samedi 28 janvier 2017

Circonférence des exclus 1996-1997







CIRCONFERENCE  DES  EXCLUS

 
1996-1997








1



Les sites que nous explorons se ressemblent,
nous parlons la même langue,
nous sommes du même centre
du même périmètre,
et superbement nous nous ignorons.



 

2

Les racines poussent sous les pierres
les bousculent,
les soulèvent,
comme elles rêver de déranger l'ordre établi,
comme elles œuvrer dans les sous-sols,
porter la vie là où on l'étouffe le plus.



3

Palpite ici une vie plus grande,
une vie divisée en cercles
où le temps seul peut conclure.

Ouvrez cette fenêtre,
laissez entrer les vagues du monde,
déferlement de chants profonds,
nos corps, écorces abruptes,
se dressent soudain,
hors de leurs trônes
sous un ciel de pulsars et de comètes.


4

Dans le cercle de l'objectif il y eut cet homme
dernier représentant de son peuple,
image tragique de cet homme seul
qui semblait nous parler,
était-ce un adieu, un jugement ?
Notre civilisation soumise à l'image
ne pouvait retenir que cette trace muette
à  jamais amputée de son vrai message.


5

L'orgueil c'est de se croire à l'intérieur,
aspirer à l'exploration d'un monde
avant d'ouvrir les yeux
sur ce qui l'entoure.

6

La perception de notre circonférence est immédiate,
notre inconscient la décrypte,
notre raison l'analyse,
nous ne pouvons lui échapper,
elle devient plus vaste
résidence à surveiller,
chaos de raisons emmêlées.

Nos rêves ne parviennent plus à reculer ces limites,
toutes ces mémoires, ces circuits,
travaillent à l'asservissement de tous.
Nous ne pouvons que plier, plier sans cris.

Entrer dans la circonférence
c'est déjà subir la sentence.


7
Ne pas concevoir d'éveil sans douleur,
de voix sans chants,
d'écriture sans être tous les êtres.




8

Vous nous parlez de portes,
de sempiternelles portes,
derrière lesquelles nous ne sommes pas,
de portes même entr'ouvertes
abandonnant aux intrus que nous sommes
une humble ouverture
où nous pourrions nous faufiler, nous défiler,
las !
Nous ne pouvons qu'attendre
que la durée de l'attente s'amenuise,
nous ne pouvons qu'apprendre à attendre !


9

Notre faim ne peut trouver ici sa nourriture,
notre soif ne peut trouver ici sa nécessité,
nous sommes faits de la même matière que les étoiles
et l'on nous force à vivre comme des cailloux.

10

J'écoute la vie jamais sereine,
sève chaude en nos veines,
cette vie se précipitant
en ce vaste corps incarcéré.

Chant de mise au tombeau,
chute d'un homme pour une parcelle de terre brûlée,
chant où l'on pleure l'arbre et la mer.
11

De cette prison de chair d'où je vous regarde,
d'où je peux encore vous parler,
de cette prison vous ne retiendrez que l'apparence,
mais l'esprit qui en dedans a  lutté et n’a jamais abdiqué
qui s'en souviendra ?


12

Entre ces lignes nos corps cherchent
leurs prolongations intimes,
nos voix hors du monde
s'épuisent en des épreuves,
l'embuscade est quotidienne et violente.

Des manuscrits entiers s'échappent de nos fronts,
nous ne pouvons les retenir,
chaque perte nous précipite dans l'anonymat,
chaque défaite exhibe les plaies de notre pensée.

Entre ces lignes
cette parole exilée installe au fond de notre désir,
le doute affreux qui tout en souillant la couleur
lui donne richesse et vie.




13

La ligne droite n’existe pas
elle n’est qu’un chaos organisé
né avec  ce seul souci :
ne point trahir l’influx du point d’origine.


14

Toute pensée est un effort
visant à retrouver l’être sous la peau.


15

Quand la lumière se décidera enfin
à nous renvoyer l'image de tous les chaos,
Il sera gravé dans une matière plus noire que la nuit
le premier nom de l'homme
qui découvrira les limites de son univers.





16

Dislocation :
mal réparés,
mal ajustés,
des éléments s'ajoutent.

Nous voici devant le mal réalisé,
catafalque de toutes les synthèses.

Mise en abîme,
rejet de tous les rejets,
dans cette fosse si prolixe,
carnaval des prothèses.

Simple dislocation
ou malhabile opération ?
On ne peut soulager l'âme
on ne peut en extraire Dieu.
Le pire est le verbe
et le verbe est à venir.


17

Il y eut le message
puis la trahison : 
L’architecte et son œuvre.





18

Même si la main continue à lire
à l'ombre des arborescences de la pensée,
même si l'Ame trop délétère
cède au mythe d'un ciel déchu,
c'est toujours l'être émerveillé qui domine.


19

En pleine guerre
un vieux théâtre rejouait les classiques,
quand un violoncelle lança sa plainte ultime
trouant la nuit,
cette nuit totale et dernière
où les metteurs en scène se font brancardiers.

20
Joie pure et vivante
de ces jours passés dans ces jardins où ne poussent que certains fruits
arrosés par la lumière de l'esprit.




21

Nous avons assez erré en ces labyrinthes,
assez veillé sous les fenêtres du monde,
nous replierons nos ailes
et attendrons l'inévitable.

22

Ainsi s'en viennent les transparents,
peu d'histoire ou si peu,
leurs bagages sont restés
dans les ornières du temps.
Les lointaines gares d'où ils arrivèrent
ont fini dans les livres.
Ils couchent sous nos fenêtres,
parlent devant nos portes,
se partagent de temps à autre
les restes de nos repas
et disparaissent proprement
sans perturber l'ordre.

23

Exclus de nous-mêmes
chassés du centre de l’univers,
nous le sommes aussi de notre corps
lieu de procréation.
Mères, nouvelles matrices,
où des êtres interchangeables
s’éveilleront à une vie
rangée, étiquetée,
nettoyée de toutes pensées suspectes.





24

Tous enfermés en un ciel putrescible
où la chair se déleste de toute pesanteur.

Tentons-nous ainsi de déchiffrer nos égarements ?
Possibilités anciennes de vies
aujourd'hui dispersées et inutiles,
quels sont ces souvenirs tous noyés
dans une symphonie d'ocres mal peints ?
Sommes-nous sorti indemnes de ces dérives,
de ces renoncements ?
Ce cercle qui le plie,
et le replie à toute heure ?


25

Chaque pierre veut sentir le fond du torrent,
nous cherchons le verdict
et ne trouvons que la jouissance,
pas de perdition plus efficace
de déviation plus grande,
nos corps ne ressentent plus de limites
aspirées par l'ultime dépravation.






26

Après bien des périples et des drames
arriver devant le miroir et s’en sortir
propre,
indemne,
sans reflet.


27

Violence faisant rage ici et là,
violence exacerbée
par tous ces regards greffés à l'écran,
violence identifiée comme toujours lointaine
alors que nous sommes précisément en son centre.
L’œil du cyclone est toujours paisible.


28

Oublions l'homme
retenons l'homme,
un pas dans l'oubli
un pas dans le souvenir.

Avons-nous assez marché
pour voir ainsi
la houle formidable des foules
nous entraînant vers les prédicateurs,
prophètes de toutes les dissonances.


29

En de tristes fauteuils,
des bouches s'animent,
les corps qui les entourent
sont dépourvus d'oreilles et de regards.

Qui peut répondre ?
A la frontière toujours plus pesante des doutes,
sur cette terre où tous arrivent
où personne ne reste,
qui peut répondre
à la place des mères ?

30

Fuir cette chambre sans fenêtres,
cette maison  sans cour ni jardin,
fuir, là où plus rien ne peut nous encombrer,
nous contraindre, nous réduire.
Fuir pour un autre lieu
où tout  pourrait nous surprendre,
où nous pourrions nous arrêter
à une lettre de notre alphabet
comme bon nous semble.

                                                                


                                                                                 31

Longtemps nous fûmes habités
par des choses graves et sans couleurs,
longtemps nous eûmes des itinéraires
chemins d'une souffrance magnifiée.

Longtemps nous nous crûmes vieux
alors que notre jeune sang
portait l'ivresse à nos tempes,
des glaciers se rompaient avec fracas
comme s'écroulent des remparts
sous les feux multipliés de l'ennemi.


Nous acceptions cela,
sans songer en notre raisonnement tyrannique
à la partie invisible,
celle qui sort toujours grandit
de l'écoulement du temps.



32

Sous la charpente de chair,
la peur au travail,
la douleur en ce lieu,
les os ne peuvent porter.

La bouche lavée de toute parole
comme un cratère mort,
cette peau grande écharde plantée de travers
au centre du cercle blanc.


33

L'ombre draine toutes les sources,
ce patient rêve de pierre
s'écorche lentement
sous l'outil du graveur.


34

En cette circonférence
les mots n'ont pas d'attaches particulières,
c'est par le plus grand des hasards qu'ils semblent cohabiter,
forgeant des silences, bâtissant des mondes,
et ces mondes grandissent plus vite
que les signes qui les ont vu naître.



35

Vous m'avez livré à la ville,
je suis resté sourd à toute cette beauté
capable de me tenir langue et poings liés.

Si vous me voyez ici
avec des désirs d'automate oxydé,
si ma voix vous répond,
si mes bras semblent vous obéir,
alors c'est par une triste habitude
qui fait se ressembler les non identifiables,
les sans corps fixes,
tous les exclus des fleuves et des terres.



36

La chute ne dura guère
elle nous priva de ces nouveaux horizons,
elle expulsa loin de notre corps
tout ce qui pouvait œuvrer
à nos multiples enfermements.

La  chute ne dura guère
invisible aux yeux de tous,
épouvantable dans sa démesure.



37

Que ce cercle est étroit
et la raison obscure !
Manque la réplique
et le procès des coupables.
De ce crime il ne  reste rien,
les assis seuls témoignent.

Peut-être le vent ?
Ce souffle il vient de si loin,
il se cache, se traîne,
se couche, implore.

Nous sommes d'une perversité autre,
des objets sans histoires nous surveillent
nous ne leur prêtons nulle attention.





38

La lumière ne nous atteindra donc jamais,
elle restera toujours en dehors,
et nous en dedans, à nous interroger
sur cet ailleurs si parfait
dans son obstination à ne pas vouloir exister.


39

C'est d'une autre fièvre
dont ma raison voudrait vous parler,
d'une autre fuite aux lointaines explorations,
d'une autre immensité sans limites connues,
une immensité sauvage,
où le vent seul,
peut tout écrire et tout effacer.



40

Il nous faut sans doute plus de temps
pour comprendre le sens de cette quête,
pour que l'homme devienne
le bon élément de la réponse.

Il nous faut sans doute plus de temps
pour tenter une reconstruction de cet homme
pris dans la tourbe des chantiers,
pour que la mémoire à force de blessures vives
habite cet être nu s'interrogeant sur ces troubles appartenances.

Il fallait sans doute plus de temps à la pensée
pour atteindre le cœur
là où toutes les énigmes entrelacées
forment la trame de ce monde
qui ne sera jamais le nôtre.


41

Je vous surprends debout
en cette circonférence malade de ses bords,
cette conscience nomade
autour d'un épicentre toujours en mouvement,
mer tourmentée en deuil des phares,
mer des gouffres et des failles invisibles,
quelle lumière se lèvera donc jamais
dans le miroir des hommes ?

Nous avons laissé derrière nous
tant d'abominations,
parviendrons-nous à revivre en ces cités brûlées ?
Quels conteurs logèrent sous ces arcades
ouvrant sur des cours secrètes et luxuriantes
aujourd'hui déserts et terrains vagues ?
Quels poètes peuvent encore chanter
sur cette terre délaissée ?




42

C'est un peuple qui frappe
à la devanture du monde,
pas d'abris pour les plus humbles
notre peu d'humanité flirte avec les ruines.

Je vous laisse à ce silence,
à ce répit,
cercle où les destinées s'annulent,
où la pensée chavire et sombre.
Je vous laisse à ce réveil difficile,
sur le sol aride de la réalité
à cette étreinte étroite et ancienne
je vous laisse le vent du désert
et le froid des musées …

43

Vous avez peut-être vos noms
perdus en des cahiers de littérature,
mais vos visages ne vous appartenant plus
se sont couverts d’ombres et de tristes peintures.
De toutes ces nuits truquées
de tous ces indécents mélanges
vous en revenez inassouvis et moins sages
les gravats du jour ne vous émeuvent pas.

Le fiel dans vos veines coule
crée au passage d’autres enfers
et c’est avec cette écriture
laborieuse et attentive
que vous l’avez construit
solide et inaliénable ce cercle.



44

La note était pure,
les braises froides,
et tout a pris feu
en un chaos sonore.





                                                                            Circonférence des exclus - juin 1997

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