L’UNIQUE VEINE
2006
Trois voix s’entremêlent,
se croisent,
s’interpellent,
l’une est
celle de l’esprit
l’une encore
est celle d’un guide
voix du
poète qui prophétise
de plus
grandes écritures,
la dernière
voix
celle de
l’auteur,
tente des
réponses
se fraie un
passage.
Toutes ont
cette volonté
de
débroussailler autour de l’être
afin
d’éviter qu’il périsse étouffé,
toutes ont
cette volonté de conduire l’être
vers la seule
lumière possible :
celle de
l’éternelle source de vie
qui circule
de l’univers à l’être
et de l’être
à l’univers.
Puissant est le songe et toujours maladroite
en est l’interprétation, la traduction.
« Avoir été, quoi qu’on en dise ne suffit pas pour être. Et il faut être puisque nous y voici. l’unique pauvreté »
A.
GUERNE Le temps des signes
Le verbe était devenu cette cordée
qui avance
malgré le vent, le brouillard
et même la
foudre.
J’imagine le
vent et j’imagine l’orage
la pierre
instable, le roc solide,
j’imagine
les éléments contre nous
et les
puissantes marées du sommeil,
j’imagine
lové à nos pieds
le grand
serpent du soleil,
j’imagine la
vallée
et les
crêtes alentour,
une plaine
toute en blé
qui ondule
comme la surface de la mer.
J’imagine
notre traversée
nos âmes
debout de l’autre coté
débarrassées
de toutes amertumes,
de toutes
craintes,
enfin
réunies
loin des
ciels taciturnes,
unies dans
leurs ombres
comme dans
leurs versants vermeils.
J’imagine
cette veine devenue nôtre
et notre
effort de naissance
pour émerger
ici entre récifs et collines,
j’imagine
cette lumière qui traverse nos corps
et je vois
cette humanité qui en ses temples élève
autant
de troupeaux immenses de veaux d’or
qui vont
férocement, stupidement la piétiner.
Image
combien aberrante de la faute originelle
qui condamne
toute une humanité !
la lumière
elle, traverse,
sans se
préoccuper du jugement
si misérable
des hommes !
Je ne vous parlerai pas ici de l’ancienne dualité,
je ne vous
parlerai pas ici d’enfer ou d’éden,
de damnation
ou de rédemption,
je laisse
cela aux seuls fanatiques
et à leurs
sermons enfiévrés !
Je laisse
cela à ceux qui se réclament
d’un dieu de
miséricorde
pour
alimenter leur haine
et assouvir
leur faim de crimes !
La lumière
circule
elle ne
connaît ni étages supérieurs
ni étages
inférieurs,
elle est
onde,
particule,
elle aussi
évidence,
pulsation du
monde.
Devant nous
s’étend l’obscurité,
et cette
obscurité est différente de la nuit,
cette
obscurité n’est pas semblable à la nuit.
Nous l’avons
nourrie de nos peurs,
de nos
colères,
de nos
doutes.
A cette
obscurité
nous avons
donné une épaisseur
une
présence,
nous y avons
placé nos effrois,
nos actes de
guerre,
et cette
obscurité a grandi
avec la
folie de tous les hommes,
à cette
obscurité-là nous avons donné
son poids de
cadavres et de sang.
Les pierres parlent aux pierres
Les arbres parlent aux arbres
Les fleuves parlent aux fleuves
Mais vous à qui parlez vous ?
et qui pourrait vous répondre
à la place de la terre, des racines et des eaux ?
et qui pourrait vous répondre
à la place de la terre, des racines et des eaux ?
Je vois mille soleils sur la ligne
et sur cette
ligne mille soleils alignés,
je vois une
ligne traverser mille soleils,
mille
soleils saluer la seule ligne.
Je vois une
main, tout un peuple de mains
et derrière
chaque main une vibration
un verbe
tout de frémissements et de signes,
un verbe
émergeant de nos brouillards
de nos
incertitudes toujours présentes,
toujours
flottantes.
Je vois
comme une vaste demeure ;
autour, des
arbres à la rouge écorce,
je vois des
jardins et des chemins de pierres,
je vois le
ciel s’ouvrir
sur une
lumière
que l’on ne
peut décrire.
je vois tant
de choses si ordinairement imperceptibles,
je les vois
aussi réelles que toutes choses ici-bas,
je vois
l’âme mais non au sens religieux,
je vois le
temps en dehors du temps mesurable,
je vois
toute chose
comme un
élément d’une unité disparue,
Je vois
et je ne
suis fils ou esclave de la vision,
Je vois la
montagne
et je vois
la plaine,
j’exerce mon
regard,
le polis à
l’angle de la pierre,
fauche en
ouvrier solide
les franges
des nuées.
La parole est une montagne,
qui es-tu pour te dire au sommet de
la parole ?
Il n’y pas de sommet
que tu ne puisses
en cette vie
humaine,
atteindre.
Interroge-toi !
et tu verras
apparaître mille autres montagnes semblables,
mille autres
cordées semblables !
Grappes
d’âmes toutes persuadées
d’atteindre
avant toute autre
leur
sommet !
Et en
imaginant même qu’elles y parviennent
ces folles,
ces téméraires cordées,
de là-haut
que verront-elles ?
des âmes en
sueur, des corps en souffrance ?
Elles
verront enfin d’un coup tout le spectacle
malheureux,
pitoyable de leurs anciens efforts,
elles
mesureront alors l’éternité de leur orgueil !
Etre tour à
tour
Terre, ciel
et feu.
Le feu brûle
la terre
et tend vers
le ciel
ses langues
rouges,
furieuses.
Le feu aussi
nourrit la terre,
la prépare,
la terre
doit accueillir le feu
comme elle
accueille les offrandes du ciel,
et le ciel
sur tout cela
a son règne
de lumière.
« Nous allions notre chemin ;
et le chemin nous allait. »
A. GUERNE Le temps des
signes
Ce chemin
était nôtre
et nos pieds
jamais n’y furent blessés.
Ce chemin
était nôtre
comme était
nôtre cette conscience
que nous
avions de ce chemin
et de cette
marche commencée sur le chemin.
Ce chemin
était nôtre car nous l’avions choisi,
pas d’autres
mystères ici,
notre
souffle était notre guide
il nous
avait conduits là,
pas d’autre
raison à cela
celui qui
cherche se fourvoie,
celui qui
n’attend personne
reçoit une
visite,
celui qui
veut tout expliquer s’aveugle,
pas de
raison à cela.
Ce chemin,
nous
pouvions en réinventer
aujourd’hui
chaque courbe
pour
l’unique raison
que nous
l’avions déjà parcouru en tout sens,
que nous en
connaissions
parfaitement
tous les accidents.
Ce chemin
était nôtre
notre désir
de marche en avait fait surgir
chaque
détour,
chaque
pierre,
chaque
fossé,
chaque arbre
qui abrite la grande fraîcheur du temps.
Ce chemin
nous l’avions déjà rêvé
et nos pas
reconnaissaient à merveille
les traces
de nos précédents passages.
Notre âme
est peut-être l’ensemble de nos anciennes vies
qui
reviennent sur les mêmes lieux.
C’est
pourquoi ce que nous croyons déchiffrer ici-bas
en tant que
signes ne sont que les mêmes signes
que nous y
avions jadis déposés.
Votre force ici n’est que faiblesse
ce que vous nommez force est grande faiblesse,
ce que vous désignez comme faible rayonne !
Vous êtes dans l’erreur
parce que
vous ignorez l’erreur,
l’erreur
n’est pas le contraire de vérité,
vous êtes
dans l’erreur
car vous
croyez en la vérité,
car vous
croyez en une seule vérité,
acceptez la
présence,
l’universalité
de l’erreur
et vous
commencerez véritablement à marcher.
Enfant, vous
avez découvert vos jambes
avant de
savoir marcher,
mais vous ne
saviez pas
que vous
pouviez leur commander,
vous ne
saviez pas encore
qu’elles appartenaient
à votre
être,
vous êtes
aujourd’hui comme cet enfant
vous
percevez de temps à autre
l’existence
probable d’une âme,
vous
l’admettez parfois
mais vous
doutez qu’elle soit vôtre
vous ne
soupçonnez pas la puissance de son aide.
Ce que vous
nommez ici votre force
vous conduit
souvent à votre perte,
ce que vous
considérez ici comme faiblesses
sont les
armes magnifiques de l’âme,
ces armes ne
sont ni de fer ni de sang,
elles ont
été plongées dans le sel de la lumière,
elles sont
vos mains
elles sont
devant vous !
Mais dans
votre fière ignorance
vous les
avez toujours négligées
vos mains
sont vos armes de lumière.
Les
présences du fleuve et de la forêt parlent par énigmes :
« il
faut écarter les hautes herbes
pour
apercevoir la quille d’une barque
qui nous
attendait là depuis l’aube »
Seul le jour
peut permettre cela.
Là où brûle la lampe,
L’obscurité veille
A ce jour tu es lampe
sur la nuit
des hauteurs
à ce jour tu
es lampe
tu n’avais
rien vu venir alors.
C’est
l’arbre qui parle
mais c’est
le vent qui souffle,
peu importe
le son,
peu importe
le timbre,
celui qui
souffle
n’est pas
celui qui a inventé le creux.
Tous
participent à ce grand mouvement de l’air,
celui qui
entend comme celui qui souffle,
tous
participent à ce chant
qui se
libère de sa gangue de terre
et vole vers
la lumière.
« Il nous parle interdit à grands mots de silence
et parfois il se tait le feu. »
A. GUERNE Le
temps des signes
Interroge !
Interroge le
vent, la pierre, le mur, l’arbre
interroge le
sable, la mer, la montagne,
interroge le
ciel,
interroge le
silence comme la clameur
interroge ta
peur,
interroge
tes visions,
interroge-toi
sans cesse,
interroge le
verbe,
interroge le
moindre murmure,
le moindre
bégaiement,
interroge
tes membres,
le discret
tremblement de tes membres,
interroge
tes pieds,
interroge
tes mains,
interroge
tes yeux,
interroge
ton corps entier,
interroge le
monde,
interroge
tout ce qui fait cercle autour de toi,
puis libère-toi
de toute interrogation
pour
entendre toutes les réponses.
Il vous faut ni pouvoir, ni vouloir,
le seul verbe est croire,
croire en la lumière,
croire en la lumière,
croire en cette possibilité de
lumière
c’est déjà entrer dans la lumière.
c’est déjà entrer dans la lumière.
Il nous faut traverser les Églises
et ne pas
nous y arrêter.
L’être
nouveau ne veut adorer aucun dieu,
l’esprit
nouveau ne veut ni temple ni tombeau.
Nous devons
attendre la chute
de ceux qui
portent le masque,
nous devons
attendre cette chute
sans la
désirer ni la provoquer.
L’écriture
doit être cette main qui dénude,
qui révèle,
l’écriture
doit être cette main
qui ôte les
parures,
l’écriture
doit être cette main
qui apaise
les brûlures.
Et c’est par
cette écriture
que nous
serons encore debout
pour saluer
la première aube du monde.
Le corps est la porte,
ne méprise pas la porte,
garde-toi de tout ce qui peut la
tenir fermée
et accueille tout ce qui peut la maintenir ouverte.
et accueille tout ce qui peut la maintenir ouverte.
C’est là où toute humanité se trompe,
le corps
n’est pas un temple
ni un lieu
de perdition,
il ne doit
susciter ni l’adoration ni le rejet,
toute
religion qui l’accable se nie elle-même,
toute
philosophie qui le vénère
le
transforme en simple objet,
quand le
corps disparaît
la porte
s’efface, mais la demeure reste !
La lumière y
est même plus vive
elle
peut alors s’y déverser à grands flots.
Aimer le
corps
ce n’est pas
le réduire aux frontières connues du corps,
aimer le
corps
ce n’est pas
le réduire à ses fonctions organiques,
aimer le
corps
c’est
comprendre qu’il est cette porte
qu’il nous
appartient seul d’ouvrir.
« Sous le déluge incandescent de la vision
la voix s’aveugle et se tait comme neige;
Mais ce silence soit ! qu’il tombe ou se relève,
Regarde : tu es seul devant ce seul hiver. »
A. GUERNE le temps des
signes
J’entends
cette voix
mais elle
n’est pas voix au sens physique du terme,
cette voix
est différente d’un monologue intérieur,
c’est une
voix d’évidence,
une voix qui
s’impose,
une voix
dont on ne peut refuser
ni le sens
ni la profondeur.
Toute la
difficulté est de la transcrire,
de la rendre
visible après l’avoir entendue,
cette mise
en lumière est laborieuse,
il nous faut
prendre nos outils,
retailler la
pierre,
pour
retrouver la gemme première.
Longtemps,
il nous
faudra oeuvrer,
et c’est
éclat après éclat,
à force de
patience,
de
dextérité,
que nous
nous approcherons du cœur de la pierre.
C’est, je
crois, l’immense travail de la poésie.
Prenez garde aux adeptes, aux disciples du manque,
aux virtuoses du verbe,
ils viennent vers vous avec leurs
promesses d’Eden
et très vite dévoilent la véritable
nature de leurs corps :
tant de bouches avides toutes hérissées de dents !
tant de bouches avides toutes hérissées de dents !
« Pendant que je sommeille, quelque chose veille en moi,
qui dort pendant que je veille »
A. GUERNE La nuit veille
Je veille et
la nuit même m’apparaît secondaire,
sans relâche
je compte mes doigts,
le nombre
est immuable,
je
m’astreins chaque jour à dénombrer le visible.
Bientôt,
la nuit
viendra me dérober la vision même de mes doigts.
Néanmoins,
je continuerai à les compter.
Le nombre
est immuable,
le jour au
moins m’aura appris cela.
Veillerez-vous
encore en ces mondes
où les corps
filent vers des Orients imaginaires
où les corps
désorientés défilent
sur des
écrans que l’on dit révolutionnaires ?
Veillerez-vous
encore au bord de cette rive
qui attend
le pont et ses trois arches solides ?
Veillerez-vous
en ces nuits froides, brumeuses
où le
visiteur inattendu allume un feu
et s’endort
dans sa haute solitude
tressée
d’arbres rouges et d’herbes savantes ?
Veillerez-vous
encore
sur toutes
ces lignées de veilleurs ?
Et à la
lisière des forêts futures
veillerez-vous
sur un monde
qui aurait
encore volonté de s’éveiller ?
En toute situation ne
travaillez pas contre ou pour la lumière
mais avec la lumière.
mais avec la lumière.
« Ce feu, toujours ce feu.
Oui te voici
Puisque tu es le jour,
Puisque chaque heure
Écoute, écoute ! a le don d’éclater
Retentissant comme un soleil
dans ta main constellée :
Parce que te voici et tu es nudité. »
A. GUERNE Le temps des signes
Je vous
rejoins donc en ces espaces indomptés
où s’offre
la parole de glace et de feu,
comme un
océan sans limites
pour nos
corps finis, mesurés.
Je vous
rejoins fruits naturels de la lumière,
je vous
rejoins fruits féconds gorgés de soleil,
Je vous
rejoins O multiformes !
Esprits
présents jusque dans le crin des chevaux !
Je vous
rejoins en cette farandole
des âmes
joyeuses
autour de
l’arbre séculaire.
Je me
déleste ici de mes peaux mortes
et ne veux
apaiser la fureur des flots,
apprivoiser
le souffle.
Je reviens
sur des ruines anciennes
bâtir une
nouvelle cité du soleil,
je reviens
accomplir ce qui doit être accompli,
je reviens
et vous abandonne
le poids de
mes âmes dispersées,
j’aspire à
la mue
et je
m’ouvre en cette nuit
au grand
continent.
« Océan de sommeil je suis votre noyé.
Ah ! Quelle était cette tempête ?
Quel est ce souffle très léger
comme un oiseau de l’aube,
une aile de l’aurore ?
Éblouissante, éblouissante obscurité »
A .GUERNE Le temps des signes
Me suis-je
noyé seul et en quel temps ?
Me suis-je
trompé de terre ou de sillage ?
Ais-je perdu
cette force vivante en mes veines
me suis-je
perdu à force d’explorer
fausse
volonté !
mes propres
abîmes ?
Me suis-je
noyé seul,
aveuglé par
ma double naissance ?
Ai-je
toujours attendu cette heure heureuse
où l’écume
se retrouve mêlée au sable
me suis-je
noyé en cet effort incessant
entraîné par
la pierre trop lourde de ma conscience ?
Me suis-je
volontairement noyé
afin de
recommencer ici même
un autre
cycle de vie ?
En tout lieu je suis,
mon Église n’a nul besoin d’église.
Tout lieu est ma terre,
tout lieu est mon ciel,
il n’y a pas de pierre sous laquelle je ne suis pas,
pas un seul arbre où je ne respire,
pas une seule rivière où je ne coule,
ne me cherchez pas sur un autel
derrière une idole, une icône,
ne me cherchez pas là où je ne peux pas être,
mais là où je suis,
là où j’ai été avant d’être.
Il vous faut apprendre
à devenir le bon passeur de vos âmes.
à devenir le bon passeur de vos âmes.
Continuez et
le flot de votre parole
vous
conduira à la mer,
continuez et
votre souffle
deviendra
semblable à ce vent
qui gifle
les pierres,
griffe la
poussière.
Continuez,
l’aube
vivante vous parlera d’aurores vivantes !
Continuez,
vos âmes
franchiront
le passage
de cet hiver
comme elles
ont déjà franchi
tant
d’autres saisons !
Continuez,
et c’est par
la voix devenue main,
c’est par ce
sang devenu encre,
que vous
chasserez toute peur
et entrerez
vivants dans la lumière !
Ouvre- toi à la lumière,
elle te fera grandir
non dans la mémoire des hommes
mais dans la mémoire
de la terre, du feu et du vent.
Tout ici palpite d’une vie plus grande,
tout ici
aspire à un espace plus grand,
tout
ici habite et est habité.
Ce métier a
façonné notre âme,
il suffit
d’écrire pour ne pas plier,
il suffit
d’écrire pour vaincre l’obscurité.
Repoussons
un peu plus loin l’incertitude
nos craintes
et nos peurs,
nous sommes
des gardiens
et nous
devons veiller
sans frémir
ni trembler,
nous sommes
les gardiens
d’un passage
vers l’éternité.
Notre plus grande erreur fut de réduire le corps
aux
dimensions du corps,
faire
abstraction de l’esprit
c’est couper
le cordon qui nous relie à l’univers.
« C’est le gémissement de ton âme oubliée, O ! Maudit »
A. GUERNE Le Temps des signes
J’ai allumé
un feu dans la nuit de vos pas
et j’ai vu
le chemin qui conduisait à vos âmes.
Il était de
pierres blanches et entre ces pierres
l’herbe
continuait à se frayer
un passage
vers la lumière.
Il y a de
ces évènements
qui
précipitent l’âme au ciel,
et des élans
qui ressemblent à des chutes.
Éternelle ici la douleur, éternel est le signe,
mais de cette douleur et de ce signe
faites-vous une parure de joie.
Voici qu’il brûle
et voici
qu’il tombe
cet oiseau
mystique
signe gravé
dans la cire du temps,
Voici qu’il
brûle
et voici
qu’il tombe,
et tous
d’être
en attente
d’un brasier
au seuil du
labyrinthe.
Voici qu’il
tombe
et voici
qu’il brûle,
voyez tous
sa fin
sculptée
dans la chair du temps.
« Ceux qui dorment, qu’ont-ils à dire du sommeil et du vent ? »
A.GUERNE Le Temps des signes
Je rêve parfois de ne pas rêver
et de dormir
tel un rocher
ou comme un
arbre
soudé par
ses racines profondes.
Je rêve
parfois de ne pas rêver
d’être une
rivière, une onde,
un fragment
du monde
mais le
jugement des hommes est là
pour
torturer les hommes.
« Sombre sang ! Sombre sang
Tout éclatant d’orages taciturnes
Et de feux noirs,
Hanté de foudres endeuillées
Toujours debout sur tes abîmes,
Toujours furieusement, toujours férocement
Silencieuses, prophétiques,
Comme une main du ciel
Sur l’océan de ta colère ou comme
Le monogramme du mystère ! »
A GUERNE Le temps des signes
Le visionnaire aveugle
Sombre
sang ! Sombre sang !
C’est la
nuit qui saigne sur nos genoux,
c’est la
nuit tout emmaillotée de brumes
qui dort en
son grand rituel sous la lune.
Sombre
sang ! Sombre sang !
Et toi que
viens-tu voler ici
dans l’ombre
grandissante du troupeau ?
Que viens-tu
prendre ici
autre que ce
qui t’appartenait déjà ?
Sombre
sang ! Sombre sang !
Il a
suffit d’un signe, d’un geste,
pour faire
croître sur cette terre
la sève
noire des grands massacres.
Sombre
sang ! Sombre sang !
C’est la
nuit qui veut renaître sous la terre,
c’est l’île
muette où les êtres nus
ne
parviennent plus à se reconnaître.
Sombre
sang ! Sombre sang !
C’est
l’arène tout entière
qui
disparaît dans l’ombre
du poulpe
noir de la foule.
Sombre
sang ! Sombre sang !
Le siècle
bascule
entre
ferrailles et aubes tordues,
des jardins
brûlent,
le poète se
lève,
précipite
son verbe vers l’abîme
et son cri
claque comme un grand cri de guerre :
Sombre
sang ! Sombre sang !
Chaque jour
ici
je soulève
mon propre poids de poussière,
chaque aube
révèle ma nudité.
Je ne compte
plus ici
mes pas et
mes chutes,
je ne compte
plus,
et c’est
peut-être là encore
toute ma
force.
Voici tout
ici est porté
et l’astre
sous mes paupières salue l’éternité,
est-ce bien
là l’unique, la seule pauvreté ?
j’ai voyagé
en ma mort
je vous en
ai rapporté une chair,
des nerfs,
du sang et des os,
j’ai voyagé
et j’en suis
aujourd’hui à ma troisième mort.
« Sois donc ce fruit muet qui prophétise
Et ce long tremblement dressé contre le cœur!
Toi l’éternel enfant d’un verbe nu
La langue dépouillée de toutes aventures ! »
A.GUERNE Le temps des signes
Trop de paroles, trop de verbes !
Continuez à gravir
tout en maîtrisant la pratique du
silence,
c’est au sommet seulement que peut
être enseignée
la non-présence de tout sommet.
la non-présence de tout sommet.
Sonore est le feu,
Sonore est
la terre,
nous portons
en nous le résumé de l’univers
et nous
ignorons tout du chemin de nos âmes.
Sonore est
le feu,
Sonore est
la pierre,
tous nos
breuvages sont âpres
et
enflamment la multitude de nos veines.
Sonore est
le feu,
sonore est
la pierre,
en cette
grande spirale du verbe
où le sang
sombre
d’une
humanité livide
alimente en
souffrances et en doutes
un esprit
dévoré par le néant de son double.
Que
cherchait-il d’autre
ce peintre
aux signes furieux
aux
constellations bousculées, confuses,
traces
éruptives traversées par d’étranges météores,
que
cherchait-il d’autre
que ce
masque posé depuis le commencement
sur ce grand
corps de la terre
assoiffé de
sang et de feu ?
Dispersés dites vous ?
Tant mieux !
Vous ne pourrez ainsi que mieux essaimer.
Vous ne pourrez ainsi que mieux essaimer.
« Le sauvage, c’est lui ; le féroce c’est lui,
le mortel ennemi et la source éternelle des ombres.
Plus magnifiquement que tous, il vit sa mort.»
A.GUERNE Le temps des signes
Nous sommes nés sauvages
une journée
de juin sur le versant d’un mont,
nous étions
trois et le verbe nous traversait,
nous étions
trois
et tournait
tout autour
le futur
grand orage des hommes.
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