet ?
Comment comprendre les signes
si on nous ôte l’esprit !
Tout est trouble ici et troublé
comme pris de panique silencieuse,
de quel fardeau  sommes-nous aujourd’hui chargé ?
Quel poids a-t-on ajouté au poids de notre existence ?
Quelle nouvelle torture a été inventée
pour nous avilir, nous écraser.
Voudrait-on que l’on chante
que l’on danse ?
Que l’on hurle ? :
« vive la fin de l’homme ! »
Cet animal effroyablement nuisible.
Que l’on célèbre la fin de l’homme !
Que l’on chante cette fin de l’homme !
Voulons-nous  en  perpétuer la race ?
Voulons-nous  agrandir le troupeau ?
Ce troupeau jamais tout à fait innocent
jamais tout à fait coupable,
ce grand troupeau qui invente ses étables
et se donne des dieux invisibles pour bergers !
Ce troupeau qui a sanctifié l’or
pour nous traîner tous dans l’ordure !
Que l’on nous conduise aux abattoirs
et qu’on en finisse !









J
’ai veillé bien des nuits
bien des nuits ont creusé mes traits,
ont labouré mon front.


J’ai veillé, ombre discrète,
sur le moindre de vos sourires,
sur le moindre de vos soupirs.


J’ai veillé seul dans la nuit profonde
et j’ai cherché dans la nuit de vos regards
mes propres yeux
pour y puiser la lumière du monde.













I
l y avait cet homme qui se disait prêt
comme une arme chargée,
et derrière lui, et devant lui,
cette multitude d’experts
qui voulait soulager le ventre de la terre.

Dans les yeux de cet homme il y avait
une force invisible
qui poussait fort sur les racines,
les forçait à grandir.


Il y eut ce cri brusquement échappé
d’une bouche qui voulait renaître à l’air libre,
une bouche qui recrachait une image flottante
dans un ciel de décombres,
puis  cette soudaine
incompréhensible,
absence d’ombre.






J
e suis cette voix
qui traverse les siècles et les villes,
ma colère ?
Je l’ai oublié
elle est devenue
rivière tarie,
source  sans puits.


Quand le vent souffle ici
il vous semble sans doute m’entendre gémir,
le long des murs,
sous les portes
mais je ne pleure pas,
je grandis !
Je suis cette voix accrochée
aux griffes de votre verbe
bracelet d’or fin à vos chevilles
joyau discret sous la langue.


Je suis ce souffle ténu
des choses invisibles,
l’ombre fière et têtue
lovée dans la vague verte
d’un arbre triomphant.
Je suis cette voix et je passe
dans l’éphémère prolongé,
mes demeures sont toutes
d’os creux, de fémurs brisés,
où le chant des sphères s’élance
et harmonise cette matière du silence.











D
ans le berceau de ce monde
lentement prend forme et s’éveille
cette présence à jamais délivrée
de l’immense fardeau du corps.
















I
l se vit pierre,
pierre fendue en deux,
il se vit volcan,
volcan en feu,
il se vit arbre
frappé par la foudre,
il se vit là
propriétaire d’un domaine
déchiqueté par les flammes,
le front rougi
par cette insulte vivante au soleil.


Il se vit là
encerclé par la foule,
il se vit là
au milieu de tous
et prit peur soudain
à l’idée qu’ils étaient tous rassemblés
pour se repaître
du spectacle splendide
de sa mort.







J’avance en cette nuit,
le sel de la terre me cingle le corps,
ce sel de la terre si semblable au feu
qui s’agite sous la mer.

J’avance,
le songe est un astre lourd
qui pèse sur l’horizon des hommes.


J’avance,
comme une seule ombre
la foule tremble et recule,
une même fièvre l’envoûte et m’assaille.

J’avance
en cette nuit de pêcheurs sans filets,
de braconniers sans pièges,
je m’invente des liens
avec mes frères les arbres,
avec mes rires et mes larmes
je m’invente d’autres biens.



J’avance
je suis source,
rivière,
torrent,
j’avance
dans un paysage redessiné par le pur chaos,
j’avance
en ses ruines,
en ses fragments,
je m’invente une écriture.
J’avance,
ma chair est blanche,
la terre est noire sous mes ongles.
le monde semble suspendu à un seul souffle,
à un seul miracle.


J’avance
la voûte du ciel
semble s’ouvrir
j’ai une vision :
cascades de corps enchevêtrés,
de membres emmêlés, soudés,
en cette nuit
violente
des incendies
crachent leur semence
de cendres et de sang.

J’avance
je m’enfonce en cette terre
je suis sang,
je suis sans guide et sans foi aucune,
je me perds en des ombres
solides et liquides toutes à la fois,
je lutte à grand renfort
de gestes fous
pour m’extraire
de ce magma de paroles,
je suis une plante,
un arbre
une saison,
un feu,
un livre,
un corps
encore souple et chaud.


J’avance !







                                                                La nuit portera nos cris -     Juin 2009


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