LA NUIT
TRAVAILLÉE
TRAVAILLÉE
2003
1
Enveloppés
en nos nuits
en nos
désirs,
enveloppés
en des
rubans de soie,
érotisme du
sommeil,
offrande
nous plongeant
en des
vallées creusées par la sueur.
Frissonnements
à la lisière du défendu,
ventre à la
douceur embrasée,
pluie fine
du désir
en lentes
échappées,
ce corps
lové, étiré,
pieds et
mains moites,
plis
nombreux à l'intérieur,
ce corps,
tout en
beauté,
l'amour en
creux,
le plaisir
en vagues.
2
Des lèvres
au masque,
de la bouche
au cri,
paupières
tenues en laisse,
le désir a
forcé la grille
et pillé
notre nuit.
3
Noces
malignes
la fausse
note s'est invitée,
tragédienne,
bas résilles
et mantilles,
robe fendue,
éclair blanc
de la cuisse,
peau sous la
peau,
l'aube
s'allume
à l'incendie
de ses lèvres,
le moindre
vice s'abîme
au dernier
étage de ses yeux,
laisser
filer la nuit,
comme d'un
coup d'ongle,
maladresse
coupable,
elle avait
filé son bas.
4
Dentellière
penchée sur
la danse des fils,
la main
agile,
les yeux sur
l'ouvrage
à suivre
patiemment
les dessous
des dessins
complices.
Croire en
cette promesse
d'une aube
jouissive,
croire en la
vie ouvrière,
en l'œuvre,
en son
secret motif.
Oublier la
crispation des doigts,
la fatigue,
puis la main
entière
prise dans
le fil,
dans la
toile.
De ce long
cheminement,
de ce
dessin,
fil blanc,
fil noir,
se libérer
de la trame
de l'infini
des cercles brodés,
poser toutes
les aiguilles,
prendre le
peigne
démêler ses
cheveux
trop tôt
argentés.
Dans la
fleur de cet âge,
l'homme
jette sa cognée
tombe
dans la
fondrière
au côté du
lièvre blessé
et
s'émerveille des constellations traversées.
5
Sous les
talons aiguilles
des femmes
légères
la trace
d'une nuit,
d'une nuit
de veille,
d'une nuit
de chasse.
Celle prise
au collet,
au piège de
sa mélancolie,
se réveille
soudain
secouée par
les pleurs.
Des faims
silencieuses remontent
de cette eau
si noire,
de cette
nuit
d'où
définitivement
vous fûtes
chassés,
de cette
nuit
où
amoureusement
nous fûmes
surpris.
6
Là nous
avions placé le ventre
et le
centre,
là,
avec toute
sa banalité,
sa
capricieuse multitude,
sa
difformité parfois.
Là nous
avions placé
notre désir
de chairs nouvelles
de peaux
neuves sans toxines,
d'empoisonneuses
sans poisons,
de vies sans
tourments,
dans
l'attente d'une subtile douleur,
d'une
douceur trop vive.
Lente dérive
en nos cerveaux malmenés.
Nous
briserons nos trop nombreuses faiblesses
et
séjournerons en nos rêves
génétiquement
modifiés.
En quête de
mouroirs aseptisés,
mêlerons aux
souffles de nos fidèles amies
notre
connaissance de l’abîme
et nos
tragédies intimes.
7
Nuit où
l'encre à tes pieds
ressemble de
plus en plus à du sang,
nuit des
flots jamais endigués,
nuit des
fleuves régulièrement dragués,
nuit qui
coule de tes veines,
nuit qui
coule de mille plaies à la fois,
de mille
endroits du monde,
nuit
à tout
jamais
nuisible.
8
Soumis nous sommes
à l'étrange
nuit des pierres,
à l'étrange
loi des incendies,
qui ruinent
parfois nos yeux
sous nos
paupières.
Sur une
scène mouvante
nous
répondrons
à cette
imagination des signes,
dans la
lumière brutale,
nous
répèterons nos rôles,
habillerons
nos gestes
de trous
noirs et d'étoiles.
9
En un lac
aux eaux pâles
s'enfoncent
lentement nos corps,
rôde la mort
et ses
ovaires de métal.
Sade,
cette nuit
te dédie ses
nouvelles chairs,
ses
nouvelles extases.
Sade,
rôde la mort
sur ce monde
devenu simple organe,
ce monde
devenu verbe en latex.
Sous un ciel
infecté de virus
comme
vissée,
la tête
horrible de la guerre
couronnée de
vermine.
Sade,
ton monde
cagoulé est là,
il t'attend,
il se livre,
rôde la mort
et ses
supplices,
cherche en
ton entrejambe
la source du
fleuve noir
qui éloigne
les terres,
aveugle les
êtres.
Rôde la
mort,
c'est elle
qui pousse,
Sade
tu n'y peux rien,
sous les
fouets armés de plomb
la chair du
monde
découpée en
lanières.
Rôde la
mort,
C'est elle qui
pousse,
Sade tu
n’y peux rien,
Rôde la
mort,
c’est elle
qui pousse
entre nos
jambes….
par
milliers….
des têtes
nucléaires.
Sade,
C'est la
mort qui pousse,
c'est la
mort qui rôde,
pousse,
pousse
effroyablement !
et chante le
divin métal.
Sade tu
n’y peux rien.
C’est la vie
qui pousse
mais c’est
la mort qui gagne.
10
Eloge de la
peau
à la
recherche de la peau,
des mains
gantées
frôlent le
nylon,
se fraient
un chemin
saisissent
dans la nuit
les totems
brûlants du désir.
11
Assis sur nos
chaises
nous
comptons nos côtes et nos abîmes,
portons avec
nous
des chambres
sans idylles,
des couloirs
sans lumière.
Nous voici
passants
entre
l'outrage d'un hiver
et le pardon
d'un printemps.
Nous voici,
passants,
accusant la
cruauté de la nature,
nous
disputant des lambeaux
d'un pauvre
rideau de scène
pour
recouvrir nos mensonges nus.
A tant de
trahisons nous ne pourrons survivre,
à l'heure
des conjugaisons faciles,
nuit de
frasques et de dérives,
nuit où la
dispute se mêle à la litanie.
Nuit,
chantier d'une nouvelle Eve
nuit au
fruit vibrant de toutes ses hélices
portant sous
son ventre de fer
le calice
noir des éternels supplices.
12
Est-ce la
raison qui valide le jour
où
nous-mêmes qui sans raison portons le jour
comme
d'autres porteraient un cadavre ?
Est-ce notre
raison qui supplie le jour de rester
ou trop
futiles pour cela
nous égarons
nous encore
en des
pièges grossiers,
mécaniques
de paroles et de gestes ?
De ce vide,
de ce
vertige,
nous en
avons ramené le goût du vide,
l'attirance
de l'imperceptible.
Nous
poursuivons l'ombre,
nous la
voulons la réduire,
tous nos
sens tendus
vers le même
désir de destruction.
Nous brûlons
de tant de mensonges pieux,
nous brûlons
n'est-ce pas ?
Tous nos
livres témoignent,
notre
souffrance n'est pas feinte,
nous
brûlons n'est-ce pas ?
Immergés
dans l'acide de notre quotidien.
13
Dans la nuit
du texte
l'aube
fabule,
terre de
nuit,
asile,
des myriades
d'yeux
parcourent
le monde,
la nuit
c'est une
telle poussée,
une telle
langue
calculée.
La nuit des
ponts
déverse ses
troubles,
le fleuve en
dessous
relève sa
robe.
Terre de
nuit,
asile,
mesure du
drame,
en cette
lecture maladroite
trébuchements,
murmures,
chaque
parole
aussi féroce
que la
précédente.
14
Du papier
l'Eden,
du papier
avec marges,
et versets,
épîtres et
pupitres,
Dieu si vous
existez
châtiez les
nombres et leurs disciples !
Le temps
nous a été compté,
le fruit
était binaire
l'arbre,
le fruit
amer d'un logicien.
Du papier
l'Eden !
du papier !
Tout d'un
bloc
donné,
lâché
l'instant
cacochyme,
l'éternité
branlante,
l'unité
arrondie
à l'infini
supérieur
enfer du
chiffre,
du calcul
théorique,
L'ange jette
son luth dans le ciel
et de dépit
loue une calculatrice.
15
La nuit est
au plus mal,
au plus
malin,
la nuit de
la professionnelle
quelques
printemps à peine.
A la nuit de
se souvenir
d'une course
entre les fougères,
des premiers
effleurements,
des premiers
égarements,
quelques
printemps de plus
et là voilà,
nuit
cisaille,
nuit
pierraille,
errante en
cette nuit
offrant ses
charmes
à l'absolu
affamé.
16
La chair,
toute la
mémoire n'y suffit,
en ce pion
silence posé à côté du damier,
suite
logique d'une seule prise oblique.
Mensonge
pieux,
croiser les
genoux,
sous
l'obscure renversée
faire peau
neuve.
Ongles sales
ou vernis,
jambes
gainées de nuit.
Derrière les
fenêtres,
allumer des
bougies
pour les
anges.
Monter dans
les chambres,
tirer les
volets,
trier les
songes propres,
parabole
d'un envers,
d'une
racine,
d'une
audace.
Pour rendre
justice aux morts,
oublions les
blessures des vivants.
Et tous de
tracer le cercle
où toute
bouche apprend
par la
rature ou la virgule,
la violence
de la ligne droite,
la trahison
du signe.
17
Belle nuit
singulière
nous
repeuplerons ta mémoire
en
regarnirons la treille.
Flux entre
deux coteaux,
choisirons
la pensée
qui chasse
sur ces terres,
pour
illustrer ton mystère
descendrons
dans les
brocantes de tes villes
pour y
trouver le mot rare.
18
Nuit, vous
ne pouvez être sereine
quand mille
bouches vous accueillent
en des
réduits sans feu
sur des
paillasses sans ivresses.
Nuit, vous
ne pouvez être sereine
quand
l'océan se retire sous nos pieds,
quand les
lueurs du monde
sans
plaintes ni prières
une à une
s'éteignent.
Nuit, vous
ne pouvez être sereine
quand la
faim et le froid
descendent
dans les plaines,
creusent
sous la terre
les
fondations d'autres nuits éternelles.
Nuit, vous
ne pouvez être sereine
quand aux
mains d'un Dieu sans raison
un homme
danse sur une barque,
alors que
s'impatiente
et se jette
sur toute la terre
l'ombre
ancienne d'un feu qui palpite.
19
Nuit
des charrettes chargées d'étoiles sanglantes,
nuit
des civilisés, des chirurgiens fous,
nuit
des chiens écrasés, des cerveaux défenestrés,
nuit
des sibylles couvertes de crachats,
nuit
des plaintes et des cris,
nuit
des musées toujours froids
nuit
des modèles de cire,
nuit
des machines à aliéner,
nuit
des machines à torturer,
nuit
des mines condamnées,
nuit
des hommes noirs,
nuit
des hommes bleus,
nuit
des hommes rouges,
nuit
des insoumis, des révoltés,
nuit
des mimes, des masques,
nuit
des affamés, des assoiffés,
nuit
des jeunes meurtriers, des justiciers en herbe,
nuit
des nourrices,
nuit
des berceuses,
nuit
des cadavres encore chauds,
nuit
des vêtements lacérés, mal reprisés,
nuit
des corps entaillés,
nuit
des jambes raides,
nuit
des bras perdus,
nuit
des pas incertains
nuit
des regards sans yeux,
nuit
des mains sans finesse,
nuit
des corps sans âme,
nuit
des mères sans enfants,
nuit
de l’homme seul,
nuit
de la femme sans compagnon,
nuit
des errants,
nuit
des sans-fortune,
nuit
plus noire que toutes les autres nuits
Et tous
d'aller,
et tous de
se perdre en cette nuit !
20
Pour que
guerre perdure
il faut
promettre n'est-ce pas ?
Promettre
combien de paradis ici ?
Pour que
jouissent quelques-uns là-bas ?
Combien de
peuples soumis ?
Combien de
peuples esclaves ?
Il leur faut
bien payer le prix !
Et ils
paient, ils paient !
dans la nuit
de leurs corps
mutilés,
brûlés,
écrasés,
Ils paient,
ils paient !
Sous l’enfer
des bombes,
dans les
ruines de leurs maisons,
sous les
chenilles des chars,
dans la
poussière des pelleteuses
ils paient,
ils paient !
Dans la nuit
des martyrs,
dans la nuit
des exilés,
dans la nuit
des fosses anonymes,
dans la nuit
des assassinés,
ils paient,
ils paient,
n'en
finiront-ils jamais de payer ?
21
Pas de nuit
sans feu,
pas de nuit
sans jeux,
pas de jeux
sans harmonie,
pas de feu
sans silex,
pas de
cercle sans compas,
pas de
perpendiculaire sans équerre,
pas de lit
sans fleuve,
pas de vent
sans cheveux,
pas de sang
sans chair,
pas de tête
sans bouche,
pas de
lèvres sans langue,
pas de verbe
sans sujet,
pas de nuit
sans toi.
22
C'est une
absence d'être
prouvant à
sa manière
la nécessité
de l'ombre,
du gouffre
non encore découvert,
c'est une
ombre collée
à d'autres
lèvres que les tiennes.
La nuit
contient tous les bras
qui n'ont
pas pu ou voulu prendre,
la nuit
contient toutes les pensées
qui n'ont
pas eu accès à la parole,
la nuit
contient toutes les bouches
qui n'ont su
embrasser,
la nuit
contient tout cela
puis
quand la
peau a délivré ses parfums,
quand la
peau a retiré ses peines,
quand la
peau a brisé les entraves de la peau,
elle libère
un à un ses reclus
les renvoie
là où ils avaient échoué
pour les
reprendre avant l'aube
leurs actes
manqués un à un réparés.
23
Nuit chaste
et glacée,
nos
frilosités sont pleines de tes murmures,
nos corps
inaptes à respirer,
à humer
cette froidure,
aspirent à
la paix partagée.
Tes bras
nous ont saisis et trahis,
des fleurs
mauvaises ont trompé nos sens,
ont effacé
nos croyances.
Dans la nuit
de nos cris,
en cette
nuit de pitié,
pour cette
torture sur le papier
devant la
cendre vive,
battre cette
pensée brûlante.
24
Nuit
composée de tant de tourments,
nuit
des alliances secrètes,
des
déchirures violentes,
nuit où tout
vacille,
où
tout menace de rompre.
Nuit,
Digue,
Nuit, vous
nous avez montré vos fêlures,
montrez-nous
vos signes,
vos
arabesques,
vos cahiers
dans lesquels s'alignent
vos études,
vos épures.
Nuit
Pouvons-nous
croire en vos artifices ?
Pouvons-nous
encore nous lever
immenses et
forts,
et nous
croire fondateurs de l'obscur,
l'espace
d'un instant
brûler de
cet orgueil matricide ?
Les âmes de
verre
la nuit,
choisissent
leurs passages,
leurs ponts,
leurs Bibles
de cuir.
Des têtes
lourdes des scribes
s'échappent
une encre parfumée,
la nuit tout
entière
s'en trouve
changée,
nuit de
cire,
nuit
où le corps
par amour
s'ouvre.
25
Alignements,
pourcentages,
graphiques,
avec leurs
courbes
ils nous ont
enfermés en des droites.
Comptez,
comptez vos nuits
vos
frontières galopantes,
comptez vos
ailes détruites,
vos songes
gaspillés,
vos folies
militantes,
vos auréoles
de ciment,
vos cœurs de
boursiers,
vos peurs
des faillites
comptez,
comptez vos rives,
vos jours et
vos dimanches tristes,
comptez,
comptez vos rimmels de cuivre,
vos bouches
dessinées,
vos sourires
simulés,
vos crèmes
de jour,
vos recettes
de savoir-vivre,
comptez,
comptez sur vous-même,
comptez sur
vos supérieurs,
pour gravir
ou pour descendre les marches,
comptez sur
vos véhicules pour véhiculer la mort,
comptez sur
le luxe pour accroître vos vices,
comptez vos
votes pour laver vos principes,
comptez vos
journaux
pour la
santé de vos consciences,
comptez vos
jours,
les pluies,
les vents, les marées, les naufrages,
mais comptez
toujours !
Quand avec
vos chiffres,
vous serez
arrivé à traduire vos cerveaux
en
microdonnées,
quand dans
vos vies bien réglées
à l’aide de
vos processus logiques
vous serez
parvenu sans effort
à concevoir
d'autres lois
qui feront
apparaître celles d'aujourd'hui
comme douces
reliques,
quand dans
vos yeux dressés
se
compteront les oliviers morts
et danseront
en des jardins numérotés
des filles
aux peaux trop blanches,
quand sous
les drapeaux étoilés,
emblèmes des
territoires interdits
et des
greffes contre nature,
défileront
vos drones et vos clones,
quand votre
science
aura modifié
toute la flore et la faune,
quand avec
vos sexes missiles
vous aurez
fécondé tous les enfers,
quand en vos
colloques, en vos sommets,
noyés dans
le brouillard empoisonné de vos crimes,
vous
parlerez encore liberté et progrès,
quand avec
vos chiffres
vous aurez
aussi rentabilisé l'amour
et classé
les méritants,
nettoyé les
déficients, les non-conformes,
quand vous
aurez imaginé
et crée
d'autres enfers aux normes
toujours
plus efficaces,
toujours
plus compétentes,
retournez,
retournez à votre nuit
laisser
l'univers reprendre ses droits,
laisser la
nuit totale et dernière
recouvrir de
son néant
ce qui se
prénommait humanité.
26
De la nuit
camarade,
de la nuit
de l'homme
dans le
jardin des Oliviers,
nuit des
faiblesses,
nuit des
initiés.
De la nuit
camarade
nous
parlerons de la nuit,
de la nuit
de l'homme
de la nuit
du verbe singulier.
De la nuit
camarade
nous
parlerons de la nuit
celle des
tables sans lampe,
des fenêtres
sans lumière,
des vertiges
sans paroles,
des films
sans couleurs,
des corps
sans pesanteur.
De la nuit
camarade
nous
parlerons de la nuit,
et nous
l'appellerons très froide,
et nous
l'appellerons camarde,
nous
l'appellerons
elle viendra
fermer tes
yeux.
27
Là où
dorment les hommes
ne dorment
plus les anges,
là où
dorment les hommes
appartient
aux seules femmes
la douce
mesure du temps.
28
Du chemin,
de la
distance,
de la main à
la bouche,
de la nuit à
l'aube,
du chemin à
la route.
Chercher
dans la nuit des autres
cette autre
nuit,
briser la
pensée,
mêler le
désordre
au corps
épuisé,
pensée
chahutée
avec
laquelle tu n'oses plus te lever
de peur de
voir
dans la
vitre qui toujours grimace
le reflet
d'un visage
qui trop tôt
ne sera plus.
Du chemin,
de la
distance,
de la main à
la bouche,
du lit au
ventre,
un seul mot
là où la vie
seule
pigmente la
peau
et lui donne
cet éclat
féminin.
De la nuit à
l'aube
quelques
secondes de vie en plus,
clarté
soudaine
comme
un surplus,
forme
prudente et lointaine
d'un sursis
à l'évidence,
d'un
glissement entre les herbes,
une pierre
qu'une main d’enfant jette
en direction
du soleil,
folle
stridence
dans
l'éclair argent
d'un jet
signe
d'adieu au continent.
29
La nuit
tremble,
vibre
soudain
à l'horizon
d'une délivrance,
l'infini
d'une nuit
drapé dans
l'écorce
d'une vive
insouciance.
Là tu ne
peux percevoir
ni la rive,
ni la barque
qui traverse
sans rames ni voiles,
là le
mystère,
là ta nature
bien différente,
ton corps
antiphonaire,
tes bras
retenant l'ombre,
nuée
fiévreuse,
nuit de
questionnements sous la lampe,
nuit chaste
et violente,
nuit scie
circulaire.
Là tu ne
peux vivre,
ni coudre
tes veines
avec le fil
d'une pensée
si légère,
si vaine,
qu'elle
coule
sur la
faïence
comme
s'éteint une pulsation
au creux
d'un nuage stellaire.
30
La nuit
tu peux
nettoyer ton fusil,
compter tes
cartouches,
la nuit
elle te
frappe,
et tu ne
peux répondre
ton cri
n'est qu'un cri de plus
dans l'océan
des cris inutiles.
La nuit
tu peux
nettoyer ton fusil,
compter tes
cartouches,
la nuit elle
te frappe
sans que tu
aies jamais pressenti
ni le lieu
ni l'instant,
la nuit
tu peux
enterrer ton fusil
la terre
déjà s'approche
et te lèche
les os.
31
N'aviez-vous
pas assez veillé jadis
au bord des
tombeaux,
n'aviez vous
pas assez rêvé
de rives
éloignées soudain réunies
en une même
nuit sertie de joies ?
N'aviez-vous
pas assez rêvé
d'une nuit
d'épaules rondes,
de chairs
étonnamment complices
de dos
dressées en colonnes claires
sous un ciel
de drap d'outremer froissé ?
N'aviez-vous
pas
voulu rendre
le poème nourricier
à la source
féconde,
image encore
enfouie en votre langue natale,
n'aviez-vous
pas voulu prédire ce moment
où l'encre
fatale
s'évadant
de l'encrier
vient se
perdre
entre les
écueils de l'aurore
et les pages
d'un recueil
où le poète
parle
d'une nature
si prompte à effacer l'erreur ?
32
Je ne
voudrais vous voir
vaincu et
vainqueur,
je ne
voudrais vous voir
puissant et
esclave,
je ne
voudrais vous voir
heureux et
égaré,
je ne
voudrais vous voir
nuit et jour
dans la même
chambre.
33
Nuit
nous
laisseriez-vous
prendre en
vos profondes frondaisons
un fragment
de votre mystère ?
Nous
laisseriez-vous
le porter à
nos lèvres
pour oublier
la faute
qui
perpétuellement nous oblige à fuir,
à manger des
racines
et à nous
perdre au sommet des arbres ?